Selon le Monde du 15 janvier, on a constaté, dans les quatorze premiers jours de 2009, treize suicides dans les prisons françaises. Les autorités compétentes ont été émues par cette situation. Vendredi 16 janvier, au cours du journal de 13 heures de France 2, M. Claude d’Harcourt, Directeur de l’Administration pénitentiaire, s’est exprimé ainsi : « Dans ces cas identifiés, eh bien les mesures que nous avions prises n’ont pas permis, euh … ». Là, il s’interrompt, baisse les yeux, semblant chercher à lire des notes sur un papier hors du champ de la caméra, et poursuit : « d’éviter l’option …euh … suicidaire ». Plutôt que d’imaginer qu’il nous ait livré ainsi un texte écrit à l’avance, je préfère supposer qu’il n’est pas parvenu à déchiffrer son pense-bête et qu’il a achevé sa phrase avec les premiers mots qui lui venaient à l’esprit.
Quoi qu'il en soit, cette phrase est inepte. En effet, seul un être vivant est susceptible de se trouver dans un état suicidaire et donc prêt à mettre fin à ses jours. On ne peut donc qualifier de suicidaire un objet abstrait, comme une option. Plutôt que de recourir à un adjectif, il eut été plus exact de parler de « l’option du suicide ». Mais, s’agit-il d’une dérobade volontaire ou d’un réflexe inconscient, la réalité du suicide et, en conséquence, l’éventuelle part de responsabilité de ceux qui ont la charge de nos prisons, sont précisément ce que ceux-ci cherchent à nier. On peut relever un double glissement du vocabulaire, en évacuant d’abord l’être humain au profit d’une abstraction, et ensuite en dissimulant l’acte irrémédiable du suicide derrière un état suicidaire qui, lui, ne se traduit heureusement pas fatalement par ce même acte.
Dans le même registre de la maîtrise de notre langue, mais dans des circonstances nettement plus heureuses, je reviens sur les commentaires suivant le miraculeux amerrissage d’un Airbus A320 à New York. La plupart, sinon la totalité, de nos brillants journalistes se sont émerveillés à loisir de cet amerrissage en douceur sur « l’Hudson river ». Si, en français, certains noms géographiques indiquent la nature de l’objet désigné, tels le Lac du Bourget ou le Mont Blanc, les noms de fleuves et de rivières ne sont, ni précédés, ni suivis, d’une semblable indication. On dit la Loire, la Meuse, etc. Pourquoi donc nos journalistes ne peuvent-ils tout simplement dire « sur l’Hudson » ? Comme peu d’entre nous savent qu’Hudson est l’explorateur anglais qui remonta le premier ce fleuve, il n’y a guère de risques que l’on pense que cet Airbus se soit posé sur la tête de ce valeureux découvreur. Cette expression fautive résulte-t-elle d’une prétention à manifester que l’on possède la langue américaine ou tout simplement d’une regrettable ignorance ? Je l’ignore mais c’est assurément ce type de raison qui a conduit les plus prétentieux de ces professionnels, au temps de la princesse Diana, à nous parler souvent de «Lédidi », lorsque les Britanniques idolâtraient « Lédidaye » et quand le Français de base se serait contenté d’un très populaire « Ladidi ».