L’âne et l’éléphant par French Fry
Je sais ce que certains s’imaginent : « ça se passe ailleurs, c’est de faible portée pour nous, c’est beaucoup de bruit pour rien… ». Je crois au contraire que cette prise de fonction est un événement majeur, et pour tous. Aujourd’hui, un président culturellement et racialement métissé prend la tête de la plus grande puissance économique et militaire du monde. Tous les superlatifs ont été mis à contribution pour décrire cette bascule sociétale encore inimaginable il y a un an. Et tous les espoirs sont permis…
De ce président, les Américains attendent la régénération d’une société et d’un système économique à bout de souffle qui doit revoir ses fondamentaux, sociaux, politiques et moraux, pour poursuivre sa route. La notion même de progrès, telle que l’occident la vit depuis le XVIIIe siècle est en question. Du même homme, le monde occidental attend la réconciliation avec l’Amérique, cette Amérique qui est son Achille, son champion et son point faible à la fois, son éclaireur… De ce président, le reste du monde, celui qui commence à l’Est et au Sud, attend une nouvelle équité, la fin d’une hégémonie, un partage, un peu de respect…Ça fait beaucoup pour un homme. Sont-ils vraiment conscients de cela, ces citoyens américains qui s’apprêtent à prêter serment ensemble, avec leur nouveau président, sur les cendres d’Abraham Lincoln ? Un serment collectif, Rien que ça… C’est sans précédent aux Etats-Unis. C’est le signe d’une nouvelle conscience nationale que le modèle doit changer, que la refondation est indispensable. Les Américains savent qu’ils ne pourront plus jamais vivre comme avant. En période de crise, il y a quelques années, ils auraient choisi un conservateur pour les conduire, pour ne pas changer de cap, pour assurer la continuité. Aujourd’hui, ils se tournent vers leurs plus progressistes, font sauter leur verrou, pour s’assurer un avenir. Il ne s’agit plus de « gérer les changements », de les rendre solubles dans l’existant, il s’agit véritablement de changer. « Yes WE can » leur promet Barack Obama. Soyons sûrs que si le grand-petit-frère américain change, nous changerons avec lui, que nous le voulions ou non.
Obama en appelle carrément aux fondateurs, aux pères de la nation : ceux qui ont fait « l’Union » en 1865, territoriale et politique, après la Guerre de sécession, qui en anglais est d’ailleurs appelée « Civil war ». Cette référence à Abraham Lincoln et à l’épisode le plus dangereux qu’ait jamais traversé la société américaine montre combien le diagnostic est grave, combien le pays lui semble divisé, combien les liens distendus de cette société ne garantissent plus sa cohésion et sa bonne marche. Nous sentons bien que ce qui se joue aux Etats-Unis -si loin si proche et déjà chez nous en vérité…- c’est bien plus qu’une « fracture sociale », c’est une fracture systémique, sur fond de facture environnementale et de krack des ressources. Une « dépression », pas seulement économique…
En France, nous savons poser les diagnostics politiques et nous savons les broder de philo, de socio, de bons mots… De vraies dentellières de la pensée et du verbe… Toutefois, nous sommes en panne et regardons l’ouvrage si finement ourlé avec perplexité. Aux États-Unis, la panne n’existe pas. L’engagement (parfois aveugle…) caractérise « l’âme » américaine, comme la melancholia l’âme germanique ou la passion l’âme slave… C’est ainsi. Il y a toujours d’immenses vérités dans ces caricatures.
Dans une récente émission télévisée, un philosophe Français résumait ainsi notre problème, né du consumérisme et de l’hyper productivité : « Nous avons perdu la capacité de sublimation ». Sublimer, c’est pouvoir mourir ou vivre pour des idées disait-il, mourir ou vivre pour l’autre, pour la collectivité, c’est transcender sa vie. Il semblerait donc que nos nations occidentales aient perdu ce pouvoir, un talent indispensable à leur existence même.
C’est ce serment de sublimation que Barack Obama, consciemment ou non, propose. C’est en cela que le 20 janvier 2009 est une date qui compte.
FF
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