L'Enfer à Domicile
C'est écrit à la va-comme-je-te-pousse, et parfois très mal - l'auteur l'aurait rédigé en trois semaines. Seulement, ce texte plutôt court - 156 pages en format poche - exsude folie, douleur et sincérité à chaque lettre et ça fait toute la différence. Pour moi en tous cas. L'éditeur, lui, parle d'autofiction mais comme le terme a été annexé par les Angot et consorts, mieux vaut s'en détourner : le récit de Juliard n'a rien à voir avec les happy few ultra-narcissiques de l'édition parisienne.
Pour raconter l'horreur vécue au quotidien, Juliard a choisi un récit non linéaire qui brise la chronologie en multiples fragments au mieux déconcertants, au pire régugnants. Avec elle, le lecteur trébuche, clopine, boîtille, s'effondre et rampe, rampe malgré tout vers la Lumière - que la narratrice ne trouvera semble-t-il que dans le suicide. Et souvent, il faut s'accrocher.
Nous sommes loin des milieux habituellement décrits dans les ouvrages consacrés à l'enfance en danger. Si la pauvreté et la crasse règnent en maîtresses dans ce roman au même titre que la folie, c'est dans un appartement du XVIème arrondissement parisien et dans un milieu mi-aristocratique, mi-grand bourgeois qu'elles se prélassent.
Le père, fils d'un officier d'origine kabyle et d'une Française, est psychiatre. La mère n'a jamais travaillé parce que, dans son milieu, les femmes n'ont pas besoin de le faire et que, de fait, la fortune familiale lui permettait l'oisiveté. Tous deux ont eu des enfants avec une constance de gallinacées à cette différence près qu'il n'ont jamais possédé la vocation de parents-poules. Surtout pas envers leurs filles parmi lesquelles une pauvre petite handicapée mentale qui ne sera jamais soignée. Les garçons ont un peu - un tout petit peu - plus de chance mais, à l'arrivée de la course, ça ne fera pas une bien grande différence.
Scènes de violence, repli pathologique sur soi, mauvais traitements ou négligences de toutes sortes, abandon moral et, dans une certaine mesure, physique des enfants, tout cela naît de la pathologie monstrueuse des parents assortie, chez la mère, d'une espèce de syndrome de Diogène doublé d'une sordide avarice.
Un livre effarant pour les uns, cruellement authentique pour les autres. Finalement, si l'on n'en sait pas plus sur l'auteur et si elle n'a rien produit depuis lors, c'est peut-être parce qu'elle a connu la même fin que son héroïne. En refermant "L'Enfer à Domicile", le lecteur ne peut s'empêcher de se poser la question ... :o(