L'histoire par procuration

Publié le 20 janvier 2009 par Roman Bernard
C'est donc aujourd'hui que Barack Obama succèdera à George W. Bush à la Maison Blanche. Dans la détestation excessive du président sortant, comme dans l'adoration tout aussi excessive du nouveau président, apparaît une réalité manifeste à tout observateur lucide : la relégation de la France et, au-delà, de l'Europe, au rang des spectateurs de l'histoire.
Ne boudons pas notre plaisir pour autant : comme beaucoup en France et en Europe, je me suis réjoui de la victoire de Barack Obama, un métis dont le seul parcours personnel est un appel à dépasser la « question raciale ».
Je ne pleurerai pas non plus son prédécésseur, même si, comme Lomig, je pense que les historiens jugeront plus favorablement George W. Bush que ne l'auront fait les journalistes.
La guerre en Irak fut illégitime puisque basée sur un double mensonge - la possibilité de Saddam Hussein d'agresser la région et son implication supposée dans les attentats du 11 septembre 2001 - et un outre-passement du Conseil de sécurité de l'ONU, et relativement inopportune puisque faisant éclater une nation fragile entre ses trois communautés principales. Mais la promotion d'une démocratie au cœur du Moyen-Orient, si elle fait des émules dans la région, aura été une initiative salutaire sur le long terme.
Il convient donc de ne pas accabler outre mesure George W. Bush, ni, a contrario, de penser que son remplacement par Barack Obama va changer en profondeur la politique étrangère américaine. Les États-Unis continueront à veiller jalousement sur leurs intérêts dans le monde, et personne, à part ceux qui voudraient que la France et l'Europe sacrifient les leurs, ne saurait leur en tenir rigueur. Il est toutefois probable que les partisans de gauche d'Obama en Europe n'expriment leur déception de ce président qu'ils n'ont voulu voir que comme un Noir, et pas comme un politicien talentueux... et américain.
Ces considérations somme toute banales étant faites, c'est la volonté de récupérer à leur profit l'« Obamania » par les dirigeants politiques français de droite comme de gauche qui donne l'impression d'une nation vassale, qui ne vit plus l'histoire que par procuration. Ainsi de Nicolas Sarkozy qui, lors de la tournée de campagne de Barack Obama en Europe, disait du sénateur de l'Illinois d'alors qu'il était son « copain ».
Ainsi également de Ségolène Royal, qui ose affirmer, au jour d'une cérémonie d'investiture où elle est symboliquement située à deux cents mètres de la tribune, qu'elle a « inspiré Obama ».
Ainsi enfin du CRAN, dont le président Patrick Lozès disait au soir de la victoire d'Obama qu'il était le président de tous les Noirs, et donc de ceux de France, faisant primer le facteur ethnique sur le facteur national. Une telle déclaration était synonyme tout autant d'abaissement que d'éclatement de ce qui reste de la Nation.
Le « déclinisme » ne serait d'aucune utilité, tant est ancienne la vassalisation - pour une part consentie - des nations d'Europe aux États-Unis d'Amérique. L'Europe occidentale est américanisée depuis le Plan Marshall, et, plutôt que de vouloir en vain rejeter cet apport, il convient de l'accepter, de l'assumer, de se l'approprier : il faut, en quelque sorte, que chaque Français, chaque Européen, accepte l'Américain qui est en lui.
Il n'y a pas de prix à payer à cela, puisqu'il a déjà été acquitté par l'Europe : elle n'a dû sa protection du péril communiste qu'aux États-Unis, dont elle a incorporé des éléments culturels. Hormis la langue de chaque nation européenne, il ne reste donc plus à sauver qu'une culture qui est, pour l'essentiel, commune à tous les pays occidentaux, de part et d'autre de l'Atlantique.
Si l'Europe veut sortir de son statut de spectatrice de l'histoire et cesser de s'illusionner sur des succès diplomatiques aussi modestes que le règlement partiel de la crise russo-géorgienne, si elle veut cesser de vivre l'histoire par procuration tous les quatre ans, à travers l'élection du président des États-Unis, il faudra donc qu'elle se rapproche de ces derniers, qu'elle traite avec eux d'égal à égal au sein d'une structure qui reste à inventer. Une structure politique occidentale.
Roman Bernard