Vue sur la mosquée d’al Fadilah, à Rafah. L’offensive israélienne sur la bande de Gaza dure depuis 16 jours. /Photo prise le 11 janvier 2009/
REUTERS/Ibraheem Abu Mustafa
Leur responsabilité est d’autant plus grande qu’Israël a interdit aux reporters étrangers l’accès au territoire palestinien surpeuplé dès le début de son offensive, le 27 décembre. Frustrés, ceux-ci sont cantonnés à décrire les explosions et colonnes de fumée qu’ils aperçoivent de loin, du haut des collines israéliennes en surplomb de la bande de Gaza.
Sur la radio utilisée par les journalistes de Reuters, les informations affluent: “Ils ont bombardé une voiture à Beït Lahiyah”, rapporte un reporter. “Trois cadavres sont arrivés à l’hôpital Chifa”, dit un autre. “Plusieurs blessés dans un raid aérien contre des tunnels”, ajoute un troisième, basé dans le Sud, près de la frontière avec l’Égypte.
Au bureau de Reuters à Gaza, où sont reçus ces appels, les vitres des fenêtres ont été recouvertes d’adhésif de façon à minimiser les risques de blessures si elles étaient soufflées par une bombe. Mais les locaux ont été secoués à plusieurs reprises par des explosions à proximité et la principale baie vitrée n’a pas résisté.
Au sommet de l’immeuble, l’équipe a installé une caméra fixe. Les caméramen préfèrent éviter de filmer à partir des fenêtres du bureau, de crainte que des soldats israéliens ne se méprennent en croyant être visés par une arme.
En 2003, à Bagdad, l’armée américaine avait invoqué une telle méprise pour expliquer qu’un de ses chars avait dévasté le bureau de l’agence, tuant ou blessant ses correspondants. Tsahal a recouru à la même excuse à Gaza il y a neuf mois pour justifier qu’un char ait visé et tué un caméraman de Reuters, Fadel Chana.
LES LUMIÈRES SE FONT RARE LA NUIT
La caméra placée sur le toit du bâtiment peut filmer d’un côté le front de mer, à quelques pâtés de maisons de là, aussi bien que les forces israéliennes qui s’approchent de la ville de l’autre côté, à un peu plus d’un kilomètre. La nuit, elle capte les lumières de la ville et des véhicules ainsi que les lueurs des balles et obus traçants et des explosions.
Mais après 16 jours de combats, lumières et va-et-vient de véhicules se font rares la nuit. Pour des raisons de sécurité, l’équipe de Reuters ne reste plus au bureau après le coucher du soleil. Chacun s’occupe de sa famille et reste en contact téléphonique avec ses collègues pour alimenter le flux de nouvelles.
Vers 09h00 du matin, une dizaine de correspondants se retrouvent au bureau tandis qu’une douzaine d’autres sont à pied d’oeuvre en divers points de l’étroite bande côtière peuplée d’un million et demi de Palestiniens. Les raids israéliens ont alors commencé depuis plusieurs heures. L’équipe rend compte de la situation au bureau de Jérusalem.
Dans la rue, l’équipe communique par textos. Il lui faut suivre radios et télévisions locales, qui sont souvent les premières sur un événement important. Il faut alors courir vérifier leurs informations. Ces recoupements sont indispensables dans un conflit où confusion et propagande fleurissent.
Pratiquement aucun lieu de la bande de Gaza n’a été épargné par les bombardements et raids aériens. Bien que les soldats israéliens n’y aient pas - encore - pénétré, le centre de Gaza a été frappé à plusieurs reprises. Certaines attaques ne visaient qu’un simple policier ou un groupe de miliciens, mais elles n’ont pas fait dans le détail, détruisant parfois un immeuble entier ou fauchant un groupe de passants.
Les journalistes de Reuters restreignent leurs allées et venues entre hôpitaux et les théâtres de bombardements où ils craignent que le bilan en pertes humaines ne soit très lourd. Il serait trop dangereux par exemple de se trouver à proximité de dirigeants ou de combattants du Hamas.
“DOMMAGE COLLATÉRAL”
“Faites attention. N’allez pas là où un bombardement vient juste de se produire. Attendez un moment. Les lieux pourraient être de nouveau bombardés”: telles sont les consignes réitérées à toute l’équipe. En voiture, on évite les routes principales, les endroits qu’Israël a menacé de bombarder, les domiciles de chefs islamistes, la proximité des mosquées.
Au bureau, les journalistes de Reuters prennent le petit déjeuner ensemble, parfois aussi le déjeuner. Ils font parvenir des en-cas aux reporters sur le terrain. Parfois, ceux-ci s’absentent durant quatre ou cinq jours. À leur retour, c’est la fête. On s’étreint et se félicite d’avoir survécu.
Lorsque le principal complexe de la sécurité du Hamas a été frappé par l’aviation israélienne, un éclat d’obus à traversé un mur du bureau, situé à 200 mètres, et une partie du plafond s’est effondrée, mais personne n’a été blessé.
Quatre journalistes ont été tués depuis le début de l’offensive israélienne contre le Hamas à Gaza: l’un travaillait pour les télévisions algérienne et marocaine, deux autres pour une radio gazaouie et le quatrième était le caméraman personnel du président palestinien Mahmoud Abbas.
Dimanche, au 16e jour de l’offensive, le chef du bureau de Reuters et sa famille ont décidé de déménager de leur immeuble, situé dans le sud-ouest de la ville de Gaza, pour se rapprocher du centre, estimant se trouver désormais en pleine zone de guerre. Des combattants sont apparus dans le quartier et les chars israéliens s’en approchent.
Son calcul est que, plus peuplé, le centre serait plus sûr. Mais nulle part à Gaza aujourd’hui quiconque se sent en sécurité. L’armée israélienne a déclaré avoir pris bonne note de la situation du bureau de Reuters et ne pas le compter parmi ses cibles.
Ce n’est pas pour autant rassurant: il y a 48 heures, un centre de transmission utilisé par plusieurs chaînes arabes et la télévision iranienne, à une centaine de mètres du bureau, a été dévasté par l’aviation israélienne, qui a nié l’avoir visé et a parlé de “dommage collatéral”.