Marguerite Duras. L’amant de la Chine du nord (Ed. Gallimard).
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« Quelquefois quand ils étaient très petits, la mère les emmenait voir la nuit de la saison sèche. Elle leur disait de bien regarder ce ciel, bleu comme en plein jour, cet éclairement de la terre jusqu'à la limite de la vue. De bien écouter aussi les bruits de la nuit, les appels des gens, leurs rires, leurs chants, les plaintes des chiens aussi, hantés par la mort, tous ces appels qui disaient à la fois l'enfer de la solitude et la beauté des chants qui disaient cette solitude, il fallait aussi les écouter. Que ce qu'on cachait aux enfants d'habitude il fallait au contraire le leur dire, le travail, les guerres, les séparations, l'injustice, la solitude, la mort. Oui, ce côté-là de la vie, à la fois infernal et irrémédiable, il fallait aussi le faire savoir aux enfants, il en était comme de regarder le ciel, la beauté des nuits du monde. Les enfants de la mère lui avaient souvent demandé de leur expliquer ce qu'elle entendait par là. La mère avait toujours répondu à ses enfants qu'elle ne savait pas, que personne ne savait ça. Et que ça aussi il fallait le savoir. Savoir, avant tout, ceci : qu'on savait rien. Que même les mères qui disaient à leurs enfants qu'elles savaient tout, elles ne savaient pas.»