A Genève, le Cimetière
des rois est une grande chose. Un endroit très romantique, qui
accueille les dépouilles des grands noms liés à
la république. Jean Calvin, Jorge-Louis Borges ou Jean Piaget
y sont enterrés, avec quelques hommes politiques dont les
mérites sont évidemment moindres.
Donc, tollé! Le conseiller
administratif en charge du lieu, Patrice Mugny pour le nommer, a
résolu d'y enterrer la putain la plus connue de la république,
Grisélidis Réal (1929-2005), qui a entre autre vertus d'être
également écrivain, auteur de livres très
intéressants.
Et tous les moralistes de s'indigner!
Une péripatéticienne à côté de
Calvin? Grisélidis, qui n'a jamais condamné la
prostitution, qui l'a choisie comme activité et l'a défendue
toute sa vie, est-elle un exemple à proposer aux jeunes? Ne
va-t-on pas donner là un signe positifs aux clients des amours
vénales qu'il s'agit au contraire d'ostraciser, à qui
on doit faire honte? Etc.
Je l'avais rencontrée une ou
deux fois, Grisélidis Réal, que ses proches appelaient
Gri. La première fois pour une séance de signatures au
salon du livre où nous étions côte à côte.
Elle trônait comme une idole égyptienne, magnifique,
grave, allumant quand même les vieux messieurs de son âge
par conscience professionnelle. On la surveillait de près: la
veille, elle avait refilé gratuitement vingt ou trente de ses
bouquins à ses connaissances qui passaient, au grand dépit
de l'éditeur.
Comme nous avions un ami commun, je
l'avais ensuite revue. Par exemple une fois, je mangeais avec elle et
lui au Dorian, près de l'université, et de sa voix
forte et provocante, elle avait expliqué comment une dame de
Carouge, une grande professionnelle, lui avait appris jadis le
sado-masochisme. Petit à petit les tables autour se
constipaient et un silence consterné se faisait. C'étaient
des banquiers sortis des établissements du quartier, des
cadres du tertiaire ou des bourgeois branchés culture.
Il y eut quelques petites rencontres
encore jusqu'à cette dernière fois, quand elle était
proche de la fin et très affaiblie par le cancer, à une
séance de lecture aux Grottes...
Bon, inutile de s'étendre. Il
s'agit plutôt ici d'apporter un témoignage personnel. Je
ne sais pas si Grisélidis Réal sera enterrée au
Cimetière des rois, ce qu'elle mérite sans aucun doute.
Ce que je sais, en tout cas d'après mon expérience,
c'est que c'était une reine.