Auteur de Hara-Kiri, Harry Alis connaissait bien les milieux décris dans ce roman où l'on peut suivre les pérégrination d'un jeune japonais, fils de samouraï, des cafés plus ou moins littéraires jusqu'au célèbre salon de Nina de Villard. En effet Alis, en 1878 fonda la Revue moderne et naturaliste avec son ami Guy Tomel, il dirigea le Panurge (octobre 1882 – avril 1883) dont le rédacteur en chef-gérant était Félicien Champsaur, il fut Hydropathe et connu la bohème littéraire et le milieux des petites revues des années 1880. Attaché à l'école naturaliste, admirateur de Maupassant, il laisse quelques romans et recueils de nouvelles : avec Guy Tomel [pseud. de Gabriel Guillemot], Le revers de la médaille, A. Cinqualbre, [1878], Hara-Kiri, Paul Ollendorff, 1882 - Les Pas de chance, Bruxelles, Henry Kistemaeckers, 1883. Eau forte de Brunin (portrait de Harry Alis) - Reine Soleil. Une fille de la glèbe, Paul Ollendorff, 1884 - Miettes, Jules Lévy, 1885 - Petite ville. Jules Lévy, 1886 - Quelques fous, Alphonse Lemerre, 1889. La gloire n'arrivant sans doute pas assez vite, Harry Alis se tournera vers le journalisme et se fera le défenseur des entreprises coloniales françaises en Afrique. Mais je m'arrête là, tous est dans l'article reproduit ci-dessous, dans la présentation de Jean-Didier Wagneur pour la réédition d'Hara-Kiri aux éditions L'Esprit des Péninsules en 2000, et sur la page de l'Institut de France consacré au duel Alis / Le Chatelier, mais surtout dans les livres d'Alis, dont je recommande, outre l'étonnant Hara-Kiri, le recueil de nouvelles, Quelques fous, avec ses personnages étranges et inquiétants.
Le Petit Journal Samedi 2 Mars 1895
Un Duel Tragique
Un des hommes qui ont le plus activement contribué à notre expansion coloniale, un des journalistes les plus dévoués aux intérêts supérieurs du pays, a succombé hier matin à l'âge de trente-huit ans, atteint d'un coup d'épée dans un duel inattendu.
M. Harry Alis, de son vrai nom Percher, était un de nos confrères du Journal des Débats, où il s'occupait avec une haute compétence des questions coloniales.
Voici à la suite de quelles circonstances cette fatale rencontre s'est produite.
M. Harry Alis avait publié dans le Journal des Débats du 24 février, un article intitulé Les Concessions coloniales africaines, article dans lequel il démontrait, suivant les idées qui lui étaient chères, l'utilité des concessions territoriales.
Certaines phrases de cette étude, où se trouvait le nom de M. Le Chatelier, administrateur de la Société d'études du Congo français, semblèrent inexactes à ce dernier qui adressa au journal une lettre de rectification. Cette lettre fut publiée le 25 février par M. Harry Alis, qui l'accompagna de quelques commentaires. En relisant ces quelques lignes, qui ont été le point de départ du duel, on ne saurait y voir rien qui pût sérieusement motiver une rencontre.
Mais peut-être faut-il se rappeler, pour mieux comprendre les faits, que MM. Le Chateliet et Harry Alis s'étaient autrefois connus en Afrique et avaient travaillé côte à côte à une même oeuvre de colonisation, qu'une dissension sourde avait, depuis marqué quelque étape de leur passé, animosité latente qui n'attentait pour éclater que la plus futile occasion.
A la suite des articles dont nous venons de parler, M. Harry Alis adressa à M. Le Chatelier une lettre que celui-ci jugea offensante et à laquelle il répondit par l'envoi de ses témoins, le lieutenant-colonel Baudot et le commandant de Castelli. Deux de ses confrères du Journal des Débats, MM. Paul Bluysen et André Hallays, furent priés par M. Harry Alis de l'assister en cette circonstance.
Après avoir, affirment-ils, vainement essayé de trouver un terrain de conciliation, les quatre témoins jugèrent une rencontre inévitable et décidèrent qu'elle aurait lieu hier, vendredi, le matin à onze heures, dans l'île de la Grande-Jatte.
A l'Île de la Grande-Jatte
C'est en effet dans cette île, dont on ne peut plus prononcer le nom sans songer à la sinistre série de morts tombés sur son sol, depuis qu'une tolérance inexpliquée en a fait un véritable Pré-au-Clercs, sans se rappeler qu'à cette même place est venu mourir le dernier, le 23 juin 1892, le capitaine Mayer, frappé en plein coeur par le marquis de Morès, c'est là encore qu'un homme jeune et d'une activité pleine de promesse a trouvé hier matin une mort brutale.
Le récit du combat est des plus bref. La salle où le duel a eu lieu est une salle de bal, couverte d'un vitrage, et tout autour de laquelle circule un plancher charger de quelques tables. Au fond s'ouvre un petit établissement, sorte d'auberge de banlieue, portant l'enseigne du Moulin-Rouge, et dont les dépendances s'avancent jusqu'à la pointe de l'île.
A onze heure moins le quart, tout le monde était réuni là : on jeta en l'air une pièce de 5 fr. pour tirer au sort les places. M. Harry Alis fut en une certaine façon défavorisé, ayant le désavantage de se trouver sur la partie la plus inclinée du plancher. Les deux adversaires semblaient l'un et l'autre avoir hâte d'en finir avec les formalités préliminaires. On décida néanmoins qu'ils quitteraient tous deux leur chemise. M. Le Chatelier ayant une chemise empesée et M. Harry Alis une chemise de soie.
Le duel
Il est onze heure; les témoins écartent le patron de l'établissement, remettent les épées aux combattants et donnent le signal.
Avec une fougue égale, tout deux se précipitent en un instant l'un sur l'autre.
« Le combat, nous a dit, un des témoins oculaires, le docteur Bérard, n'a pas duré deux minutes.
« Aussitôt le fer engagé, M. Harry Alis a été atteint à l'aisselle droite d'un coup d 'épée qui a traversé les deux poumons; l'épée est sortie sous l'aisselle gauche.
« La mort a été instantanée. »
Transporté sur un matelas placé sur un billard dans la salle voisine, le corps de M. Alis a été gardé par un de ses témoins, M. André Hallays. Le commissaire de police de Levallois était aussitôt prévenu par les témoins de M. Le Chatelier ; il a saisi les épées et constaté que celle qui a frappé mortellement M. Alis était faussée ; il a également recueilli les dépositions des témoins et informé le parquet. Peu après, M. Guillot, juge d'instruction, arrivait et procédait à une longue et minutieuse enquête.
Chez M. Harry Alis
Pendant que la triste nouvelle se répandait peu à peu dans les salles de rédaction, la famille de M. Alis attendait tranquillement son retour en son petit hôtel, 24, rue Vauquelin.
M. Alis avait quitté le matin sa jeune femme sans rien laisser soupçonner de la rencontre qu'il devait avoir.
C'est vers une heure que deux amis du défunt préparèrent Mme Harry Alis, en lui disant que son mari était blessé.
Peu après, la malheureuse femme apprenait l'affreuse vérité. Du vestibule, où les amis prévenus venaient s'inscrire sur un registre, on entendait ses sanglots, et le docteur Bérard dut venir dans la journée lui prodiguer des soins.
Mme Harry Alis est la fille de M. Lesenne, le grand imprimeur d'Etampes ; mariée depuis un an à peine, elle a une petite fille âgée de quelques semaines. Elle a reçu dans son affliction des témoignages de profonde et sincère sympathie.
Le Journal des Débats publiait le soir même la note suivante en apprenant à ses lecteurs la mort de M. Harry Alis :
« C'est avec un vif sentiment de douleur que nous annonçons la mort de M. Harry Alis. Notre malheureux confrère a été tué en duel, ce matin, à la suite d'une polémique de presse et sans doute de provocations plus directes entre son adversaire et lui. M. Harry Alis était dans la force de l'âge. Son extrême vivacité d'esprit, jointe à une activité infatigable, l'avait portée à s'occuper d'un grand nombre de questions, mais plus spécialement des affaires coloniales. Il les traitait avec une compétence reconnue de tous et une véritable ardeur d'apôtre, et il s'était attiré par là beaucoup de sympathies et quelques hostilités. L'Afrique, en particulier, était devenue son domaine : rien n'y a été entrepris, rien ne s'y est fait depuis quelques années, sans qu'il s'en soit occupé passionnément. Son patriotisme ne mesurait pas les difficultés : il allait de l'avant avec une confiance communicative, et ils est peu de nos explorateurs et de nos géographes qui n'aient trouvé en lui un conseil, une inspiration, un appui. Nos lecteurs ont pu apprécier plus d'une fois la souplesse de son intelligence et de son talent. Son caractère, qui était ouvert et obligeant, ne paraissait pas le destiner à une fin aussi cruelle. Nous ne pouvons que nous associer à l'affliction de sa famille et de tous ceux qui l'ont connu. »
Harry Alis
M. Harry Alis, de son vrai nom Hippolyte Percher, était né à Couleuvre (Allier) le 7 octobre 1857 ; il n'avait donc pas encore trente-huit ans, et pourtant comme son existence est remplie !
Son début dans la vie littéraire date de 1880 ; il avait auparavant publié des articles çà et là dans quelques revues, mais c'est seulement à cette époque que l'étrangeté de son roman japonais Hara-Kiri attira sur lui l'attention. Dès lors, le mouvement naturaliste le compta parmi ses plus actifs disciples, et il publia tour à tour Les Pas-de-Chance, Reine Soleil, Miettes.
En même temps le journalisme l'attirait ; reporter et chroniqueur infatigable, il se fit lire au Parlement, au Journal des débats, à la Revue Contemporaine, dont il était un des fondateurs.
C'est à cette époque que, séduit par le fonctionnement des agences d'informations anglaises, Harry Alis fondait à Paris l'agence Dalziel qu'il abandonna plus tard pour rentrer au Journal des Débats.
Mais il avait trouver sa vraie voie.
Il avait fait la connaissance de Crampel, le jeune explorateur de l'Afrique, et convaincu par les espérances de son ami, il mit délibérément son activité au service de nos intérêts coloniaux. De nombreux voyages en Egypte le mirent à même d'apprécier la nécessité de combattre en Afrique l'influence Anglaise, et il fut le promoteur dévoué des expéditions Crampel, Dybowski, Maistre, Mizon et tant d'autres.
Ses livres, A la conquête du Tchad, Nos Africains, Promenades en Egypte, ses articles dans la presse parisienne ne lui semblaient même plus dans les derniers temps une aide assez puissante aux explorateurs et aux colons dont il patronnait l'initiative, et il venait de fonder au Caire le Journal égyptien destiné à défendre là-bas les intérêts français.
Il a laissait un fils de quatorze ans, né d'un premier mariage, et qui vit rue Vauquelin avec sa grand-mère et Mme Harry Alis.
M. Harry Alis avait été nommé chevalier de la Légion d'honneur l'année dernière.
Comme le dit justement un de nos confrères, c'était un ouvrier infatigable et l'on ne pourra pas plus tard écrire l'histoire de l'Afrique française sans lui faire une place considérable.
M. Le Chatelier
L'adversaire de M. Harry Alis est né en 1855. Il s'est engagé le 21 octobre 1874 et a été promu capitaine le 31 mai 1886.
Affecté au 159e d'infanterie, il a donné sa démission l'an dernier, après avoir été officier d'ordonnance de M. de Freycinet, ministre de la guerre.
Il avait également été détaché en Algérie, et avait été chargé en 1890 d'une mission au Maroc.
C'est un élégant officier, grand et mince ; il porte une moustache effilée ; d'allure assez froide il donne l'impression d'un homme très maître de lui..
La Soirée
A neuf heures et demie du soir, un fourgon a rapporté à Paris, à son domicile, 24, rue Vauquelin, le corps du malheureux Percher. Il a été déposé sur son lit et veillé par M. Lessenne, son beau-père.
Dans la soirée, le bruit courait que le juge d'instruction avait gardé à sa disposition les personnes ayant pris part à cette affaire. Renseignements pris, M. Guillot, après avoir recueilli leurs dépositions, desquelles il résulte que tout s'est passé avec la plus grande loyauté, les a priées de se rendre aujourd'hui à son cabinet.