La pub entre tabous et respect de la différence.
Domenico (Dolce) & Stefano (Gabbana) sont gays et la leur est une longue histoire d’amour. 19 ans de vie commune, ça compte ! Quoi de plus logique, pour la pub Dolce & Gabbana, de mettre en scène ce qui les touche de près : l’amour homo. Le film se termine sur un baiser gay à effet miroir.
Un clin d’œil pertinent et impertinent à son « double ». Ce spot qui met en scène l'homosexualité a été accueilli sans l'ombre d'une polémique.
Pourtant, il y a trois ans, une affiche homo conçue pour Rainbow attitude, le Salon des gays et lesbiennes, avait provoqué un raz-de-marée. Allongés au soleil, sur un matelas pneumatique bleu, il & il s'embrassent avec volupté. [1]
L’accroche ? "Ça change quoi, pour vous ? Parce que pour nous, c'est important."
En effet, ça a changé beaucoup de choses pour beaucoup de personnes. Refusée par Metrobus et interdite par le BVP, l’affiche a lancé un débat sans issue entre ceux qui voulaient l’interdire et ceux qui accusaient la censure de position homophobe. L’affiche était devenue un symbole de la liberté d'expression et du respect de la différence et a fini par être diffusée grâce à l’intervention de la Halde[2] Un forcing qui n'a pas plu à tout le monde. La réaction du grand public n'a pas tardé à se faire sentir. Beaucoup d’affiches dégradées, taguées et remplies d’insultes. Tandis que certains criaient à l’homophobie.
Et voilà que trois après, le spot Dolce & Gabbana passe comme une lettre à la poste. Juste quelques plaintes. Et cette fois ce n’est même pas la mise en scène de l’homosexualité qui est remise en question, mais le principe déontologique de la protection des jeunes enfants. Après examen, le BVP [3] délivre un avis favorable, sans restriction de diffusion. Une véritable révolution !
Si les changements de notre société, notamment au niveau sociologique, permettent de briser certains tabous, pour la pub est bien plus difficile d’en déterminer les limites. Comment savoir quel est le meilleur équilibre entre la discrimination à l’égard de minorités et la protection des enfants ? Comment faire la différence entre une pudibonderie abusive et une sensibilité sincère ? Comment savoir où se termine la légitimité et où commence la provocation ? Comment respecter la diversité en même temps que les valeurs traditionnelles ? Comment concilier les principes déontologiques des uns et des autres ? Et encore, faut-il respecter certaines sensibilités ou provoquer pour créer une prise de conscience au sein de la société ? Bref, comment la pub peut bien faire en slalomant entre les peaux de bananes ?
Certes, la publicité c’est le réflexe des tendances, des désirs, des besoins et des changements de la société à un moment donné. Et quand les mentalités évoluent, elle bouge avec. Alors pourquoi la dernière affiche de prévention contre le VIH a été interdite à la diffusion ? Il y a de quoi perdre son nord. Le BVP explique que la publicité montrait le couple d’homosexuels faisant l’amour dans une position “hyper sexualisée”, susceptible de choquer l’opinion. [4]
Mais vous pouvez ranger vos œufs pourris. «L’homosexualité ne pose pas de problème, affirme Joseph Besnaïnou, directeur général du BVP, la limite que nous incitons aujourd’hui à respecter est celle de la décence, comme pour l’hétérosexualité » Bref, hétéro ou homo, même combat quand il s'agit de cul. En effet, quel besoin de rentrer dans les détails ou d'aller trop loin quand les petits sont dans les parages ? Et, dans le cas spécifique de la campagne officielle contre le sida, a-t-on vraiment besoin de préciser que les deux mecs ne sont pas là pour jouer à Trivial Poursuit ?
Je ne peux pas m’empêcher de penser à une vieille, magnifique campagne d’Ikéa où les deux garçons essayaient un matelas. Les sentiments passaient à travers leurs regards complices et le spot dégageait une forte sensualité, sans rien montrer. L’implicite aussi peut être très puissant. Une chose est sûre, bien que le monde avance, homosexualité, diversité, religion, racisme, mort et bien d’autres tabous socioculturels restent encore des thèmes sensibles, à manier avec des pincettes. Certains voudraient que la pub reste un miroir, d'autres qu’elle soit le moteur du changement. Que doivent faire les publicitaires, coincés entre création et provocation, tabous et respect de la différence ? Et si Doris Lussier [5]avait raison ? «Quand la vérité n’ose pas aller toute nue, la robe qui l’habille mieux c’est l’humour »
POST-IT :
Plus de 300 personnes ont signé la pétition. Et 248 personnes soutiennent le JSP chez Facebook.
Et vous, qu'attendez-vous ? :
http://www.lapetition.com/sign1.cfm?numero=1699
Notes
[1] http://www.comlive.net/L-affiche-Publicitaire-Du-Salon-Rainbow-Attitude,71479.htm
[2] HALDE : Haute autorité contre les discriminations
[3] BVP = Bureau de Vérification de la Publicité devenu ARPP Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité
[4] http://ouvrelesyeux.wordpress.com/2007/12/25/une-campagne-contre-le-sida-censuree/
[5] http://www.acsm-ca.qc.ca/virage/personne-agee/humour-etat-de-grace.html