La Marquise des Ombres
La biographie romancée est un exercice périlleux. Avec celle de Marie-Madeleine d'Aubray, marquise de Brinvilliers, Catherine Hermary-Vieille assure avec élégance mais aussi avec une froideur de glace qui surprend le lecteur avant de s'affirmer comme une méthode pas si bête que ça pour dresser le portrait d'une psychopathe. Dommage que cette méthode se révèle si frustrante à l'arrivée.
Dans le cultissime "Silence des Agneaux", Thomas Harris a magnifiquement dépeint le défaut de conscience, la maîtrise absolue et au-delà de la normale qui caractérisent le Dr Lecter, personnage inspiré, dit-on, par plusieurs tueurs en série parmi les plus intelligents. Par la suite, il ira plus loin en tentant de trouver, dans l'enfance de Lecter, la faille par laquelle s'infiltre le déséquilibre.
C'est cette éternelle question : "Le psychopathe est-il né ainsi et, sinon, quand a-t-il sombré ?" que l'on continue à poser dans le cas de serial killers comme Ted Bundy ou Ed Kemper - c'est-à-dire deux hommes qui ont usé de préméditation et, dans le cas de Kemper en tous cas, n'en ont jamais fait mystère.
Toutes proportions gardées, c'est un peu ce qu'a tenté de faire ici Catherine Hermary-Vieille pour celle dont le procès préfigura, dans notre pays, au XVIIème siècle, cette "Affaire des Poisons" qui allait menacer jusqu'à la cour de Louis XIV.
La romancière règle le problème dès les premiers chapitres : l'abus sexuel perpétré contre la toute jeune Marie-Madeleine par un professeur de dessin anonyme, fasciné par sa beauté de petite poupée docile, puis la certitude que cette beauté et le sexe sont les seuls moyens pour obtenir et retenir l'attention des autres et principalement des hommes. Comme chez la majeure partie des tueurs en série, le manque d'amour parental dont souffrit la future marquise de Brinvilliers est patent. Comme presque toujours également, on observe chez elle un repli permanent sur elle-même afin de dissimuler ses émotions les plus intimes et les plus vraies.
Pour autant, Catherine Hermary-Vieille ne se livre pas à une analyse des motivations les plus profondes de Marie-Madeleine. Elle n'évoque même pas la folie qui, lentement s'installe : elle nous laisse l'observer. Elle prend grand soin de se maintenir à distance du personnage et elle le fait si bien que le lecteur en pâtit. Lui non plus n'ira pas plus loin que la froideur pathologique, les apparences lisses et logiques. Mme de Brinvilliers tue essentiellement pour l'argent et rien ne sera dit des motifs inconscients qui la poussèrent à passer à l'acte.
Bien sûr, le XVIIème siècle ne connaissait pas encore Freud mais le lecteur du XXIème, lui, ne peut l'ignorer. Aussi, bien qu'il reste sensible à l'intérêt de cette présentation glacée de l'héroïne, en voit-il très vite les limites et reste-t-il sur sa faim : quand il referme ce livre, les ombres qui accompagnent Mme de Brinvilliers se sont encore épaissies et quelque chose d'essentiel dans cette personnalité ambiguë nous reste étranger. ;o)