Rick Bass, Exploits sportifs, extrait de Platte River (1996)
« Lory voyait la dépression, cette partie pas très ancienne d’elle-même, s’éloigner derrière elle – derrière juin, derrière au printemps et derrière pendant l’hiver ; tout là-bas dans l’automne froid et l’été précédent aux feuilles desséchées –, et maintenant elle glissait en avant, loin de tout cela. A.C l’emmena à sa ferme et lui apprit à rester suspendue au plafond. Il avait réglé le harnais pour qu’elle puisse rester accrochée en l’air et toupiller.
Il dut surmonter la peur de blesser de nouveau quelqu’un. Il dut frapper cette peur de plein fouet et l’anéantir. Il avait fait beaucoup de chemin pour en arriver là. Il était prêt à la frapper de plein fouet. Ça valait le coup, une fois de plus. Et il voulait qu’elle aussi soit courageuse.
« C’est plus agréable quand on est nu », lui dit-il la première fois, si bien qu’elle se déshabilla.
Lory ferma les yeux, étendit bras et jambes, puis elle se mit à tourbillonner en cercles lents. A.C. éteignit la lumière, s’assit contre le mur et regarda sa silhouette devant la fenêtre, il la regarda jusqu’à ce qu’elle s’endorme ; il lui retira alors le harnais et la mit dans son lit, où elle se réveilla.
« Nous ne dirons rien à personne », murmura-t-il.
Elle était dans ses bras, chaude, vivante. Penser à ce que signifiait être en vie lui donnait le vertige.
« Non, répondit-elle, personne ne saura jamais rien. »
Elle s’endormit, les lèvres contre la poitrine prodigieuse. A.C. restait allongé là, regardant le harnais accroché au-dessus d’eux, et il se demanda pourquoi il voulait garder tout cela secret, pourquoi il fallait que ce fût un secret.
Il comprit que c’était la meilleure manière de la protéger, il comprit qu’il l’aimait.
Il resta éveillé pendant toute la nuit, conscient de leur disproportion physique, redoutant de l’écraser si jamais il s’endormait et qu’il se retournait dans son sommeil. Il se leva avant l’aube, il la réveilla puis ils montèrent dans le canoë, se laissèrent dériver vers l’Etat de New York et ils furent de retour chez elle avant le jour. Cette première nuit et toutes les nuits suivantes, il rejoignit l’entresol à pas de loup. »