La crise gazière risque de compromettre les aspirations euro-atlantiques de l'Ukraine en portant un coup à la réputation de cette "jeune démocratie" déjà minée par un conflit au sommet de l'Etat et que l'Europe, privée de gaz, est moins encline à défendre face au puissant voisin russe.
"L'Europe est aujourd'hui mécontente non seulement des agissements de la Russie, mais aussi de l'Ukraine", souligne le politologue ukrainien Volodymyr Fesenko, du centre d'études politiques Penta.
La virulente sortie mercredi de Robert Fico, Premier ministre de Slovaquie, pays très touché par les pénuries énergétiques, devant son homologue ukrainienne Ioulia Timochenko est révélatrice de cet état de fait. "Nous ne sommes pas intéressés par les relations russo-ukrainiennes", a-t-il sèchement lancé, demandant "du gaz".
Le vice-Premier ministre tchèque Alexandr Vondra, dont le pays préside l'UE, a de son côté prévenu que la crise aurait des "conséquences politiques" sur les relations de l'Union européenne à la fois avec la Russie et avec l'Ukraine.
"Le nombre des 'ukrainosceptiques' en Europe augmentera. L'atmosphère dans les relations Ukraine-UE va empirer", souligne M. Fesenko.
Une analyse partagée par Andrew Wilson, du Conseil européen pour les relations internationales : "cette fois, il y a davantage de reproches à l'égard de l'Ukraine" et "une certaine exaspération face à sa tactique", souligne-t-il.
"Quant à l'intégration de l'Ukraine à l'UE, elle ne sera ni plus proche ni plus lointaine, mais dépendra de la réforme du secteur énergétique", ajoute M. Wilson.
L'image de l'Ukraine, par laquelle transite 80% du gaz russe destiné à l'Europe, "est écornée. Le système de gazoducs n'a pas été modernisé et fonctionne comme à l'époque soviétique et c'est notre problème et pas celui de l'UE", note Andri Ermolaïev, du centre d'études Sofia à Kiev.
"L'Europe veut contrôler le transit du gaz par l'Ukraine parce qu'elle ne fait pas confiance à Kiev", juge-t-il.
La crise gazière vient se superposer à d'incessantes batailles politiques entre le président Viktor Iouchtchenko et son Premier ministre Ioulia Timochenko, ex-alliés de la Révolution orange, cependant que l'opposition pro-russe demande le départ des deux dirigeants.
"L'impression en Europe est que l'Ukraine n'est pas très bien dirigée et c'est mauvais lorsqu'il s'agit d'une intégration à l'Otan ou à l'Union européenne", commente Katinka Barysch, du Centre de la réforme européenne dont le siège est à Londres.
Les efforts de l'Ukraine en vue de rejoindre l'Alliance atlantique, vus d'un très mauvais œil par Moscou, avaient déjà été minés avant la crise du gaz en raison des réticences de plusieurs pays occidentaux, encore accrues après le guerre d'août dernier en Géorgie, également candidate à une adhésion à l'Alliance.
"L'idée selon laquelle la Révolution orange mènera vers la démocratie et le marché n'est plus d'actualité", résume Mme Barysch.
"La Révolution orange est une page dans l'histoire de l'Ukraine. Aujourd'hui, elle offre l'image d'un pays égaré, hystérique et conflictuel", renchérit l'analyste Andri Ermolaïev, du centre d'études Sofia à Kiev.
Une situation dont profite la Russie pour tenter d'imposer ses règles du jeu économique et géopolitique à l'Europe, considèrent des experts.
"La Russie fait tout pour que l'Europe accepte l'idée que l'Ukraine a fait faillite, politiquement et financièrement, et obtenir la surveillance de ses gazoducs", estime Vira Nanivska, présidente de l'Académie nationale de la gestion étatique.
Source du texte : ROMANDIE NEWS