Poétesse et plasticienne, elle imprime sa marque depuis plus de vingt ans dans les rues de Paris, avec ses pochoirs et ses poèmes. Figure incontournable de l’art urbain, l’énigmatique Miss Tic est aussi l’invitée de foires internationales d’art contemporain. Alors qu’elle a sorti un recueil de textes et de dessins chez Grasset, Christophe Genin, un agrégé de philosophie, lui consacre un essai. Si le propre de tout artiste est de questionner, Miss. Tic en est définitivement une. Portrait d’une femme libre.
Crédit photo : Gilles Klein/FlickR
Elle porte des lunettes noires : désir d’ombre ou de lumière ? Y résident son bagout, sa fêlure, son équivoque aussi. S’afficher sur les murs d’une ville, s’exposer pour mieux se dérober, en n’offrant que ce qu’elle veut donner à voir. La rue fut son premier terrain de jeu, jamais l’unique, bien que cette image lui colle à la peau. « Dès 1986, Agnès B. a proposé de m’exposer, ensuite, je fus vendue dans les très chics 8ème et 16ème arrondissements, dans les galeries Christophe et Sanguine», se plaît à rappeler Miss.Tic., avant d’avaler une bouchée de son croque-monsieur, à la terrasse d’un café place du Châtelet. En 1988, le Fond Municipal d’Art Contemporain de la Ville de Pais lui acheta six toiles, suivi par le Victoria and Albert Museum de Londres qui en acquit deux en 2005.
Longtemps, beaucoup ont pris de haut cette petite brune incandescente, féministe et féminine, qui pose ses pochoirs sur les immeubles avec l’ambition d’une artiste à part entière. « Je prête à rire mais je donne à penser », nous balance-t-elle au détour d’une rue. C’est aussi le titre d’un recueil d’aphorismes, d’épitaphes et de jeux de mots, publié chez Grasset à la fin de l’année 2008.
Si ses premiers tryptiques (un dessin, une signature, un haïku) exprimaient une blessure amoureuse, après sa séparation avec le plasticien Blek le rat, les suivants seront de moins en moins autobiographiques.
Sa démarche est intellectuelle : Miss.Tic veut questionner la femme, en détournant les images des magazines. « A l’époque, je suivais le travail de Jérôme Mesnager, Jeff Aérosol, du collectif Vive la Peinture, des Ripoulins, étudiants aux Beaux-arts, et j’avais envie de trouver ma propre griffe. » Plus tard, elle bombera sur des supports marouflés, avec des collages dans la filiation des Nouveaux Réalistes Hains et Villeglé (affiches lacérées) et d’Ernest Pignon Ernest. A leur suite, elle dynamite les conventions d’un art tout juste naissant.
Pourtant, Eric Landau, de la galerie W, continue de la classer à part : « Certes, elle appartient à ce groupe dont les œuvres sont éphémères, mais elle se démarque, d’abord parce qu’elle écrit, ensuite parce que c’est une femme ». Insoumise, rebelle mais pas racaille, enfant de la banlieue et parisienne jusqu’au bout des ongles, Miss.Tic refuse les manichéismes.
Sur son véritable nom qui « ne regarde que le fisc », et son enfance à Orly, elle ne lâche que quelques miettes : sa mère est décédée quand elle avait 10 ans, et son père, Tunisien d’origine, succombe d’une crise cardiaque six ans plus tard. Encore mineure, elle choisira de fuir à Paris. Ce qu’elle ne dit pas, par crainte de susciter de la pitié, c’est qu’à dix ans, elle perdit aussi sa grand-mère et son petit frère dans un accident de voiture.
Miss Tic exècre le misérabilisme, car elle s’est toujours battue. Seule. Après avoir suivi un petit ami aux Etats-Unis, et tenté d’amorcer une carrière de comédienne, en faisant du théâtre de rue avec les troupes Zéro de conduite et Kumulus, elle bifurque vers les arts plastiques. La reconnaissance arrive de façon détournée, lorsqu’elle est condamnée par le tribunal de Paris pour « dégradation d’un bien appartenant à autrui ». Le procès qui a duré de 1997 à 2000 lui a offert «l’équivalent d’une campagne publicitaire », positive l’artiste qui fut soutenue à l’époque par le styliste Kenzo, Marie Trintignant, Maurice Béjart, Pierre Cornette de Saint-Cyr, André Putman...
Ironie du sort, elle officie aujourd’hui dans la rue avec la bénédiction des pouvoirs publics. Sa cote se situe « entre 3 et 6000 euros pour une toile moyenne », selon Didier Jumaux de la galerie Fanny Guillon-Laffaille. Sans compter les produits dérivés (des stickers, un tee-shirt pour Kenzo, un carton d’invitation pour le premier défilé de Marc Jacobs chez Vuitton, logo du loueur automobile Ucar et des sacs Lamarthe). « J’ai suffisamment galéré pour ne pas renier cet argent », lâche celle que les aigris ont surnommée Miss Fric.
Fidèle en amitié, cabossée par la vie, elle aime aussi poser ses bombes pour cuisiner et danser le tango. « Quand je l’ai connue, elle avait un look dingue : perfecto noir, petit short, talons hauts, avec une colombe sur l’épaule », raconte Arnaud Brument, ex propriétaire de la galerie Sanguine, et désormais à la tête de incognito artclub. « Pour moi, c’est une vraie littéraire », tranche Didier Jumaux. Elle perpétue la tradition de la poésie à l’état brut, à l’instar de Clément Marot, poète du XVIe° siècle, qui écrivait : “Je rime ailleurs en rimailleur”. Le langage est un jeu et Miss.Tic une excellente joueuse.
Paru dans Femmes (numéro de janvier 2009).
Miss.Tic, femme de l’être, Christophe Genin, Les impressions nouvelles, 192 p., 25 euros.
Je prête à rire, mais je donne à penser de Miss.Tic, Grasset, 192 p., 11,90 euros.