C’est l’injonction de Daniel Cordier en conclusion de sa harangue aux visiteurs de l’exposition au Centre Pompidou des oeuvres de sa donation, Les Désordres du Plaisir (jusqu’au 23 mars), oeuvres qui sont habituellement, pour la plupart en dépôt aux Abattoirs à Toulouse. Ayant rappelé ici que le plaisir était une mission des musées, je me réjouis de cette glorification de la ‘jouissance de l’amateur’. Ce galeriste et collectionneur, qui fut secrétaire de Jean Moulin, a rassemblé des pièces qu’on ne nommait pas encore ‘arts premiers’ alors et des oeuvres d’artistes contemporains, et elles cohabitent fort bien ensemble, une première à Pompidou, que Cordier qualifie de ‘bombe à retardement bafouant l’organisation du musée et menaçant ses principes’. Les principes ont néanmoins la vie dure, car, comme à Toulouse, les oeuvres contemporaines sont dotées d’un cartel individuel, alors que, pour identifier les pièces d’art primitif, il faut, dans la quasi totalité des cas, se rapporter à une liste unique à l’entrée des salles : deux poids, deux mesures.
On n’est guère surpris de trouver ici Dubuffet et des représentants de l’art brut, Chaissac, Réquichot, Nedjar, Dado. On est accueilli par un Wall Hanging de Robert Morris, mais les artistes présentés sont en majorité français. Outre les précédents, Michaux et Hantai sont représentés en force. Ici au fond, une photo de Maplethorpe, de 1981, Jimmy Freeman, qui pourrait passer pour un masque. C’est tout l’intérêt de cette exposition, d’apparier des oeuvres pour leurs correspondances formelles, mais aussi de marier des mythes.
La Bibliothèque idéale de Jean-Luc Parant occupe tout un coin. A Toulouse, j’en disais déjà : “Cette accumulation de tablettes grises en pierre, de morceaux de livres, de pages estompées lisibles ici et là, de boules claires en cire évoque une bibliothèque parfaite, monstrueusement parfaite, celle de Borgès peut-être. Elle évoque aussi pour moi d’anciennes installations d’un plasticien, justement toulousain, qui se fait rare, Driss Sans-Arcidet (Musée Khômbol).” Dommage qu’elle voisine avec la grotesque et plagiaire trop fameuse photo des frères Gao.Daniel Cordier parle de sa découverte de la beauté en ramassant, enfant, des galets pyrénéens et il ne craint pas d’inclure dans l’exposition un tas de ballons de foot et un mur de claustras orange devant lequel plus d’un, votre serviteur inclus, se demande qui est donc l’artiste minimaliste qui a fait ça : preuve de l’inanité de l’art contemporain dirons les beaux esprits, ou preuve que la beauté se niche aussi dans des objets simples ?
En retour, devant ce mur alignant Hantai et Requichot, parmi les nombreuses pièces d’art africain, on voit au sol Sans titre (Os de mâchoire de cheveaux [sic]) de Claude Viseux. Ce qu’on aurait pris pour une oeuvre primitive se révèle être le fait d’un artiste contemporain. De ces surprises aussi peut naître le plaisir que Daniel Cordier nous souhaite.Jean-Luc Parant étant représenté par l’ADAGP, la photo de son oeuvre sera ôtée à la fin de l’exposition. Photos de l’auteur.