L'Asie, anxieuse, attend Barack Obama, par Sylvie Kauffmann (Le Monde)
Publié le 18 janvier 2009 par Fouchardphotographe @fouchardphoto
C'est une charmante petite école, éclaboussée de soleil,
exubérante de verdure et débordante de vie au moment de la
récréation. Il y a pourtant quelque chose d'imperceptiblement blasé
dans le sourire du directeur, M. Kuwadiyanto, au demeurant très
accueillant. Car il accueille beaucoup. C'est que parmi ses anciens
élèves, l'école élémentaire no 1 de la rue Basuki à Menteng,
quartier soigné du centre de Djakarta, s'enorgueillit
aujourd'hui de compter un président des Etats-Unis, Barack Hussein
Obama.
Arrivé à l'âge de 8 ans, il y passa deux ans, de 1969 à 1971, sous
le règne d'une directrice à chignon dont le regard sévère, dans la
galerie de portraits des anciens directeurs de l'établissement,
toise encore le visiteur. C'est une école pilote, publique et
laïque, et M. Kuwadiyanto ne se plaint pas de cette notoriété
inattendue : grâce à elle, des associations d'anciens élèves et un
club Obama se sont créés. "Et puis, glisse-t-il, l'ambassade des
Etats-Unis nous a dit qu'il viendrait ici."
Dans une interview au Chicago Tribune en décembre 2008, le
président élu Obama a évoqué l'urgence de "relancer l'image des
Etats-Unis dans le monde, en particulier dans le monde musulman" et
précisé qu'il prononcerait, peu après son entrée en fonctions, un
"grand discours" dans une capitale musulmane. A Djakarta, cela ne fait pas
l'ombre d'un doute : cette capitale ne peut être qu'indonésienne.
C'est peu de dire qu'il y est attendu comme l'enfant prodigue... la
seule mention de son nom suscite sourires ravis et frémissements
d'excitation. "Moi je suis un fan absolu, s'exclame le consultant
politique Wimar Witoelar. Son élection est une très bonne nouvelle
pour l'Indonésie, car l'antiaméricanisme, ici, était devenu trop
fort. Lui, non seulement il n'a pas d'antipathie pour l'islam, mais
il sait même ce que c'est !"
Anis Matta, secrétaire général du PKS, parti islamique dont
l'activisme inquiète les musulmans progressistes, parle carrément
d'un "syndrome Obama" qui encourage, au sein de son parti, les
immigrés et les jeunes à faire de la politique. "Moi-même j'ai du
mal à comprendre comment un homme à moitié musulman peut se faire
élire par une majorité d'Américains, dit-il. Ici, un président venu
de Papouasie, c'est
impensable."
Bien sûr, M. Obama n'est pas musulman, même pas à moitié. Mais dans
ce pays de 240 millions d'habitants dont 85 % sont musulmans, on
est sûr que de son enfance indonésienne, outre la langue qu'il
parle encore, M. Obama a gardé le respect et la compréhension de
l'islam, cet islam ouvert et tolérant dont l'archipel est encore un
vibrant exemple, malgré l'influence croissante des groupes
radicaux. Ces jours-ci, ces groupes affirment n'avoir aucun mal à
recruter des volontaires pour partir à Gaza, dans une Indonésie qui
n'a toujours pas de relations diplomatiques avec Israël. Pour
rapprocher l'Islam et l'Occident, quel meilleur endroit, donc, que
l'Indonésie ?
Les relations avec le monde musulman, en Indonésie mais aussi en Inde, au Pakistan
et en Afghanistan ne sont, cependant, que l'une des interrogations
de l'Asie à propos du nouveau président des Etats-Unis. La première
préoccupation est d'ordre économique, au moment où la crise partie
de Wall Street commence à toucher de plein fouet plusieurs pays de
la région. La théorie du découplage avait laissé espérer, en 2008,
que l'Asie, principal foyer de croissance mondiale, serait à l'abri
de la "crise américaine" ; mais, en octobre, il est apparu
clairement que la crise était mondiale. L'Asie en plein essor ne
serait pas épargnée.
La crise a révélé les déséquilibres financiers structurels entre
les Etats-Unis et l'Asie, causés par la surconsommation américaine
et l'épargne asiatique. Comment l'administration Obama va-t-elle
chercher à y remédier ? C'est là la grande attente des Asiatiques,
qui redoutent un retour du protectionnisme. Les démocrates
américains sont traditionnellement perçus comme plus
protectionnistes et les promesses de sauvegarde des emplois
américains pendant la campagne ont résonné outre-Pacifique comme
autant d'avertissements à une Asie trop ambitieuse.
"RELATION POSITIVE ET COOPÉRATIVE"
La Chine se sent directement visée. Les Etats-Unis lui reprochent
de délibérément sous-évaluer sa monnaie, le yuan, afin de favoriser
ses exportations et d'augmenter ses excédents commerciaux. Dans sa
campagne, M. Obama a indiqué qu'une fois élu, il soulèverait le
problème avec Pékin "en utilisant toutes les voies diplomatiques
possibles". Il pourrait augmenter les droits d'importation sur les
produits chinois et être plus combatif sur les violations de
propriété intellectuelle.
Mais beaucoup d'experts asiatiques veulent croire que l'engagement
américain dans le libre-échange prévaudra. La Chine, que George W.
Bush avait qualifiée de "rival stratégique" pendant la campagne de
2000, n'a pas été, cette fois, un objet de polémique électorale. M.
Bush s'était ensuite largement amendé, et il quitte le pouvoir
avec, parmi les rares choses à son actif, des relations
sino-américaines plus que satisfaisantes.
Cette crise qui suscite les inquiétudes de la Chine lui donne aussi
des raisons d'espérer que le réalisme l'emporte à Washington :
Pékin reste le plus grand détenteur de bons du Trésor américain et
l'Amérique a besoin de la Chine pour financer son plan de relance
et l'aider à sortir son économie de l'ornière. Le Tibet attendra,
les droits de l'homme sans doute un peu aussi... De son côté,
l'équipe dirigeante chinoise sait que sa survie dépend de sa
capacité à améliorer le niveau de vie de sa population. Pour cela,
le pays doit continuer à exporter, même s'il tente de s'orienter
vers un modèle de croissance dont le moteur reposerait plus sur la
demande intérieure que sur les exportations. C'est pourquoi, depuis
le début de la crise, Pékin s'abstient de faire la leçon aux
Etats-Unis.
L'Inde, désormais classée au rang des alliés, n'est pas un problème
pour M. Obama. C'est la Chine qui sera la priorité. Hillary Clinton
a prôné, au Sénat, une "relation positive et coopérative" avec
Pékin. La phrase est vague mais elle aura rassuré : au seuil d'une
année pleine d'incertitudes, les dirigeants asiatiques, japonais,
chinois, vietnamiens ou indiens, aspirent d'abord à la stabilité.
L'expression d'une puissance régionale, la promotion d'un modèle,
la revendication d'un rôle accru dans le système financier
international, ces aspirations-là existent aussi. Mais, pour
l'instant, il s'agit surtout de ne pas faire chavirer le
bateau.
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