La France, Etoile de la mer voici la lourde nappe Et la profonde houle et l'océan des blés Et la mouvante écume et nos greniers combles, Voici votre regard sur cette immense chape Et voici votre voix sur cette lourde plaine Et nos amis absents et nos coeurs dépeuplés, Voici le long de nous nos poings désassemblés Et notre lassitude et notre force pleine. Étoile du matin, inaccessible reine, Voici que nous marchons vers votre illustre cour, Et voici le plateau de notre pauvre amour, Et voici l'océan de notre immense peine. Un sanglot rôde et court par delà l'horizon. À peine quelques toits font comme un archipel. Du vieux clocher retombe une sorte d'appel. L'épaisse église semble une basse maison. Deux mille ans de labeur ont fait de cette terre Un réservoir sans fin pour les âges nouveaux. Mille ans de votre grâce ont fait de ces travaux Un reposoir sans fin pour l'âme solitaire. Vous nous voyez marcher sur cette route droite, Tout poudreux, tout crottés, la pluie entre les dents. Sur ce large éventail ouvert à tous les vents La route nationale est notre porte étroite. Nous allons devant nous, les mains le long des poches, Sans aucun appareil, sans fatras, sans discours, D'un pas toujours égal, sans hâte ni recours, Des champs les plus présents vers les champs les plus proches […]
Charles Péguy