Mercredi 14 janvier.
NB : Comme précédemment, Gabrielle écrit en noir, Rémi en
bleu.
Ça n'a pas traîné. Deux jours après que le Dr G. nous ait conseillé de prendre rendez-vous avec les sages-femmes de sa maternité, nous voilà à l'hôpital en question en
train de répéter les mêmes informations à une personne différente. L'étape est indispensable pour entrer notre dossier dans le système informatique de l'hôpital de Briançon puisque le rendez-vous
précédent a eu lieu à Embrun et que les deux structures ne communiquent pas. Mais ce n'est pas totalement une perte de temps; cela nous permet notamment de corriger quelques erreurs que nous avions
relevés sur les documents qui nous avaient été remis - selon ces derniers, Gabrielle avait bien mené trois grossesses à terme, mais avait deux enfants au lieu de quatre... C'est aussi l'occasion
pour la personne qui nous fait face de mieux comprendre notre histoire et de « noter tout cela comme il faut » (sic).
Malgré ces nombreuses redites en l'espace de 48 heures, l'ambiance est plutôt détendue. Pourtant, le premier contact avait été... stupéfiant. « Bonjour, je suis
l'homme sage-femme ». Saisie, j'en suis restée saisie. Pas d'horreur, juste de surprise. Il est évident que la stupeur s'est lue sur mon visage, vue dans mes yeux et sentie sur mon corps
soudain raidie. Mais il n'a pas relevé, il doit en avoir l'habitude et nous a invité à le suivre dans le cabinet de consultation. Loin, j'étais très loin de me douter qu'un homme sage-femme
exerçait à l'hôpital de Briançon. Je n'y vois rien à redire, je trouve même cela plutôt émouvant. Mais ça ajoute pour moi une gène supplémentaire lors du fameux examen. Examen que je refuserai
aujourd'hui; ça fait déjà deux dans la semaine, et puis ce n'est pas ma sage femme ! Mais comment lui dire non sans qu'il n'interprète ce refus comme une discrimination liée à sa masculinité. J'y
pense durant tout l'entretien. Et puis après tout, de cela aussi il doit avoir l'habitude. Alors je lui dis simplement que ça fait déjà beaucoup cette semaine. Il ne s'offusque pas et se
contente de remarquer que ni ma tension ni ma hauteur utérine n'ont été indiqués sur le compte-rendu du Dr G. Ah ces médecins, il faut toujours repasser derrière eux ! Moi-même ignorante des
mesures relevées par l'obstétricien lundi, je lui communique donc celles prises cinq jours plus tôt par ma sage-femme.
Pendant qu'il (re)constitue le dossier et passe en revue mes grossesses successives, il s'attarde sur l'accouchement de Rémy, en 1996. Les convulsions provoquées à l'époque par une injection de
nubin attirent son attention. « Nous ne pouvons pas savoir aujourd'hui ce qui a provoqué la crise, mais nous ne prendrons pas de risques. Parlez-en bien lorsque vous verrez l'anesthésiste,
parce que la péridurale est tout de même indiquée dans votre cas. » Il redoute que l'hyperventilation, qui permet de supporter la douleur en l'absence de péridurale, entraîne une crise
d'épilepsie. Justement, un des anesthésistes de l'hôpital est au téléphone et demande à parler à notre interlocuteur. Il s'absente quelques instants et revient en nous confirmant ce protocole. Mais
quelques secondes plus tard, il se rend compte que j'ai eu deux césariennes et balaye son raisonnement précédent en m'adressant un « De toutes façons, vous savez que vous aller avoir une
césarienne... »
Ben non justement, on ne sait pas. Enfin on sait, mais on ne veut pas. C'est à son tour d'être surpris. Mais à notre grande satisfaction, sa crispation est de courte
durée. Il nous demande simplement si le Dr G. a donné son accord et si nous avons prévu de rencontrer les deux autres obstétriciens de la maternité puisque chacun d'entre eux fera comme il l'entend
le jour de l'accouchement. Nous confirmons et il en profite pour nous expliquer comment s'opère le roulement des trois médecins : le premier exerce à plein temps tandis que les deux autres ne sont
présents qu'une semaine sur trois.
Dossier bouclé et examen évité, nous en venons à lui présenter notre projet de naissance. Il va de soi que nous guettons la plus petite réaction, échaudés que nous sommes par le refus de
l'obstétricien d'en prendre connaissance deux jours plus tôt. Nullement surpris, l'homme sage-femme saisit l'exemplaire que Gabrielle lui tend et nous propose d'en faire une lecture immédiatement,
ensemble.
Ensemble, ce simple mot est en lui-même un gage de confiance et nous met du baume au cœur. Il commence sa lecture et, à chaque paragraphe, nous donne son avis. Laisser le travail suivre son cours
naturellement et être informée des différents actes de l'équipe, pas de problème. Respect de l'intimité et liberté de mouvement, idem. En revanche, pas question pour lui de renoncer au monitoring
en continu, du moins sur la fin du travail : « l'altération du tracé est souvent le premier signe d'une rupture utérine. »
Il accède à toutes nos autres demandes sans sourciller, nous expliquant pour chaque point la politique adoptée depuis peu par la maternité. C'est le cas pour
l'épisiotomie : « Nous n'en faisions déjà pas beaucoup, mais depuis que nous avons suivi notre dernière formation il y en a encore moins. À moins qu'elles préfèrent une autre position, nous
faisons beaucoup accoucher les femmes sur le côté, et le taux d'épisiotomies est tombé à moins de 10%. » D'une façon plus générale, il nous indique que la maternité de Briançon a récemment
engagé une vaste réflexion sur les actes liés à la naissance et que les nouveaux protocoles en place depuis un mois et demi ont eu des résultats spectaculaires. Il nous donne l'exemple d'une femme
qui a accouché la veille. Dans la dernière phase, le papa a tiré sur les bras de sa compagne pour que le rachis soit en extension; ce qui a permis à madame de donner naissance à son premier enfant
en poussant durant une dizaine de minutes seulement. Et le bébé n'était pas particulièrement petit. Conclusion "du" sage-femme : « en quelques semaines, on s'est rendu compte qu'on faisait des
conneries depuis les débuts de l'obstétrique moderne ».
Nous en restons baba. Un soignant qui reconnaît les erreurs commises par sa propre corporation, c'est donc possible. D'accord ce n'est pas un médecin, mais tout de même, ça fait plaisir à entendre.
Et même doublement. Il faut une bonne dose d'humilité pour reconnaître qu'on a fait fausse route et une belle sincérité pour l'admettre devant des personnes extérieures au monde médical. Ces deux
qualités essentielles ne sont donc pas totalement absentes de ce milieu. Alléluia. Désolé, je m'emballe un peu. Mais le contraste est vraiment abyssal entre l'entretien que nous vivons aujourd'hui
et la façon dont nous avons été considérés pendant ma grossesse gémellaire.
Les bonnes surprises se succèdent : plus d'aspiration des voies respiratoires du bébé, plus de bain le premier jour, pas même de mesure de la taille de l'enfant. Tout
juste est-il pesé afin que le corps médical ait une référence pour suivre son évolution les jours suivants, mais ce n'est qu'après deux bonnes heures de peau-à-peau avec la maman. Aucun problème
non plus pour l'allaitement; là encore tout est mis en œuvre depuis quelques mois pour le faciliter.
Pour tout ce qui ne concerne pas directement le travail des sages-femmes, il ne peut pas se prononcer. Mais cela ne l'empêche pas de nous informer sur les procédures en vigueur. Évidemment, c'est
là que ça coince. Il nous confirme que la péridurale est fortement conseillé en cas d'épilepsie afin de limiter les risques de convulsions. Gabrielle n'en veut pas pour être certaine de sentir les
premiers signes d'une éventuelle rupture utérine. Mais il nous explique que si la péridurale soulage la douleur, elle ne masque pas ce genre de signaux qui constituent des pics de souffrance. Soit,
nous pouvons l'entendre et l'accepter. Pas question en revanche de nous aligner sur la politique de la maternité qui, dans l'hypothèse d'une césarienne, proscrit la présence des pères au bloc.
Qu'elle soit programmée ou pas n'y change rien, c'est la configuration de l'établissement qui ne le permet pas. La maternité ne disposant pas de son propre bloc opératoire, elle utilise celui de
chirurgie dont les règles de fonctionnement sont communes à tous les services. De toutes façons, un seul des anesthésistes serait d'accord sur le principe et ça ne pourrait se décider qu'au dernier
moment. Quand je pense que le Dr G. nous avait dit que c'était négociable... Tu parles ! C'était juste un moyen de ne pas trop nous refroidir.
L'examen de notre projet de naissance se termine et nous avons le sourire. "Le" sage-femme le glisse dans notre dossier et nous informe qu'il va le présenter à la
prochaine réunion du staff lundi. En voilà une idée qu'elle est bonne. C'est juste un peu étrange que ce soit lui qui fasse cette démarche et pas le médecin rencontré deux jours plus tôt... Avant
de nous séparer, il nous propose de visiter les lieux. Après une chambre type, nous voilà dans une des deux salles d'accouchement. La pièce est spacieuse et les couleurs pastel de l'ensemble en
réchauffe l'ambiance sans agresser l'œil. À côté de la table de travail, une rampe chauffante permet de maintenir bébé au chaud quand il n'est pas sur sa mère. Il y a même une baignoire dans
laquelle la femme enceinte peut se plonger durant le travail, tant que la poche des eaux n'est pas rompue. Ce cocon inspire confiance. Il ne reste plus qu'à tout faire pour que l'accouchement se
déroule effectivement par voie basse. Tout faire pour qu'on me laisse accoucher par voie basse. À ce titre, les prochains rendez-vous avec les deux obstétriciens que nous n'avons pas encore vus
seront déterminants.
En sortant de l'hôpital, nous nous rendons compte que nous ne connaissons ni le nom ni le prénom de celui qui nous a reçu si chaleureusement. Lui s'est présenté comme l'homme sage-femme, pour nous
il est l'homme en bleu, l'homme bleu. Schtroumpf alors !