SERVICE PUBLIC - Spic - répartition des compétences juridictionnelles

Publié le 18 janvier 2009 par Nufroftsuj

QUESTION 

Monsieur,

Je me pose une question concernant les SPIC. On a vu que le droit administratif s’appliquait au service public, sauf pour les décisions non règlementaires relatives à la gestion d’un SPIC (Dame Agnésie)(et
concernant la gestion du domaine privée de la personne publique). Mais la jurisprudence Bac d’Eloka précise que quand la gestion d’une activité d’une personne publique était en tout point identique à des
activités industrielles et commerciales relevant d’une personne privée, on applique le droit privé. Cela signifie-t-il qu’on applique le droit privé à tout les actes pris dans le cadre d’un SPIC? Comment articuler ces deux décisions?

REPONSE

Mademoiselle,

L’arrêt Société commerciale de l’Ouest africain (ou Bac d’Eloka), rendu par le Tribunal des conflits le 22 janvier 1921, a permis au juge de reconnaître la possibilité pour une personne publique de gérer une mission de service public de la même façon qu’une personne privée (”[…] qu’en effectuant, moyennant rémunération, les opérations de passage des piétons et des voitures d’une rive à l’autre de la lagune, la colonie de la Côte-d’Ivoire exploite un service de transport dans les mêmes conditions qu’un industriel ordinaire […]”) et donc sous le contrôle des juridictions judiciaires faisant application des règles du droit privé. En l’espèce, il s’agissait d’un litige opposant un usager d’une mission de service public (à l’époque la notion de “service public industriel ou commercial” n’était pas encore explicitée dans les arrêts) à la personne publique en charge de l’exécution de cette mission en raison d’un “accident” ayant eu pour
cause “une faute commise dans l’exploitation ou un mauvais entretien du bac”. Reste que cet arrêt n’a fait qu’amorcer le régime juridique de ce qui allait devenir les “SPIC”. Aussi les juridictions administratives ont-elles progressivement affiné ce régime juridique (qui n’est que très grossièrement présenté en 1921).

L’arrêt Dame Veuve Agnesi, rendu par le Conseil d’Etat le 21 avril 1961, nous confirme par exemple que les litiges relatifs aux décisions à caractère individuel ayant pour destinataires des usagers des services publics industriels ou commerciaux échappent à la compétence des juridictions administrative. Et cet arrêt ne doit pas étonner : l’arrêt Commune de Golbey, rendu par le Conseil d’Etat le 18 décembre 1957, permet de rejeter la qualification d’acte administratif unilatéral s’agissant des actes non réglementaires pris par une personne publique pour la gestion d’un service public industriel ou commercial, tandis que l’arrêt Cie Air France c/ Epoux Barbier, rendu par le Tribunal des conflits le 15 janvier 1968, permet de rejeter cette même qualification s’agissant des actes non réglementaires comme s’agissant des actes réglementaires n’ayant pas pour objet l’organisation d’un service public industriel ou commercial pris par
une personne privée pour la gestion de ce service public. Or, vous le savez bien, le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires et le principe fondamental reconnu par les lois de la République dégagé par le Conseil constitutionnel en 1987 permettent d’écarter la compétence des juridictions administratives s’agissant des litiges relatifs à des actes de droit privé. A l’inverse, la
compétence des juridictions administratives sera retenue si le recours est dirigé contre un acte administratif unilatéral, y compris lorsqu’il s’agit d’un acte (par hypothèse, réglementaire) pris par une
personne publique pour l’organisation d’une mission de service public à caractère industriel ou commercial (illustration : TC, 19 janvier 1998, Syndicat français de l’Express international). Quoique je ne dispose pas d’un arrêt illustrant cela pour un acte administratif pris par une personne privée pour l’organisation d’une mission de service public à caractère industriel ou commercial (et que je n’ai guère le temps actuellement d’en rechercher un…) et que dans un tel cas le principe de valeur constitutionnelle rappelé plus haut ne pourrait pas s’appliquer (mais le principe de séparation des autorités si), je pense qu’il n’y a pas lieu de distinguer ici selon qu’il s’agit d’une personne publique ou d’une personne privée. Afin de vous rassurer, je vous informe que dans son manuel (tome 1, 2e édition, p. 232), le professeur Bertrand Seiller soutient également cette thèse.

Finalement, vous aurez compris que ce qu’il est convenu d’appeler le bloc de compétence des juridictions judiciaires en matière de services publics industriels ou commerciaux ne fait échec ni au
principe fondamental reconnu par les lois de la République dégagé par le Conseil constitutionnel dans sa décision Conseil de la concurrence, ni au principe de séparation des autorités administratives et
judiciaires (du moins quand il s’applique aux actes administratifs).
Vos difficultés venaient peut-être de ce que vous avez généralisé abusivement la portée de l’arrêt Bac d’Eloka. En tous les cas, j’espère vous avoir éclairée.

éé

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