- Je ne t’ai pas tout dit.
Je la regarde, et mon cœur s’arrête. Elle se tord les mains, gamine prise en faute, victime face au bourreau, les yeux déjà humides et l’aveu au bout des lèvres. Dans ces prunelles, là, entre l’iris et la pupille, il y a quelque chose. Il y a un mariage, raté, qu’elle tente de sauver. Notre mariage. Il y a six ans de vie commune, un bébé de neuf mois, des hauts et des bas. Plus de bas. Il y a nos erreurs, les miennes surtout ; la mienne surtout. Il y a la vie, celle qu’elle avait avant, celle qu’elle mène maintenant, et il y a un peu de mort aussi, de la nôtre, juste à l’endroit où je l’ai trompée. Ça déborde légèrement, sur tout le reste. Dans ses yeux il y a ce que l’on se dit, ce que j’ai caché, caché, quel vilain mot ; ce qu’on a construit, ce qu’on a traversé. Ce qu’on tente de réparer. Dans son regard il y a celui des autres, sa famille, ses amis. Ceux qui savent. Ceux qui s’en doutent. Il y a un passé, certain, un futur improbable. À moins que… L’offre est soumise à conditions : ses conditions. Au plus profond de sa rétine il y a une femme meurtrie et une culpabilité, la mienne, qu’elle continue de porter malgré tout, malgré elle. Il y a un peu de sa haine, beaucoup de son amour. Un océan de déception. Ses yeux sont bleus. Ses yeux sont une mer et parce que j’ai plongé, parce que j’ai perdu pied et qu’elle rame pour venir me sauver, je bois la tasse jusqu’à ce que ça passe.L’iode me pique les yeux, et tandis qu’elle guette ma réaction je refoule comme je peux les élans d’eau salée. Parce que dans son regard il y a aussi la nuit dernière, celle où elle n’est pas rentrée, et son explication hasardeuse le lendemain matin. Et peut-être qu’elle a l’impression que ça me ferait du bien, de l’entendre, que ça me libèrerait. Mais peut-être qu’elle se trompe, elle, à tenter de me tromper.
Mon cœur redémarre, lentement.
- Ce n’est pas grave, dis-je. Je n’ai pas à tout savoir.
Et cette légère brise marine, à nouveau de se lever.