Les cerfs-volants de Kaboul Le retour du père prodigue

Par Julien Peltier



En Afghanistan, il est un passe-temps qui, depuis toujours, a suscité les passions des enfants : le cerf-volant. Les écoliers se livrent à des joutes aériennes, dont le but est de libérer le jouet de l’adversaire, après avoir virevolté gracieusement autour du cordon jusqu’à ce que celui-ci cède sous la pression. Les péripéties de deux garçonnets, adeptes de ce jeu et séparés par la guerre, servent de toile de fond à ce joli film, dont la facture américaine n’ôte rien au remarquable travail de reconstitution, adaptation du roman éponyme de Khaled Hosseini.


© Paramount Pictures
L’Afghanistan n’a pas toujours été ce pays frappé de tant de malédictions successives. En ces « seventies » finissantes, Kaboul compte certes déjà quelques rares burqa et guère plus de cinémas, mais la capitale afghane présente un visage serein. La ville, pas plus que le pays, ne baigne dans l’opulence, pourtant ils sont en paix, et pas encore défigurés par trois décennies de guerre presque ininterrompue. Amir et Hassan sont deux gamins qui jouent au cerf-volant. Et ils y jouent bien, remportant même un concours épique avant d’être pris à parti par trois petits voyous qui font un bien triste sort au second. La scène se déroule sous les yeux du premier, réduit à l’impuissance par sa propre lâcheté. Hanté par sa trahison, Amir, dont la mère est morte en couche, monte un stratagème pour faire accuser de vol son fidèle ami Hassan, dont le père hazara préfère quitter le domicile familial, sous le coup de cette humiliation. Il y officiait, tout comme son fils, en qualité de domestique, comme de nombreux hazara, un petit peuple héritier des guerriers mongols établis dans la région après l’invasion du Khwârezm*, qui fait figure de minorité constamment opprimée par l’ethnie traditionnelle dominante des Pachtounes. Après l’invasion soviétique de 1979, venue prêter main forte au nouveau régime communiste élu, Amir et son père sont menacés par la chasse aux élites, et contraints de fuir aux Etats-Unis. Vingt années s’écoulent, jusqu’à que le passé refasse surface, conduisant Amir, désormais jeune marié et écrivain tout juste publié, à retourner au pays de son enfance, alors enseveli sous les ténèbres de l’intégrisme islamiste des talibans. Il n’est plus question de cerfs-volants, mais de sauver un enfant, celui d’Hassan…

© Paramount Pictures
Back in black
« Les cerfs-volants de Kaboul » a été réalisé en 2007 par le Suisse Marc Forster, déjà auteur de « Neverland » et qui s’est, depuis, largement fait connaître du grand public en tournant le dernier volet des aventures du célèbre agent secret britannique James Bond : « Quantum of solace ». Le film avait reçu un accueil plutôt mitigé de la part de la critique qui lui avait reproché son caractère par trop conventionnel. Il est vrai que l’œuvre enchaîne un certain nombre de scènes attendues, à commencer par les retrouvailles avec l’enfant, au terme de l’une des rares séquences du film manquant de quelque crédibilité. Outre l’optimisme résolu et la beauté du récit, qui semble respecter la lettre du roman dont il est l’adaptation à l’écran, « Les cerfs-volants de Kaboul » vaut surtout pour la saisissante reconstitution qu’il propose, tant de l’Afghanistan d’avant-guerre que du pays écrasé sous le joug des talibans. Il eut été plus audacieux, et bienvenu, d’entendre les protagonistes parler leur langue maternelle, à l’instar du choix de Steven Soderbergh pour son remarquable « Che ». Le casting est juste, l’acteur iranien Homayon Ershadi, qui interprète le père d’Amir, livrant une belle performance, tandis que le Français Saïd Taghmaoui joue les seconds couteaux. Autre mérite du film, il rend bien compte de la pesanteur des traditions qui régissent la diaspora afghane. C’est peut-être dans cette chronique, si éloignée de nos préoccupations occidentales, même lorsqu’elle prend place sous le soleil californien, que réside la vraie valeur de ces « cerfs-volants de Kaboul ».
Ujisato

© Paramount Pictures
Réalisé par Marc Forster
Avec Khalid Abdalla, Homayon Ershadi, Saïd Taghmaoui
Durée : 2h
Année de production : 2007
Titre original :
The Kite Runner

© Paramount Pictures
* Lire à ce sujet l’article consacré aux campagnes mongoles à l’Ouest