Depuis l'annonce par Nicolas Sarkozy de sa volonté de supprimer le juge d'instruction, des voix se sont élevées, en faveur ou contre cette "réforme." Certains partisans du projet ont eu vite fait de caricaturer l'opposition ("corporatisme", anti-sarkozysme, etc.).
Pour les novices de la matière judiciaire, comme votre serviteur, le juge d'instruction est ce magistrat qui conduit l'enquête, obligatoire dans des affaires de crimes, ou sollicitée dans les affaires complexes.
Nicolas Sarkozy est resté flou sur les contours de son projet. En particulier, il n'a pas expliqué, à ce stade, comment la réforme garantirait l'indépendance de l'instruction, ni comment les inévitables affaires gênantes pour le pouvoir et ses proches seraient désormais instruites. Il a justifié son projet par le manque d'impartialité du juge d'instruction. Il a voulu donner une "contre-partie" à ceux qui l'accuseraient de museler l'indépendance de la justice, en garantissant la défense aurait accès très tôt au dossier de l'enquête.
Sur le fonds, le juge d'instruction était peut être, avec ses défaillances, le seul lieu potentiel d'indépendance pour enquêter sur des affaires gênantes. Et l'on pouvait accroître les droits de la défense sans avoir à supprimer ce juge-enquêteur. La Cour européenne des droits de l'Homme a récemment critiqué le manque d'indépendance des procureurs. Leur carrière et leur nomination dépendent entièrement de l'exécutif. Les exemples ont été nombreux, ces derniers mois, de procureurs rappelés à l'ordre par la Garde des Sceaux.
Qui donc suggèrerait de supprimer les médecins à cause des erreurs médicales ?
Voici une liste provisoire de ceux, avocats ou magistrats, qui se sont déclarés opposés ou favorables à ce projet encore incertain. Certains de leurs arguments frappent, d'autres pas. Il est évidemment très réducteur de classer les prises de position récentes sur cette réforme encore floue en deux camps. Il y a aussi ceux qui, à l'instar du Chafouin ou de Maître Eolas, restent circonspects: "On sait ce qu'on perd, on ne sait pas ce qu'on gagne." Le député UMP Jean-Paul Garaud (peu suspect de "gauchisme" si on se rappelle ses propos en faveur la déchéance de nationalité pour les Français d'origine étrangère condamnés pour crimes) exprime ses doutes sur son blog : "Si, dans ce qui est proposé par le Président, nous instaurons enfin une collégialité pour les décisions concernant la détention provisoire, alors Bravo ! Mais pourquoi, dans ces conditions, aller plus loin que les conclusions de la commission d’enquête, remettre en cause les pôles d’instruction qui viennent d’être créés, confier toutes les enquêtes pénales aux Parquets, changer ainsi totalement de régime procédural sans attendre de voir comment fonctionne ce tout nouveau dispositif et alors qu’une commission à la Chancellerie travaille depuis seulement quelques semaines sur la question ?"
L'argument de Jean-Paul Garaud mérite le détour : rendre le Parquet indépendant n'a pas de sens, à part celui de créer un gouvernement des juges. Mais supprimer le juge d'instruction n'en a pas davantage, à part celui de soumettre à l'avenir l'intégralité des enquêtes au bon vouloir du pouvoir exécutif.
Contre la suppression du juge d'instruction
- Le Syndicat de la Magistrature. Cf. l'interview de Laurence Mollaret par Marianne2 : "on peut très bien augmenter les droits de la défense et maintenir le juge d’instruction. L’avocat de la défense a en tête l’intérêt de son client, il n’est pas indépendant : ce n’est pas lui qui ira contrôler où le magistrat enquête ou pas. Un avocat de la défense avec plus de droit ne remplacera jamais un juge d’instruction."
- L'Union Syndicale des Magistrats : "Sa volonté de voir le juge d’instruction, magistrat indépendant, privé de ses pouvoirs d’enquête au profit d’un magistrat du Ministère Public, soumis hiérarchiquement au Garde des Sceaux, confirme la reprise en main politique de la Justice , que l’USM n’a eu de cesse de dénoncer depuis 18 mois."
- Eva Joly, ancienne juge d'instruction, notamment de l'affaire Elf.
- Renaud van Ruymbeke, ancien juge d'instruction: "La réforme transfère ainsi ses prérogatives au parquet sans assurer le préalable indispensable à une telle évolution, à savoir l'indépendance des procureurs."
- Me Patrick Maisonneuve, avocat de Gilles Ménage dans l'affaire des écoutes de l'Elysée sous François Mitterrand: "le parquet est déjà chargé de poursuivre les suspects et de porter l'accusation à l'audience ; il ne pourra pas mener des investigations à décharge".
- Me Léon-Lev Forster, avocat de Charles Pasqua et de Julien Dray : "une justice égale pour tous exige que l'enquête ne soit pas la seule affaire de ceux qui choisissent de poursuivre"
- Me Pascal Garbarini, avocat d'Ivan Colona : "on ne peut pas envisager une telle modification sans offrir des garanties aux droits de la défense".
- L'avocat et blogueur Philippe Bilger : "il faut achever le juge d'instruction"
- Me Thierry Herzog, avocat de ... Nicolas Sarkozy dans l'affaire de la poupée Vaudou.
- Marie-Odile Bertella-Geffroy, vice-présidente, chargée de l'instruction, au Tribunal de grande instance de Paris (a travaillé sur le volet non-ministériel de l'affaire du « sang contaminé ») : "La mort du juge d'instruction paraissait inéluctable tant elle était souhaitée. Voilà des années que l'on nous enlève des pouvoirs et que l'on nous ajoute des contrôles. Nous sommes aujourd'hui les magistrats les plus contrôlés de France. Nous nous sommes spécialisés."
- Éric Dupont-Moretti, avocat au procès d'Outreau : "Quand on place quelqu'un en détention durant huit mois, montrant ainsi que l'on pense qu'il est coupable, il est difficile de mener ensuite des investigations pouvant conduire à son innocence. (...) Que fera demain le juge de l'instruction ?"
- Olivier Metzner, avocat notamment de Loïk Le Floch-Prigent (dans l'affaire Elf), Jean-Marie Messier, Jacques Crozemarie, : "Le juge d'instruction s'est autodétruit en devenant un juge de l'accusation."
- Me Jean-Yves Le Borgne, président de l'Association des avocats pénalistes: "Sans être absolument nécessaire, cette réforme aura le mérite de clarifier les rôles. Aujourd'hui, le juge d'instruction, censé instruire à charge et à décharge, ne peut être que schizophrène, déchiré entre le respect des principes et l'efficacité de son enquête".
- On achève bien les juges d'instruction (Marianne2)