Voie basse : un exercice de haut vol ?

Publié le 13 janvier 2009 par Naissancenaturelle
Lundi 12 janvier.

NB : Cet article est écrit à quatre mains. Pour faciliter la lecture, nous avons adopté un code couleur : Gabrielle écrit en noir, Rémi en bleu.

Ça y est, nous y sommes. Dans la salle d'attente du centre de périnatalité d'Embrun, nous attendons patiemment que le Dr G. vienne nous chercher. Patiemment, il faut le dire vite ! La gynécologue qui doit nous recevoir en ce début d'après-midi a déjà dix minutes de retard et nous commençons sérieusement à ronger notre frein.
Mon anxiété ne fait qu'augmenter à mesure que l'aiguille des secondes fait la course sur le cadran de ma montre. Elle s'était déjà installée dans mon estomac au fil de la matinée. Heureusement que je l'avais passée à rédiger clairement notre projet de naissance; au moins cela m'avait-il occupé l'esprit.
C'est étrange comme le corps peut trahir la raison et les émotions prendre le dessus. La perspective de ce premier rendez-vous me fait le même effet qu'un examen ou un entretien d'embauche. Nous n'avons pourtant pas à nous vendre... en fait, ce serait plutôt l'inverse : des réponses que le Dr G. nous donnera dépendra notre éventuel parcours avec elle. C'est nous qui avons le choix. Oui mais voilà, pour la première fois, nous nous apprêtons à présenter notre demande d'AVA2C à un membre du personnel obstétrical d'une maternité. Face à cet inconnu, nous n'en menons pas vraiment large, tout juste savons-nous que nous ne sommes pas prêts à renoncer à notre odyssée.


Un quart d'heure de retard et toujours personne à l'horizon. Tiens, des bruits de pas résonnent dans le couloir. Ce n'est pas une blouse blanche inconnue, mais le visage familier de F., la sage-femme de la périnatalité, qui apparaît dans l'encadrement de la porte. Elle vient aux nouvelles, mais nous indique surtout qu'elle a déjà parlé de nous au Dr G. qui « n'a pas dit non ». Elle a tout de même tiqué en entendant que je suis épileptique. Cet échange, pour succinct qu'il soit, a tout de même un effet bénéfique et permet de faire un peu retomber la pression. Après une nouvelle attente de quelques minutes, une femme d'une cinquantaine d'années aux cheveux noirs vient enfin nous chercher.
Le bureau qu'elle occupe est surchauffé. Et il lui faut cinq bonnes minutes pour finalement percuter : « Ah oui, c'est vous qui souhaitez une voie basse après deux césariennes... » Nous y voilà.


S'ensuit une discussion sur le principe même de l'AVA2C. Comme nous l'a dit F., le Dr G. n'est pas contre; comme nous l'a dit A., elle ouvre un grand parapluie. Elle commence par nous exposer les risques liés à une rupture utérine pour la mère et l'enfant. « C'est extrêmement rare, mais cela peuvent engager le pronostic vital pour les deux. » On sait.
Elle en vient ensuite à nous exposer tous les critères que Gabrielle doit présenter pour qu'elle accepte de laisser l'accouchement se dérouler de façon naturelle : pelvimétrie nickel, bébé pas trop gros (pas au-dessus de 3,8 kilos), position céphalique, placenta bien placée et examen du neuvième mois satisfaisant. « Vous êtes bien conscients qu'à la moindre anomalie, nous aurons facilement recours à la césarienne ? »


Bilan des courses : Madame n'est pas contre, mais il est bien trop tôt pour qu'elle se prononce de manière définitive. Elle ne s'engage pas non plus sur la position des deux collègues avec qui elle partage la responsabilité de la maternité de Briançon. Elle répond par un simple « si vous voulez » quand nous lui disons que nous avons justement l'intention de les rencontrer. Mais en fin d'entretien, cette relative indifférence se transformera en conseil appuyé... « comme ça, vous serez fixés ». De là à penser qu'elle compte sur ses collègues pour nous opposer une fin de non-recevoir...
Mais pour l'heure, l'entretien se poursuit tranquillement. La légère tension perceptible au début s'efface doucement et l'atmosphère détendue nous donne même l'occasion d'échanger quelques traits d'humour.


Un détail me turlupine pourtant. Lorsque nous nous adressons à elle, elle se montre très attentive et écoute tout ce que nous avons à lui dire. Mais dès qu'elle prend la parole, l'échange semble impossible. Embarquée dans ses propos, elle ne tient pas compte de nos remarques, comme lorsque je tente de lui expliquer l'attitude condescendante que son confrère gapençais a eu à notre égard il y a trois ans pour la précédente grossesse de Gabrielle. Même chose quand je m'enquiers des possibilités de mouvement lors d'un accouchement par voie basse. Elle semble offusqué que nous puissions douter de la liberté de mouvement octroyée à la mère et nous indique que la salle d'accouchement dispose d'un ballon, d'une baignoire et de bien d'autres choses. Elle glisse au milieu de son descriptif un lapidaire « On ne va pas vous ligoter à la table ! » Je tente de lui indiquer que, justement, si nous demandons, c'est que Gabrielle a bel et bien été attachée lors de son deuxième accouchement... En vain. Elle ne m'écoute pas et poursuit son monologue. En lui faisant part de mon impression à la sortie, Gabrielle m'expliquera que cette attitude de sa part est sans doute dictée par un certain corporatisme. Le meilleur moyen pour ne pas avoir à condamner une pratique obstétricale est encore de refuser d'en prendre connaissance.
Malgré tout, le sentiment général est plutôt bon. Nous ne décelons pas d'hypocrisie dans son discours. Elle semble sincère malgré ses réticences. Réflexion faite, ce sont peut-être justement ses réticences qui nous la rende sincère.


Après constitution du dossier, place à l'examen. Et c'est le moment qu'elle choisit pour me demander ce qui me pousse à vouloir accoucher par voie basse. Nous nous étions préparés à de nombreuses questions concernant l'accouchement, nous avions quelques arguments en cas de refus frontal, mais j'ai laissé passé ça. J'aurai pourtant dû m'y attendre. Et elle ne nous a pas interrogé sur le sujet quand nous lui faisions face, elle a attendu l'examen gynécologique pour que je sois seule à pouvoir lui répondre. Position déjà délicate, nudité exposée, moment que personnellement je n'apprécie guère, état de vulnérabilité.
Est-ce pour tester ma motivation ?
La question me parait tellement bête que j'en perds mon latin. Que dire ? Qu'il me paraît naturel de tout mettre en œuvre pour accoucher par voie basse plutôt que de les laisser prendre mon accouchement en main et jouer du bistouri à tour de bras ? Que je ne veux pas devenir simple spectatrice de cette naissance. Oui, j'aurai pu... j'aurai dû ! Mais rien ou si peu n'est finalement sorti de ma bouche pour justifier ma demande. Justifier une demande tellement naturelle, c'est étrange !
Je ne sais même plus ce que je lui ai répondu après avoir balbutié quelques secondes. Ce qui est certain, c'est que je n'ai pas été très convaincante. Mais promis, on ne m'y reprendra plus; pour les prochains rendez-vous, j'aurai "révisé". Et il n'y aura plus d'examen gynécologique avec une autre personne que ma sage-femme.


L'entretien touche à sa fin et Gabrielle aborde la question de ma présence lors de l'accouchement, y compris en cas de césarienne. Le Dr G. ne nous cache pas son opposition, mais nous l'énonce très calmement. Pour elle, ce n'est pas tant un problème d'hygiène qu'une question humaine. Elle nous explique que la présence du père peut entraîner des complications. Complications pour le père qui, en cas d'incident, peut se retrouver à assister à des actes médicaux invasifs difficiles à supporter. Complications pour l'équipe médicale qui doit garder un œil sur lui. Complications enfin pour l'obstétricien, en tout cas pour elle, dont le jugement et les choix peuvent être perturbés par la présence d'une personne aussi impliquée sur le plan émotionnel. Mais comment font-ils, alors, tous ces obstétriciens qui pratiquent des césariennes en présence des papas ? Ont-ils la main qui tremble ?
Et de nous expliquer la procédure en vigueur à Briançon. Après la naissance, l'enfant est mis en contact avec sa mère brièvement. Les premiers soins lui sont ensuite prodigués avant qu'il soit ramené auprès de sa mère pour un moment plus long. Ce n'est qu'ensuite, au moment où la mère passe en salle de réveil, que ne nouveau-né est amené à son père qui attend dans la chambre pour que la peau à peau soit possible. Si aucun autre patient n'est présent en salle de réveil, les deux parents et l'enfant peuvent alors être réunis. Autrement dit, Je ne suis pas prêt de voir ma fille. Mais le Dr G. ne se montre pas intransigeante. Même si elle n'est pas favorable à ma présence au bloc, elle estime néanmoins que « tout est négociable », que c'est « au cas par cas ». Mais après avoir entrouvert une porte, elle nous la claque bien vite au nez:
- « Mais vous savez, il faut voir ça avec toute l'équipe, notamment l'anesthésiste. Au bloc, c'est un peu lui le chef...
- « Et quelle est la position des anesthésistes de Briançon sur le sujet ?
- « Ils sont plutôt du même avis que moi... à part un qui sera d'accord.
- « Nous devons donc tous les rencontrer également. Combien sont-ils ?
- « Six ou sept. »


Et ben, c'est pas gagné. Mais bon, sans doute y a-t-il moyen que la question soit évoquée lors d'une réunion et que tout le personnel se mette d'accord sur une position commune. Ce n'est pas comme ça que les choses se passent ? D'ailleurs, nous avons même un support de discussion à lui offrir : nous avons rédigé un projet de naissance dont nous lui proposons un exemplaire.
Et là, c'est la douche froide !
- « Un projet de naissance ? Vous avez recopié ça sur internet ?
- « Non. Nous l'avons rédigé nous-même. »
Silence.
Elle reprend finalement avec un autre argument :
- « C'est un peu tôt pour un projet de naissance. Et puis ça concerne surtout les sages-femmes. Dans le cas d'un accouchement par voie basse, c'est elles qui sont en première ligne. En tant qu'obstétriciens, nous intervenons très peu. Bien sûr, dans votre cas, nous serons derrière la porte, prêts à agir... »
Quelle drôle de conception du travail d'équipe ! Et ce sont peut-être aussi les sages-femmes qui pratiquent les épisiotomies ?
Le rendez-vous se termine donc sur une fausse note. Et pas des moindres ! Après avoir dialogué avec nous durant près d'une heure, elle fait preuve d'un désintérêt total pour le document qui rassemble nos différentes demandes. Comme si elle n'était pas concernée. C'est dur à comprendre, et encore plus à avaler.