Bref, tout ça pour dire que je recense dans cette nouvelle livraison trois livres d'assez grande qualité :
- Tout d'abord le fameux Rome, regards, du très lyrique Rolf Dieter Brinkmann, paru aux éditions Quidam ;
- Ensuite la poursuite de la réflexion, élégante, sensible et très stimulante d'Elisabeth de Fontenay sur la cause animale, intitulée Sans offenser le genre humain (Albin Michel) ;
- Enfin le recueil déjà maintes fois encensé d'Alice Munro, Fugitives, paru à L'Olivier.
Mais je conseillerai aussi d'y lire l'analyse, à maints égards touchante, en tout cas très personnelle, que Stéphane Beau livre sur Michel Onfray. A deux ou trois redondances près, qui me semblent surtout témoigner de sa salutaire obsession, je partage assez exactement son point de vue, et j'ai été sensible à la belle ambiguïté dans laquelle il se trouve, qui le conduit à acquiescer à une pensée dont il n'apprécie pas l'auteur. Stéphane Beau le dit avec des mots très justes, et toujours avec beaucoup d'empathie : il est suffisamment rare aujourd'hui que ce distinguo, qui semblerait pourtant aller de soi, soit aussi authentiquement exploré, et cela seul mérite d'être souligné. Sur le fond enfin, c'est-à-dire sur ce paradoxe (apparent) entre une pensée d'assez belle facture et une personnalité aux facettes parfois belliqueuses, voire excommunicatrices, il faut souligner la cohérence intime entre une certaine manière de radicalité et une certaine manière d'être. Il ne s'agit pas là d'un jugement de valeur, mais d'un fait, dont la cohérence interne pourrait d'ailleurs être appréciée comme il se doit par Michel Onfray : sa pensée, qui non seulement ne vise pas à relier les hommes mais aspire à maintenir éveillé en eux ce qui sépare, tranche et distingue, ne peut être portée sur le long terme qu'à la condition d'être soi-même dans une attitude relative de déni de l'autre. Stéphane Beau évoque Robespierre, et en effet il y a de cela chez Onfray ; et Saint-Just n'est jamais très loin. En résumé, s'il faut toujours s'incliner devant la Justice, il n'en faut pas moins se défier des justiciers. Bien malgré lui sans doute, Michel Onfray, à cette aune, apporte de l'eau au moulin de ceux pour qui toute idée révolutionnaire induit la violence, donc l'injustice - même si cette idée très rapide d'un lien intrinsèque entre injustice et violence mériterait évidemment d'être creusée avec toutes les réserves et nuances nécessaires. C'est là une discussion déjà très ancienne, que je ne fais ici qu'effleurer pour renvoyer au texte de Stéphane Beau, mais que nos temps paraît-il avides de rupture seraient bien avisés de ne pas perdre de vue.