Chiffres de sondages à l'appui et sans avarice en matière d'arguments, cette lettre d'un candidat dans la dernière course à la Maison Blanche, le 3ème sortant après le malheureux battu John MCain, à Barack Obama illustre le désenchantement...
Cher Sénateur Obama,
A cours de vos deux années de campagne présidentielle, les mots "changement et espoir" ont été la marque de fabrique de vos déclarations. Il y a pourtant une dissonance entre ces objectifs et votre personnage politique qui succombe à des cercles de pouvoir contraires, nullement désireux d'espoir et de changement, mais souhaitant au contraire voir perdurer le statu quo du pouvoir établi.
Bien plus que le sénateur McCain, vous avez reçu d'énormes contributions financières, sans précédent, venant d'intérêts commerciaux, de Wall Street, et, plus intéressant encore, d'importants cabinets spécialisés en droit des sociétés.
Pourquoi, en dehors votre vote inconditionnel en faveur de la subvention de 700 milliards de dollars à la Bourse, ces très importants intérêts ont-ils tellement investi dans le Sénateur Obama ? Serait-ce parce que votre rapport de Sénateur de l'Etat de l'Illinois, votre rapport de sénateur des Etats-Unis et votre rapport de campagne présidentielle, sont en faveur de la puissance nucléaire, de forages pétroliers en mer, des subventions aux entreprises, y compris du Mining Act de 1872 (Loi Minière), et qu'ils évitent tout programme détaillé de sanctions contre la vague de délits financiers, et de réductions du budget militaire obèse et ruineux ?
Pour faire avancer le changement et l'espoir, la personne du président exige du caractère, du courage, de l'intégrité. Prenez, par exemple votre transformation : d'ardent défenseur des droits des Palestiniens - à Chicago avant votre course pour le Sénat des Etats-Unis – vous êtes devenu l'acolyte, le reflet des "durs" d'un lobby dur, l'AIPAC, qui milite pour le renforcement de l'oppression militaire, de l'occupation, des bouclages, de la colonisation et de la confiscation des terres aquifères du peuple palestinien et de ses territoires rétrécis en Cisjordanie et à Gaza.
Eric Alterman a repris de nombreux sondages, dans un numéro de décembre 2007 de "The Nation magazine", et montré que la majorité des Juifs américains sont
opposés à la politique de l'AIPAC.
Vous savez pertinemment qu'il ne peut y avoir de résolution heureuse de ce conflit qui dure depuis 60 ans, sans une intervention du gouvernement des Etats-Unis en faveur des mouvements pour la paix israéliens et palestiniens. Mais vous vous alignez sur les extrémistes, au point d'avoir soutenu, dans votre discours infâme et humiliant à la convention de l'AIPAC, juste après être devenu le vainqueur du parti Démocrate, l'idée de l'indivisibilité de Jérusalem, et de vous être opposé à des négociations avec le gouvernement Hamas de Gaza.
Une fois encore, vous avez ignoré la volonté du peuple israélien qui, dans un sondage du 1er mars 2008 publié par le très respecté quotidien Ha'aretz, a montré que 64% des Israéliens sont favorables à des négociations directes avec le Hamas.
Se mettre du côté des faucons de l'AIPAC c'est ce qu'un des nombreux Palestiniens qui appellent au dialogue et à la paix avec le peuple israélien décrivait en disant : "l'antisémitisme aujourd'hui c'est la persécution de la société palestinienne par l'Etat d'Israël...".
Quand vous êtes allé en Israël cet été, vous n'avez consacré que 45 minutes de votre temps aux Palestiniens, sans conférence de presse, ni visite des camps de réfugiés palestiniens, ce qui aurait attiré l'attention des medias sur la brutalité infligée aux Palestiniens. Votre visite était un soutien au bouclage illégal et cruel de Gaza, au mépris du droit international et de la charte des Nations Unies.
Vous vous êtes intéressé aux victimes du sud d'Israël, qui ces dernières années a compté une victime civile pour 400 victimes palestiniennes à Gaza. Au lieu des qualités d'homme d'Etat qui discrédite la violence mais favorise l'acceptation de la proposition faite en 2002 par la Ligue Arabe pour permettre un état palestinien dans les frontières de 1967 en échange de pleines relations économiques et diplomatiques avec les pays Arabes et Israël, vous avez tenu le rôle d'un politicien médiocre, qui quitte la région et les Palestiniens, sans respect pour eux.
Devid Levy, ancien négociateur de paix israélien, a décrit votre visite succinctement : "Il y avait comme l'affichage délibéré d'une indifférence au fait qu'il y a deux histoires ici. Cela pourrait le servir comme candidat, mais certainement pas comme Président."
Le commentateur palestino-américain, Ali Abunimah, a noté qu'Obama n'a pas émis une seule critique à l'égard d'Israël, de sa colonisation inexorable, du mur en construction, des bouclages qui rendent la vie de millions de Palestiniens insupportable... Même l'administration Bush a récemment critiqué l'usage israélien des bombes à fragmentation contre les civils du Liban (voir www.atfl.org).
Mais Obama a défendu l'attaque d'Israël contre le Liban parlant de l'exercice de son droit légitime de se défendre.
Dans de nombreux article, Gideon Levy, écrivant pour Ha'aretz, a durement critiqué l'attaque du gouvernement israélien contre les civils de Gaza, y compris les attaques contre le cœur de camps de réfugiés surpeuplés dans un terrible bain de sang, au début de 2008. Or, il vous a présenté comme "celui qui a pulvérisé tous les records d'obséquiosité et de servilité devant l'AIPAC", ajoutant qu'en se comportant ainsi "Obama est prêt à sacrifier les intérêts américains les plus basiques. Après tout, les Etats-Unis ont un intérêt vital à la réalisation d'une paix israélo-palestinienne qui leur permettrait de trouver leur chemin dans le cœur des masses arabes, de l'Irak jusqu'au Maroc. Obama a entâché cette image dans le monde musulman et a hypothéqué son futur. Une des choses dont je suis certain : les déclarations d'Obama à la conférence de l'AIPAC sont très très mauvaises pour la paix. Et ce qui est mauvais pour la paix est mauvais pour Israël, mauvais pour le monde et mauvais pour le peuple palestinien."
Une autre illustration de votre manque de caractère est la manière dont vous tournez le dos aux Musulmans américains de ce pays. Vous avez refusé d'envoyer des délégués parler aux électeurs, à l'occasion des fêtes musulmanes. Vous avez visité de nombreuses églises et synagogues, mais refusé de vous rendre dans une seule mosquée d'Amérique.
Même Georges W. Bush a rendu visite à la Grande Mosquée de Washington (District de Columbia) après le 9.11 pour rassurer un groupe religieux important et
effrayé d'innocents.
Le New York Times a publié un grand article le 24 juin 2008 sous le titre : "Les électeurs musulmans se sentent rejetés par Obama" (par Andrea Elliott), citant des exemples de votre aversion pour ces Américains, qui travaillent pourtant comme les autres à faire vivre un jour le rêve américain. Trois jours plus tôt l'International Tribune avait publié un article de Roger Cohen intitulé "Pourquoi Obama devrait se rendre dans une mosquée". Aucun de ces commentaires et reportages n'a toutefois modifié votre attitude hostile aux Musulmans-Américains, même si votre père était un musulman du Kenya.
Rien peut-être n'illustre mieux votre incroyable absence de courage politique que votre capitulation devant l'exigence des faucons d'interdire à l'ex-président Jimmy Carter de prendre la parole à la Convention Nationale Démocrate. C'est pourtant la tradition pour les anciens présidents, et Bill Clinton a d'ailleurs eu droit à une heure de grande écoute cette année.
Mais le livre de Carter pressant Israël de mettre un terme à l'Apartheid des Palestiniens et de faire la paix, a suffi à le mettre sur la touche. Il a été privé de discours et a dû se contenter d'un petit tour sur scène, sous des applaudissements tumultueux, après la projection d'un film sur le travail du Centre Carter après le passage de l'ouragan Katrina. Honte à vous, Barack Obama !
Mais alors votre honteuse conduite s'est étendue à d'autres secteurs de la vie américaine. Vous avez tourné le dos aux cent millions d'Américains pauvres, qui se composent de Blancs, d'Africano-Américains et de Latinos. Vous mentionnez toujours l'aide à la classe moyenne mais vous omettez constamment de mentionner les pauvres d'Amérique.
Si vous êtes élu président, ce devra être plus qu'une ascension professionnelle sans précédent après une brillante campagne dénuée de scrupules, qui parlait de
changement mais montrait surtout une véritable révérence envers les grandes firmes arrogantes. Il faudra faire passer le pouvoir des mains de quelques uns à celles d'un plus grand nombre. A la Maison Blanche, le président noir ne devra pas tourner le dos aux opprimés d'ici et d'ailleurs, mais affronter les forces de l'avidité, du contrôle dictatorial du travail, des consommateurs et des contribuables, ainsi que la militarisation de la politique étrangère. Il faudra une Maison Blanche qui s'attache à transformer la politique américaine, en donnant une chance au plus grand nombre d'être entendus dans les débats et dans la plénitude de leurs libertés civiles actuellement limitées.
Votre campagne présidentielle a encore et encore prouvé des positions de lâche. L'espoir, dit-on, est éternel. Mais pas quand la réalité le dévore jour après jour.
Sincèrement
Ralph Nader
*Ralph Nader était candidat à la présidence, sous l'étiquette indépendant, dans 45 Etats.