La santé dans le monde, cartes sur table
Atlas mondial de la santé. Quelles inégalités ? Quelle mondialisation ?
Gérard Salem, Zoé Vaillant
Éditeur : Autrement
79 pages / 14,25 €
Résumé : Une approche originale de la mondialisation et des fractures de développement à différentes échelles par le biais de la géographie de la santé.
Nicolas LE BRAZIDEC sur nonfiction.fr
Au Nord : des scandales à répétition sur les dysfonctionnements du système de santé français. Au Sud : une épidémie de choléra au Zimbabwe. Ces deux crises sanitaires qui ont marqué l’actualité récente sont assez symptomatiques des lignes de fracture qui caractérisent la géographie de la santé à l’échelle mondiale. D’une part, les pays riches se trouvent aux prises avec un système de santé à l’efficacité de plus en plus remise en question. D’autre part, faute d’offre de soins performante, les pays pauvres demeurent confrontés à des fléaux depuis longtemps vaincus dans les pays du Nord. Sans chercher à remettre en question cette opposition, l’Atlas mondial de la santé montre que le contraste Nord/Sud à l’échelle de la planète n’est cependant pas toujours aussi évident.
Les auteurs, Zoé Vaillant et Gérard Salem, enseignent tous les deux la géographie de la santé à l’université Paris-Ouest Nanterre-La Défense. La première, chercheuse au laboratoire Espace, Santé et Territoires vient de publier sa thèse aux PUF sous le titre La Réunion, koman i lé ? Territoires, santé, société. Le second, directeur du même laboratoire, est l’auteur de l’Atlas de la santé en France publié en deux tomes en 2000 et 2006 avec Stéphane Rican.
L’ouvrage se compose de quatre parties. Après avoir envisagé la question des “déterminants de santé”, les auteurs s’interrogent sur l’idée d’homogénéisation sanitaire de la planète liée à la mondialisation, avant de montrer qu’il y a, en fait, combinaison entre des processus d’échelle globale et des spécificités locales. Le dernier temps de l’atlas traite des évolutions des états de santé en fonction des dynamiques des territoires, ceci à différentes échelles.
La santé : facteur et révélateur du niveau de développement
L’Atlas mondial de la santé ne présente pas une liste exhaustive des pathologies qui existent à la surface du globe. Son objectif est plutôt démonstratif : en s’appuyant sur une sélection de cartes, il s’agit de montrer que la géographie de la santé peut constituer un outil de compréhension des territoires au-delà de la seule dimension médicale.
Ainsi, les cartes de la géographie de la santé à l’échelle mondiale recouvrent souvent celles du niveau de développement dont elles révèlent les disparités. Accès aux soins (accouchement, couverture vaccinale), risques environnementaux (disponibilité en eau potable, hygiène), conditions de vie (alimentation, éducation) constituent autant de déterminants de santé montrant que celle-ci est un prisme d’observation du développement tout en étant conditionnée par celui-ci. La fracture nord/sud passe d’ailleurs parfois plus près de nous qu’on ne le pense : en Roumanie, seulement 54 % de la population a accès à l’eau potable.
Ainsi, la santé ne se réduit pas seulement à la sphère médicale. Le rôle de l’allaitement dans la limitation de la mortalité infantile ou bien l’importance de l’exercice physique pour réduire l’obésité montrent, par exemple, que les faits culturels ont un rôle à jouer. Les différences de politiques publiques entre pays natalistes et pays malthusiens indiquent quant à elles que la santé peut aussi être une question géopolitique De même, la santé donne à réfléchir sur les relations de genre et notamment la condition des femmes.
La succession des cartes présentées et commentées dans l’atlas permet la mise en évidence d’oppositions entre des centres et leurs périphéries à différentes échelles. Plusieurs d’entre elles présentent notamment des disparités saisissantes au sein du territoire français, comme celle du taux de mortalité d’abord à l’échelle du territoire national puis, à une échelle plus fine, dans la région Île-de-France. La comparaison de deux cartes de la mortalité dans les villes françaises, au milieu des années 1970 d’une part, et durant la période 1997-2001 d’autre part, retiendra particulièrement l’attention du lecteur. L’analyse faite par les auteurs met en relation les évolutions sanitaires avec les dynamiques régionales. Tantôt celles-ci entraînent des cercles vertueux comme dans les villes bretonnes où les structures de scolarisation, de formation professionnelle et de soin ont connu de nettes améliorations ces dernières décennies. Tantôt elles font émerger des processus de stagnation voire de recul de l’espérance de vie dans des villes marquées par la déprise économique (villes de la région Nord-Pas-de-Calais mais aussi Béziers ou encore Istres), la disparition des services publics (centres urbains du Massif Central) où ces difficultés se combinent souvent “à un dépeuplement, à un vieillissement voire à une paupérisation de la population”1. Zoé Vaillant et Gérard Salem rappellent le rôle fondamental des pouvoirs publics pour enrayer cette spirale du mal-développement sur notre propre territoire.
Une mondialisation de la santé ?
Sans doute l’urbanisation du monde a-t-elle été le fait géographique le plus marquant du XXe siècle. Le processus se poursuit en ce début de XXIe siècle, notamment sur le continent africain où de nombreux pays sont loin d’avoir achevé leur transition urbaine. Le corollaire en est une transformation en profondeur des sociétés concernées se manifestant par l’adoption de comportements qui ne sont pas sans conséquence sur la santé : sédentarisation, diminution de l’activité physique, alimentation riche en graisse et en sucre, tabagisme…
Le développement, dans les pays du Sud, de ces pathologies qu’on pensait réservées aux pays développés, vient remettre en question le modèle de la transition épidémiologique élaboré par Abdel Omran en 1971 selon lequel la modernisation sanitaire de toute société se fait en trois phases : “l’âge de la pestilence et de la famine”, “l’âge du recul des pandémies”, “l’âge des maladies dégénératives, de société”2. En effet, cette théorie trouve assez vite ses limites dans la réalité. D’abord, dans les pays du Nord, la progression des maladies chroniques a été maîtrisée par les progrès de la science alors qu’on pensait qu’elles feraient plafonner l’espérance de vie autour de 75 ans. À l’inverse, dans les pays du Sud, le développement de pandémies telles que le sida est venu bouleverser le schéma théorique d’Abdel Omran et contribue même parfois à faire baisser l’espérance de vie, notamment en Afrique australe. En outre, la transition épidémiologique y est moins progressive qu’elle ne l’a été dans les pays développés ce qui fait coexister des maladies infectieuses, telles que la tuberculose et le paludisme, avec des pathologies qu’on aurait tendance à associer aux pays riches comme l’obésité ou les maladies cardiovasculaires. C’est d’ailleurs dans les pays en développement que la mortalité imputée à ces dernières est la plus élevée, du fait de l’absence de système de prévention et du coût de l’accès aux traitements. La mondialisation des progrès sanitaires reste encore à venir.
C’est ce que montrent les auteurs en développant un exemple fort intéressant et encore peu étudié par les chercheurs : celui du tourisme médical. Cette pratique permet de pallier l’engorgement de certains hôpitaux (au Royaume-Uni et au Canada, en particulier) en profitant des atouts de la mondialisation : “l’intensification du trafic aérien, l’instantanéité de l’Internet, l’internationalisation des normes sanitaires, notamment de qualité et de sécurité, génèrent de nouvelles proximités entre des patients et une offre de soins pourtant séparés par des milliers de kilomètres”3. Ainsi, de plus en plus nombreux sont les patients des pays du Nord à se diriger vers la Thaïlande et l’Inde mais aussi la Malaisie, la Jordanie, la Tunisie… pas seulement à des fins de chirurgie esthétique mais aussi pour des soins en cardiologie, ophtalmologie, orthopédie… Ils séjournent dans des hôpitaux fonctionnant comme de grands hôtels et proposant, entre autres, galeries marchandes et agences de voyages. Le tourisme médical a l’avantage de contenir la fuite des médecins des pays du Sud en direction des pays du Nord “mais les classes moyennes ou pauvres locales ne bénéficient pas de ce retour de compétences”4.
Zoé Vaillant et Gérard Salem rappellent néanmoins que les configurations géographiques locales voire micro-locales sont tout aussi essentielles que l’échelle mondiale en géographie de la santé. Plusieurs cartes de l’atlas l’attestent, en prenant comme objet de réflexion géographique un quartier ou une ville comme Paris5 ou encore Pikine (Sénégal)6 sur laquelle Gérard Salem avait travaillé dans sa thèse de 3e cycle7. L’exemple de la fièvre Ebola à la frontière entre le Gabon et le Congo et celui de la maladie du sommeil en Côte d’Ivoire complètent cette stimulante réflexion à des échelles plus fines.
Comme toujours dans la série des atlas parus chez Autrement, la qualité du travail de cartographie (à l’exception de quelques progressions chromatiques discutables8 voire d’étonnantes libertés avec les règles du langage cartographique ne facilitant pas la lecture intuitive de certaines cartes9 ) et le juste équilibre entre les différentes échelles d’analyse satisferont le géographe épris de rigueur. Les auteurs n’omettent toutefois pas de rappeler que ce type de réalisation est toujours soumis à l’incertitude statistique, surtout dans les pays du Sud.
Synthèse idéale pour les non-spécialistes, l’Atlas mondial de la santé apporte aussi une précieuse contribution aux débats sur la santé publique dans notre pays. De même, il constituera certainement un précieux outil de travail pour les étudiants préparant le concours d’entrée à l’ENS-Lettres et Sciences Humaines de Lyon dont la question de tronc commun s’intitule cette année “Santé et environnement. Étude géographique”. Bien sûr, toutes les disparités cartographiées qui interpellent le lecteur ne sont pas expliquées par les auteurs. Des cartes posent même plus de questions qu’elles n’en résolvent et certains resteront peut-être alors sur leur faim. Mais en refermant cet atlas, chacun sera convaincu de la nécessité impérieuse qu’il y a à ne plus considérer la santé systématiquement en termes de dépenses. Il devient urgent d’en faire une dimension centrale de cette promesse intenable de bonheur universel faite à ceux qui ne réclament qu’un mieux-être au quotidien : le développement durable.
rédacteur : Nicolas LE BRAZIDEC, Géographe. Critique à nonfiction.fr
Illustration : dmason / Flickr.com
Notes :
1 - p. 63
2 - p. 32
3 - p. 44
4 - p. 45
5 - La mortalité en Île-de-France, pp. 60-61
6 - Urbanisation et paludisme à Pikine, pp. 68-69
7 - Gérard Salem, La santé dans la ville. Géographie d’un petit espace dense : Pikine (Sénégal), Karthala, ORSTOM, 1998
8 - Les cartes choroplètes à l’échelle mondiale des pages 6, 8, 11, 13, 14 représentent, par exemple, les pays où l’alphabétisation, l’accès à l’eau potable, les dépenses de santé, le nombre de médecins pour 1000 habitants et le taux d’assainissement sont les plus faibles par les couleurs les plus criardes
9 - les cartes des pages 58-59 et 60-61 présentent la même donnée (le ratio standardisé de mortalité cantonale) à deux échelles différentes, en France puis en Île-de-France. Or, dans le premier cas les cantons où la mortalité est la plus forte se trouvent cartographiés en orange par opposition au bleu de ceux où la mortalité est la plus faible ce qui est logique ; à l’inverse, sur la seconde planche de cartes, de façon aberrante, les forts taux se retrouvent en bleu et les plus faibles en orange ! Détail réservé aux initiés ? Pas vraiment : la comparaison entre les deux cartes, visées par les auteurs qui ont choisi de faire se succéder les deux planches, s’en trouve rendue très difficile.
Titre du livre : Atlas mondial de la santé. Quelles inégalités ? Quelle mondialisation ?
Auteur : Gérard Salem, Zoé Vaillant
Éditeur : Autrement
Date de publication : 04/11/08
N° ISBN : 2746712199