Paris : Saint Médard

Publié le 21 janvier 2009 par Memoiredeurope @echternach

Séjourner dans la capitale française pendant les périodes de fêtes est une joie. Voilà une évidence. C’est aussi un moyen de prendre une certaine distance par rapport au Paris quotidien. Une partie des habitants sont partis vers leurs demeures secrètes, leurs montagnes préférées, ou se rassemblent en petits et grands troupeaux dans leurs foyers pour accueillir ce bonhomme en rouge qui a volé la vedette à saint Nicolas, à la Beffana et aux Rois Mages. 

Toujours dans le même livre sur les « Jardins et cuisines du diable », tout le chapitre consacré à la pomme, fruit d’Eve et du diable ne vise en fait qu’aboutir à la célébration de la naissance de Jésus. « La pomme n’avait pourtant pas dit son dernier mot. Car les Celtes ne vénéraient pas uniquement le pommier, mais toutes les essences forestières, et les forêts de chênes ou de frênes leur servaient de lieu de méditation. Or, ce sont précisément les descendants de ces arbres sacrés que nous recevons dans nos salons à Noël ; leurs parfums sylvestres embaument délicieusement nos foyers et nous restons saisis d’admiration devant ces globes lumineux, ces abals suspendues aux branches – des abals stylisées et manufacturées, certes, mais qui restituent néanmoins à la perfection le rouge et le vert éclatants des Pippins et des McIntoshs, et rendent hommage à cette vision ancestrale du paradis. » 

On aura compris que tous ces termes ne visent pas à désigner des tribus écossaises ou galloises, mais des variétés de fruits d’Eve dont ne profitons plus guère vu l’uniformisation de l’offre et la mondialisation, sauf peut-être sur le marché des producteurs à Strasbourg.

Il est vrai qu’il faut souvent revenir en Alsace pour retourner aux origines et en tout cas à celles de l’arbre de Noël garni de pommes rouges. Si j’en crois les historiens, nous sommes entre 1520 et 1550 quand apparaît la tradition. La généralisation en France de l’arbre de Noël date par contre de la fin du XIXe siècle. “Là où il y a une famille alsacienne, il y a un sapin” disait-on auparavant. C’est en tout cas au musée judéo alsacien de Bouxwiller que j’ai découvert pour la première fois un sapin de Noël attaché au plafond, tandis que la base du tronc reposait sur une pomme rouge.

Pour le repas de midi, j’ai laissé mes enfants dormir et j’ai choisi, un peu au hasard, de déjeuner dans l’un des cafés qui regardent l’église saint Médard. Une famille d’adoption, en quelque sorte ! Et le même hasard a voulu que mon voisin de table – et à Paris comme chacun sait chaque pouce de terrain est utilisé, soit célèbre ; ce qui fait que j’étais vraiment son voisin au point de partager sans le vouloir les conversations du groupe d’acteurs et de responsables de théâtre qui l’accompagnaient.

Je vois sur le site web de Rufus – puisqu’il s’agit de lui - qu’il joue en effet à l’espace Rachi rue de Broca une pièce de Naïm Kattan « Avant la cérémonie ». Cela me donne envie d’aller la voir. On y parle de l’identité juive et israélienne…autrement dit d’une actualité permanente depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et depuis la création d’Israël.

Même si j’ai aperçu Rufus de temps à autre dans ses rôles cinématographiques : il a tourné dans « Mariage » de Claude Lelouch en 1974 ou dans « Delicatessen » de Caro et Jeunet en 1990, sans oublier le « Train de vie » de Radu Mihaileanu en 1997 où il jouait le rôle d’un Juif qui endosse, pour s’enfuir par un train de déportation falsifié et “autoproclamé” par les Juifs eux-mêmes - si je puis le dire ainsi -, le costume d’un SS. Je l’ai vu aussi au théâtre dans « En attendant Godot » de Samuel Beckett. Et cela date de la fin des années soixante-dix !

Après cette promiscuité bienheureuse, j’ai refait un tour supplémentaire de la Mouff avec, en tête, les images le l’Opéra-Mouffe, le merveilleux court métrage d’Agnés Varda de 1958, où la caméra reste posée de longs moment sur de petites traces singulières et sur les visages des commerçants et des clients. J’ai trouvé par hasard tous les courts de Varda et « Les glaneurs et la glaneuse » en DVD chez l’Harmattan. La cinéaste - photographe, enceinte à l’époque, passe lentement, avec l’accompagnement d’une musique de Georges Delerue, entre des désarrois urbains. Le sien étant peut être le plus grand ; dans sa volonté d’atteindre une sorte de curiosité insatiable. Elle caresse, parfois elle souligne, elle appuie aussi sur les maladresses, les gestes intimes, la dégradation des corps

Un quartier dont je peux dire, sans aucune nostalgie cette fois, qu’il me ramène encore furieusement à l’enfance, quand ces rues n’étaient encore ni bobos, ni touristiques. On y entend c’est vrai maintenant parler autant l’allemand que l’italien, et l’accent parisien, qui était aussi un accent auvergnat, picard ou toulousain, semble s’être lissé avec l’arrivée de ceux qui peuvent s’offrir un loyer de prince.

Il n’en reste pas moins que si les clients ont totalement changé de look et d’origine sociale, la Mouff reste un temple de la bonne bouffe. Je ne parle pas forcément des restaurants - il y a de tout - et j’y ai déjeuné tous les jours pendant au moins quatre ans, mais des marchands ayant pignon sur rue, comme des marchands de quatre saisons. C’est un spectacle pour les yeux, autant que pour le coeur et pour la bouche. Et les potirons, gonflés comme un ventre de femme enceinte, n’ont pas perdu en cinquante ans leur évocation sensuelle et sont toujours, sur les étals, des symboles de fertilité et de maternité. C’est à dire des symboles d’avenir.

Le premier enfant d’Agnès a aujourd’hui lui-même cinquante ans….et elle est grand-mère ! Comme quoi elle peut rétrospectivement dire merci à la Mouff et à Paris - ce qu’elle fait dans son dernier film - de l’avoir accueillie dans ses bras comme un père ou une mère et de lui avoir fait traverser un siècle parfois maléfique - elle s’est réfugiée à Toulon pendant la guerre - dans les vagues de la création cinématographique la plus stimulante, avec pour compagnons successifs, Bourseillier et Demy, tous deux magnifiques.  

Un de mes grands cousins – le mari d’une cousine de ma mère – tenait une petite superette dans les années soixante, au moment où je suis allé suivre des cours à l’agro, rue de l’arbalète. Les fenêtres de son appartement faisaient face à celles de la salle de cours et avec mon cousin, on s’est fait signe chaque lundi pendant un an. 

Je me souviens aussi, dans la même rue, de ce cabaret, disparu depuis, où j’avais écouté Francis Blanche, un de ces princes de la nuit, merveilleux poète et chansonnier, acteur sublime dans de nombreux films malheureusement souvent de piètre qualité, duettiste extraordinaire avec Pierre Dac, auteur avec le même, de l’inénarrable feuilleton radio « Signé Furax » que je m’empressai d’aller écouter sur Europe 1 dans mes premières années de lycée. 

Francis Blanche passait, comme Bernard Dimey, d’un cabaret à l’autre et d’un verre à l’autre, dans ce cheminement de la rive gauche, un peu éthylique. Je l’ai revu par hasard à Eze, peu de temps avant sa mort, dans sa villa surplombant la mer. Un lieu d’exception.  

« Signé Furax » était devenu un cri de ralliement dans les jeux de cour de récréation. Mais c’est une autre histoire !

Il a fait beau sur Paris. Un peu froid peut-être, mais dans cet entre-deux, le passé peut se poser sur nos épaules, comme un oiseau bénéfique. 

J’espère simplement qu’il s’agit de la chouette de la sagesse.

Entre les photos de l’auteur, quelques captures d’écran de l’Opéra-Mouffe d’Agnés Varda (1958, 16 minutes), Ciné-Tamaris.