Donc, tollé! Le conseiller administratif en charge du lieu, Patrice Mugny pour le nommer, a résolu d'y enterrer la putain la plus connue de la république, Grisélidis Réal (1929-2005), qui a entre autre vertus d'être également écrivain, auteur de livres très intéressants.
Et tous les moralistes de s'indigner! Une péripatéticienne à côté de Calvin? Grisélidis, qui n'a jamais condamné la prostitution, qui l'a choisie comme activité et l'a défendue toute sa vie, est-elle un exemple à proposer aux jeunes? Ne va-t-on pas donner là un signe positifs aux clients des amours vénales qu'il s'agit au contraire d'ostraciser, à qui on doit faire honte? Etc.
Je l'avais rencontrée une ou deux fois, Grisélidis Réal, que ses proches appelaient Gri. La première fois pour une séance de signatures au salon du livre où nous étions côte à côte. Elle trônait comme une idole égyptienne, magnifique, grave, allumant quand même les vieux messieurs de son âge par conscience professionnelle. On la surveillait de près: la veille, elle avait refilé gratuitement vingt ou trente de ses bouquins à ses connaissances qui passaient, au grand dépit de l'éditeur.
Comme nous avions un ami commun, je l'avais ensuite revue. Par exemple une fois, je mangeais avec elle et lui au Dorian, près de l'université, et de sa voix forte et provocante, elle avait expliqué comment une dame de Carouge, une grande professionnelle, lui avait appris jadis le sado-masochisme. Petit à petit les tables autour se constipaient et un silence consterné se faisait. C'étaient des banquiers sortis des établissements du quartier, des cadres du tertiaire ou des bourgeois branchés culture.
Il y eut quelques petites rencontres encore jusqu'à cette dernière fois, quand elle était proche de la fin et très affaiblie par le cancer, à une séance de lecture aux Grottes...
Bon, inutile de s'étendre. Il s'agit plutôt ici d'apporter un témoignage personnel. Je ne sais pas si Grisélidis Réal sera enterrée au Cimetière des rois, ce qu'elle mérite sans aucun doute. Ce que je sais, en tout cas d'après mon expérience, c'est que c'était une reine.