Ce n'est pas la crise pour tout le monde : la presse a trouvé dans les tourments économiques d'inépuisables sujets pour ses gros titres et ses notules ; on aborde maintenant les conséquences de la récession à toutes les sauces. A ce rythme, on trouvera bientôt un magazine avec un titre du style "Bien accommoder les restes de repas en temps de crise" ou "Sexe : comment concilier crise et libido". Et sur ces dernières semaines, un sujet revient de plus en plus souvent. Les grands médias bruissent des lourdes réflexions que d'éminents politiques fournissent au saut du lit, manifestement pas bien réveillés ; et d'après eux, tout est clair : "le capitalisme doit se refonder".
Il semble, en gros, que l'expression soit de Sarkozy qui n'est plus une petite tapette en matière de médiatisation d'expressions racoleuses.
Il est parvenu, avec celle-ci, à faire un joli carton plein : on la retrouve partout. Chacun y va de sa petite antienne sur "comment le capitalisme doit se refonder", "pourquoi le capitalisme doit se refonder" avec sa variante "le capitalisme doit-il se refonder ?", ou encore "que fabrique donc Martine Aubry et le PS ?" qui appelle d'ailleurs immédiatement "Le quoi ?" et "Qui ?", mais ce n'est pas le sujet.
En revanche, je vois assez peu de gens se poser la question de "Mais que diable veut dire «le capitalisme doit se refonder» ?" ... ce qui est troublant dans la mesure où, à bien y réfléchir, elle est interprétée très diversement selon l'interlocuteur. Et quand tout le monde y trouve ce qu'il y veut, c'est que l'expression ne veut rien dire du tout.
D'abord, le capitalisme, c'est vaste. Il y a un monde entre ce qu'on entend par capitalisme (qui est, en substance, un système économique où les individus et les entreprises privées assurent la production et les échanges de biens et de services à travers un réseau complexe de prix et de marchés) et ce que les interlocuteurs parlant doctement rêvent de refonder.
En somme, le capitalisme, suivant la définition simple que je viens de donner, c'est le système qui est apparu de façon spontanée au fil des siècles pour couvrir les besoins des hommes. Il a pris son acceptation récente, essentiellement depuis le XIXème siècle, pour faire simple, avec la concentration des moyens de production et la spécialisation du travail. Ici, l'aspect le plus important, c'est le côté "spontané".
D'autre part, on parle à tour de bras de le "refonder", soit "fonder à nouveau". Or, fonder, c'est, à la base, poser des fondations. Ici, il s'agirait donc de poser de nouvelles fondations pour le capitalisme.
Et là, ça devient croustillant.
Poser de nouvelles fondations d'un système apparu spontanément, c'est donc, en somme, conclure qu'il faut de nouvelles bases à un système qui, pour le moment, n'a eu besoin de personne pour se développer. Il faut dès lors avoir une bonne dose d'aplomb pour s'improviser Grand Architecte d'un truc qui n'en a jamais eu besoin, qui a subi les 10.000 ans d'Histoire sans réel souci (nous sommes là pour en témoigner), qui a amené, tant bien que mal, une population de quelques millions d'êtres humains dont 100% ne mangeait pas à sa faim à 6 milliards dont 50% peuvent à présent se remplir le ventre, aller dans l'espace, téléphoner à l'autre de la planète ou regarder du porno sur internet (comment ça, non ?).
Porn : the other rating booster
Il faut être tout de même follement couillu, puissamment armé contre la modestie pour s'imaginer qu'on va pouvoir, tout seul ou en groupe, fonder ou refonder un machin qui s'est, littéralement, construit tout seul. C'est tout à fait comme si des fourmis décidaient non pas de construire une nouvelle fourmilière, mais bien un autre système pour construire des habitations, par exemple en passant des phéromones aux claquettes.
Eh oui : c'est de la fumisterie.
Ceci dit, sans même aller dans l'exégèse des pénibleries débitées sur le sujet, on aurait pu s'en rendre compte encore plus simplement en posant une question simple : pour refonder le capitalisme, qui propose quoi ? Deux questions en une, en somme. Et là, le constructivisme et la manie de vouloir à tout prix bricoler et interférer apparaissent de façon limpide.
Qui professe donc, à droite et à gauche, qu'il faut refonder le capitalisme ?
Dans la majorité écrasante des cas, on retrouve de doctes philosophes et des politiciens, leurs affidés, thuriféraires ou tous ceux qui ont un intérêt direct à fricoter avec le pouvoir. Tout un ramassis éclairé de personnes dont la caractéristique commune est de ne pas être spécialement bonnes dans le domaine de la "refondation" : combien de ces géants de la pensée en conserve ont été capables de seulement réformer quelque chose ? Combien, dans ces brochettes de pique-assiettes, cancrelats, pontifiants de l'économie et de la finance sans avoir jamais pratiqué la seconde et avoir réussi à faire des premières, combien peuvent se targuer de résultats visibles, quantifiables, en terme de réformes structurelles profondes, de faits marquants ayant abouti à des résultats positifs ?
Aucun. De cette bande de branleurs qui veulent refonder, aucun ne peut prétendre savoir comment s'y prendre. D'ailleurs, il y a une correspondance quasi-parfaite, coïncidence troublante seulement pour le citoyen naïf, entre ces glandeurs de salon et les élites auto-proclamées qu'on retrouve systématiquement, le petit doigt en l'air, réclamant des serrages de ceinture en reprenant deux fois du Mouton-Rothschild '45 pour arroser des pâtes.
Rassurant, non ?
Que professent-ils donc, d'ailleurs ?
En gros, on retrouve les éléments suivants :
A/ Une bonne grosse centralisation des moyens de contrôle, comme par exemple, Attali le Zéro dont le rêve humide de gouvernance mondiale est étalée grassement à la vue du monde comme un furoncle de pensée mal boutiquée à la vue de voyeurs scabreux. Oh ! Oui ! Tu la veux, ma grosse gouvernance mondiale, hein ? En effet, rien de tel, pour préparer une catastrophe sanglante, que de faire planter violemment la tour de contrôle là où avant, on se contentait de tuer l'un des pilotes en vol. Ainsi, au lieu d'un zinc par terre, on aura droit à un feu d'artifice en l'air, au sol et dans la tour !
B/ De la régulation, encore de la régulation, toujours de la régulation. Pour un marteau, tous les problèmes sont des clous et les régulations déjà foisonnantes dans tous les domaines inciterait normalement à la plus grande prudence sur la tactique à mettre en place. Mais non. Les régulations déjà en place auraient dû normalement éviter les catastrophes, mais elles ont, comme à chaque fois, soit été contournées sans vergogne, soit ont aggravé les risques, comme le cas lumineux de Madoff, que la SEC a pieusement épargné, le démontre à loisir. Il est décidément bien loin le temps où Montesquieu écrivait que « Les lois inutiles nuisent aux lois nécessaires. » ...
C/ Un bon gros retour au protectionnisme, parce que ... c'est cool le protectionnisme. Et ça a bien marché avant, ça doit donc bien marcher maintenant ! Rappelez-vous, c'était les années pas du tout disco, en 1930, lorsque la loi Smoot-Hawley avait entraîné une augmentation des prix des biens de consommation sur le territoire américain et avait provoqué une vague de protectionnisme dont on peine vraiment à voir en quoi il a contribué au bien-être des populations dans cette période...
Bref : des glandeurs sans expérience préconisent donc des solutions prouvées foireuses, et certains les écoutent donc, fermement persuadés qu'ils vont nous tirer d'affaire. On reste pantois.
Heureusement, au milieu de la tourmente reste un point fixe : le combat du gouvernement contre le pouvoir d'achat des Français. Ça, c'est du sûr, du solide : Jean-François Copé, a déclaré que, lui "vivant, il n'y aurait pas d'augmentation de la redevance télé" hors inflation. Il devra envisager sérieusement son suicide, que je ne peux que l'encourager à mener à bien en emmenant avec lui un maximum des gens du gouvernement, puisqu'il est maintenant dans les tuyaux que cette redevance va passer de 116 à 120 euros. Youpi.
Pas de doute. Ce pays est sauvé.