Israël Palestine : l’esthétisme de la guerre

Publié le 30 décembre 2008 par Petiterepublique

Toutes les guerres se gagnent avant tout par la communication et le conflit au Proche-Orient ne déroge pas à la règle. Denis Sieffert(1) avait mis en évidence les mécanismes de communication utilisés par les Israéliens pour obtenir le soutien de l’opinion occidentale. La guerre, dans ce paysage autrefois sillonné par les prophètes, n’existe pas, Israël y mène seulement des « représailles », des « incursions », des « raids ».

Cette fois encore il ne s’agit pas d’une guerre mais d’une « opération ». Ces opérations ne sont d’ailleurs pas lancées par une armée mais par Tsahal et portent des noms souvent très poétiques : « Bientôt chez toi », « Champs de ronces », « Un voyage pittoresque »… La mode des « assassinats ciblés », des « frappes chirurgicales » est révolue, désormais l’argument avancé par le gouvernement israélien est devenu le combat contre une « organisation terroriste » et non contre un parti politique qui a été élu démocratiquement et a bénéficié en plus du soutien du Likoud. Oubliés la pression exercée sur la population de Gaza, l’écrasement du Fatah par les forces militaires israéliennes, les promesses non tenues et la colonisation qui s’étend depuis toutes ces années au mépris des accords internationaux. Une seule chose doit rester dans les consciences, les terroristes font tomber des « pluies de missiles(2) » et s’apprêtent à tout dévaster.

Il n’y a donc aucune indécence à utiliser l’esthétisme de certaines photos pour mettre en valeur ce qui ne constitue finalement que des actions censées protéger la population israélienne contre les terroristes. L’incongruité de ces photos prises par des photographes israéliens pour  les agences  de presse et diffusées dans les journaux français et internationaux devait préparer l’opinion publique aux images d’épouvante qui allaient être propagées : buildings éventrés, villes en feu (3)…

Le contraste est bien entendu saisissant entre ces images d’horreur et l’esthétisme de ces photographies pourtant annonciatrices du « carnage ». La focalisation sur le char à partir d’un cadre de fenêtre procède d’un art qui ne se cache plus. Dès lors, l’étroitesse du cadrage concentre l’espace et occulte la réalité que la photo devrait donner à voir. Le photographe a joué sur la mise en scène et camoufle dans son esthétisme la tragédie, préservant chacun de détourner les yeux. Ces photos sont semblables à l’apprêt qu’un peintre dispose sur sa toile pour que les couleurs qu’il veut livrer au public impriment parfaitement le support et résistent au temps.

Le gouvernement israélien qui a pris l’habitude de réagir avec toujours plus de violence et de ne  jamais desserrer l’étau contre les Palestiniens savait pertinemment que l’opinion internationale s’émouvrait devant la disproportion des représailles (64 avions ont bombardé Gaza lors de la première attaque, aidés par des hélicoptères et des drones tandis que les chars encerclaient les points stratégiques). Dès lors, il a fallu préparer l’opinion publique en présentant l’opération sous des horizons de paix, disposer des chars dans une aurore bienveillante pour qu’infuse dans les consciences l’éternel cliché de la guerre propre.

A l’approche des élections en Israël, Ehoud Olmert entend recouvrer une certaine popularité et panser l’affront du Hezbollah pour redorer par la même occasion son blason de chef militaire. Mais l’histoire risque encore une fois de repousser tout espoir de paix en renforçant le pouvoir des groupes extrémistes en Palestine et en commettant une fois de plus une punition collective à l’encontre des populations civiles.

Laurent Monserrat

  1. Joss Dray et Denis Sieffert : La guerre israélienne de l’information, La Découverte, 2002.
  2. Pluie de missiles : métaphore utilisée par Guysen TV pour qualifier l’envoi de roquettes sur Israël.
  3. A noter la décision d’Ehoud Barak d’interdire l’accès à la bande de Gaza aux journalistes étrangers afin de maîtriser les images des attaques israéliennes et leurs répercussions sur les populations. Source : article du journal Le Monde : « A Gaza, il n’y a plus un centimètre carré où l’on se sent en sécurité ».
  • 1/Photographie : Yannis Behrakis
  • 2/Photographie: Baz Ratner