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19 janvier 1809/Naissance d’Edgar Poe

Par Angèle Paoli
Éphéméride culturelle à rebours


Le 19 janvier 1809 naît à Boston Edgar Allan Poe.


  « Poe fut véritablement l’enfant de la passion et de l’aventure. Un riche négociant de la ville, M. Allan, s’éprit de ce joli malheureux que la nature avait doté d’une manière charmante, et, comme il n’avait pas d’enfants, il l’adopta. Celui-ci s’appela donc désormais Edgar Allan Poe. Il fut ainsi élevé dans une belle aisance et dans l’espérance légitime d’une de ces fortunes qui donnent au caractère une superbe certitude… »

Charles Baudelaire, Edgar Poe, sa vie et ses œuvres, 1856, in Edgar Allan Poe, Œuvres en prose, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1951, page 1033.

LES AVENTURES D’ARTHUR GORDON PYM


  Traduit en 1858 par Charles Baudelaire, Les Aventures d’Arthur Gordon PymThe Narrative of Arthur Gordon Pym of Nantucket ―, roman d’Edgar Allan Poe, est d’abord publié en janvier 1837 sous forme de feuilleton dans le Southern literary Messenger. Deux éditions parurent en 1838 à New York et à Londres. Œuvre de jeunesse marquée par les lectures adolescentes d’Edgar Poe, le roman est de facture inégale. Derrière la voix narrative de Pym, relayée par celle de Poe lui-même, alternent épisodes fantastiques et pages documentaires, réflexions codées sur le langage et l’écriture et séquences oniriques. En dépit de ses imperfections, le roman d’Edgar Poe ouvre la voie à de grands récits maritimes. Depuis Tamango (1830) de Mérimée au Sphynx des glaces (1897) de Jules Verne, en passant par Pierre Mac Orlan, Stevenson et Conrad. Et par Moby Dick (1850) d’Herman Melville.

XVIII

Hommes nouveaux


   19 janvier [1828].― Ce jour-là, nous trouvant par 83° 20’ de latitude et 43° 5’ de longitude ouest (la mer était d’un foncé extraordinaire), la vigie signala la terre de nouveau, et, à un examen attentif, nous découvrîmes que c’était une île appartenant à un groupe de plusieurs îles très vastes. La côte était à pic et l’intérieur semblait bien boisé, circonstance qui nous causa une grande joie. Quatre heures environ après avoir découvert la terre, nous jetions l’ancre sur dix brasses de profondeur, avec un fond de sable, à une lieue de la côte ; car un fort ressac, avec des remous courant ça et là, en rendait l’abord d’une commodité douteuse. Nous reçûmes l’ordre d’amener les deux plus grandes embarcations, et un détachement bien armé (dont Peters et moi nous faisons partie) se mit en devoir de trouver ouverture dans le récif qui faisait à l’île une espèce de ceinture. Après avoir cherché pendant quelque temps, nous découvrîmes une passe où nous entrions déjà, quand nous aperçûmes quatre grands canots qui se détachaient du rivage, chargés d’hommes qui semblaient bien armés. Nous les laissâmes arriver et, comme ils manœuvraient avec une grande célérité, ils furent bientôt à portée de la voix. Le capitaine Guy hissa alors un mouchoir blanc à la pointe d’un aviron ; mais les sauvages s’arrêtèrent tout net et se mirent soudainement à jacasser et à baragouiner très-haut, poussant de temps en temps de grands cris parmi lesquels nous pouvions distinguer les mots : Anamoo-moo ! et Lama Lama ! Ils continuèrent leur vacarme pendant une bonne demi-heure, durant laquelle nous pûmes examiner leur physionomie tout à loisir.
   Dans les quatre canots, qui pouvaient bien avoir cinquante pieds de long et cinq de large, il y avait en tout cent dix sauvages. Ils avaient, à peu de chose près, la stature ordinaire des Européens, mais avec une charpente plus musculeuse et plus charnue. Leur teint était d’un noir de jais, et leurs cheveux, longs, épais et laineux. Ils étaient vêtus de la peau d’un animal noir inconnu, à poils longs et soyeux, et ajustés assez convenablement au corps, la fourrure tournée en dedans, excepté autour du cou, des poignets et des chevilles. Leurs armes consistaient principalement en bâtons d’un bois noir et en apparence très-lourd. Cependant, nous aperçûmes aussi quelques lances à pointe de silex et quelques frondes. Le fond des canots était chargé de pierres noires de la grosseur d’un gros œuf.
   Quand ils eurent terminé leur harangue (car c’était évidemment une harangue que cet affreux baragouinage), l’un d’eux, qui semblait être le chef, se leva à la proue de son canot et nous fit signe à différentes reprises d’amener nos embarcations au long de son bord. Nous fîmes semblant de ne pas comprendre son idée, pensant que le parti le plus sage était de maintenir, autant que possible, un espace suffisant entre lui et nous ; car ils étaient plus de quatre fois plus nombreux que nous. Devinant notre pensée, le chef commanda aux trois autres canots de se tenir en arrière, pendant qu’ils s’avançaient vers nous avec le sien. Aussitôt qu’il nous eut atteints, il sauta à bord du plus grand de nos canots, et il s’assit à côté du capitaine Guy, montrant en même temps du doigt la goélette et répétant les mots : Anamoo-moo ! Lama-Lama ! Nous retournâmes vers le navire, les quatre canots nous suivant à quelque distance.
   En arrivant au long du bord, le chef donna des signes d’une surprise et d’un plaisir extrêmes, claquant des mains, se frappant les cuisses et la poitrine et poussant des éclats de rire étourdissants […]
   Quand nos visiteurs eurent satisfait de leur mieux leur curiosité relativement au gréement et au pont, ils furent conduits en bas, où leur étonnement dépassa toutes les bornes. Leur stupéfaction semblait trop forte pour s’exprimer par des paroles, car ils rôdaient partout en silence, ne poussant de temps à autre que de sourdes exclamations. Les armes leur fournissaient une grosse matière à réflexion, et on leur permit de les manier à loisir. Je crois qu’ils n’en soupçonnaient pas le moins du monde l’usage, mais qu’ils les prenaient plutôt pour des idoles, voyant quel soin nous en prenions et l’attention avec laquelle nous guettions tous leurs mouvements pendant qu’ils les maniaient. Les canons redoublèrent leur étonnement. Ils s’en approchèrent en donnant toutes les marques de la vénération et de la terreur la plus grande, mais ne voulurent pas les examiner minutieusement. Il y avait dans la cabine deux grandes glaces, et ce fut là l’apogée de leur émerveillement Too-wit fut le premier qui s’en approcha, et il était déjà parvenu au milieu de la chambre, faisant face à l’une des glaces et tournant le dos à l’autre, avant de les avoir positivement aperçues. Quand le sauvage leva les yeux et qu’il se vit réfléchi dans le miroir, je crus qu’il allait devenir fou ; mais, comme il se tournait brusquement pour battre en retraite, il se revit encore faisant face à lui-même dans la direction opposée ; pour le coup je crus qu’il allait rendre l’âme. Rien ne put le contraindre à jeter sur l’objet un second coup d’œil ; tout moyen de persuasion fut inutile ; il se jeta sur le parquet, cacha sa tête dans ses mains et resta immobile, si bien qu’enfin, nous nous décidâmes à le porter sur le pont.
   Tous les sauvages furent ainsi reçus à bord successivement, vingt par vingt ; quant à Too-wit, il lui faut accordé de rester tout le temps.

Edgar Allan Poe, Les Aventures d’Arthur Gordon Pym, in Œuvres en prose, Bibliothèque de La Pléiade, Éditions Gallimard, 1951, pp. 639-640-641-642.



Voir aussi :
- (sur Terres de femmes) 1er mars 1853/Publication de la traduction du Corbeau d'Edgar Allan Poe par Baudelaire.



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