Emmanuel Martin, le 15 janvier 2008 - Alors que la situation à Gaza tourne au drame et que les appels au calme ne sont pas entendus, tout autour de la planète des intellectuels, journalistes, particuliers et commentateurs de tous ordres et de tous bords adoptent des attitudes qui bien souvent font montre d'une ignorance de l'histoire des origines du conflit israélo-palestinien. Or seule une connaissance de cette histoire peut permettre de saisir les enjeux et de porter un regard un tant soit peu objectif sur la situation actuelle, qui n'est que le prolongement d'un siècle de tensions. A ce titre, il faut se plonger dans la littérature relatant le processus d'implantation des juifs « sionistes » en Palestine et les relations avec les arabes, jusqu'à la création de l'Etat d'Israël le 15 mai 1948 (la guerre israélo-arabe commencera le même jour).
Depuis les années quatre vingt, après l'ouverture des archives israéliennes et britanniques, des historiens israéliens ont entrepris de mettre à jour cette histoire. Parmi eux citons Benny Morris (La naissance du problème des réfugiés palestiniens) ou Ilan Pappé (La guerre de 1948 en Palestine) qui ont effectué un sérieux travail de défrichage, même si il n’a pas reçu un accueil des plus chaleureux en Israël où il remettait en question certaines vérités officielles.
Si des juifs ont habité pendant très longtemps au milieu d’une majorité d’arabes qui vivent depuis des siècles sur les terres de Palestine, c’est à partir de 1878 qu’arrivent les premiers « nouveaux juifs » qui installent des communautés essentiellement composées d’émigrants de Russie fuyant les pogroms. A l’époque « la question juive » est intimement liée à l’antisémitisme en Europe. Les juifs s’installent en achetant les terres et fondent des communautés de travail. Des tensions apparaissent rapidement avec les travailleurs arabes, exclus de ces terres vendues par leurs propriétaires arabes.
C’est véritablement entre 1917 et 1922 que les racines du conflit naissent. Alors que l’empire ottoman s’écroule, les britanniques prévoient déjà l’installation d’un « foyer national juif » en Palestine avec la « déclaration Balfour » (du nom du ministre des affaires extérieures britannique). La doctrine du « sionisme » avait été développée une vingtaine d’année plus tôt, notamment par Theodor Herzl, et préconisait la constitution d’un Etat juif (mais laïc) en Palestine (considérée par les sionistes comme la terre « historique » du peuple juif). Le « Fond national juif » récoltait de l’argent dans de nombreux pays pour acheter des terres pour les juifs de Palestine. En 1922 le Royaume-Uni reçoit mandat de la Société des Nations pour accompagner la Palestine à la formation d’un futur Etat. Mais à l’époque la grande majorité de la population est arabe. Voilà donc qu’une même terre est implicitement promise à deux peuples, qui lutteront alors pour elle jusqu’à aujourd’hui.
Avec l’émigration juive, notamment du fait du nazisme, les tensions montent, et les britanniques ont le plus grand mal à calmer la situation (ils tentent d'ailleurs de limiter l’émigration juive). Les juifs s’organisent dès la fin des années 1920 en créant un embryon des futures administration et système de défense de l’Etat d’Israël. Les révoltes arabes de 1936-39 sont très violentes. Durant la deuxième guerre mondiale les sionistes se rangent aux côtés des alliés alors que les arabes soutiennent l’axe. Mais dès la fin de la guerre les sionistes se retournent contre les britanniques et engagent une « guerre d’indépendance » en menant des actions terroristes. Les groupes extrémistes sionistes Irgoun et Stern brilleront par leur violence.
Le sort des juifs lors de la Shoah a ému le monde entier et il paraît alors urgent qu’ils puissent avoir un Etat. Par ailleurs, alors que les britanniques tentent de limiter l’émigration juive, se joue le drame de l’Exodus, ce bateau amenant des survivants des camps de la mort en Palestine et refoulé brutalement par la marine britannique : un épisode qui jouera en faveur de la cause sioniste. La Couronne britannique, qui est exsangue, n’a plus les moyens de faire régner l’ordre en Palestine. Elle passe la main aux Nations Unies.
La mission de l’Onu pour la Palestine, l’UNSCOP, va peu à peu décider d’un plan de partition entre l’Etat d’Israël et l’Etat de Palestine. Mais alors que les juifs sont très coopératifs, les arabes n’entendent pas négocier, estimant qu’ils sont sur leurs terres. Cette absence de diplomatie, expliquée aussi par un leadership faible et dispersé ainsi que par une tendance à laisser les autres pays arabes gérer leurs affaires (la Ligue Arabe), leur sera fatal. Lorsque la résolution 181 est votée à l’ONU fin novembre 1947, elle accorde plus de territoire aux juifs – moins nombreux pourtant – qu’aux arabes. La Couronne devra rendre le mandat à la mi-mai 1948. Si les juifs dansent dans les rues, les arabes voient là une profonde injustice. Selon eux, ils n’ont pas à voir leur terre découpée et donnée à un autre peuple, et encore moins à vivre, pour une bonne partie d’entre eux, dans des territoires sous la coupe de l’Etat sioniste. Sentant « le vent tourner », près de 70.000 palestiniens des classes aisées et dirigeantes fuient alors, délaissant les leurs dans la confusion.
La guerre civile éclate véritablement. Mais les arabes sont mal préparés politiquement, militairement, financièrement, et psychologiquement, ce qui n’est pas le cas des juifs. Après quelques « victoires » les arabes perdent rapidement la main. Des villages entiers sont vidés de leurs habitants palestiniens soient parce qu’ils fuient soit, pour la majorité, chassés par les sionistes. Quelques massacres ont lieu (le plus célèbre est Deir Yassin en avril), souvent du fait des milices extrémistes sionistes. C’est l’exode palestinien qui commence pour près de 750.000 d’entre eux. Ils réclameront leur droit au retour, mais bien souvent leurs villages auront été rasés - stratégie sioniste du « fait accompli » à partir de la fin 1948, diront certains. Ce droit au retour est un point majeur de l'échec des négociations de paix depuis l'origine.
Il existe un point soumis à controverse. Le débat oppose ici Ilan Pappé à son collègue israélien historien Benny Morris. Alors que pour ce dernier l’exode n’est qu’une conséquence de la guerre, pour le premier, les sionistes auraient pratiqué un « nettoyage ethnique » des palestiniens : en mars 1948 aurait été décidé le plan Dalet (D en hébreu) par les dirigeants sionistes menés par Ben Gourion, consistant à expulser un maximum de palestiniens (45% de la population du futur Etat juif).
Comme bien souvent, en promettant une terre à deux peuples, les grandes puissances ont créé les conditions de conflits futurs.
Emmanuel Martin est docteur en économie, responsable de la publication sur www.unmondelibre.org.