C’était l’un des fleurons de la télé de papa.
Chaque année, les familles françaises se réunissaient pieusement devant leur poste de télévision en noir et blanc - plus rarement en couleurs - pour regarder l’une des trois chaînes du service public (et oui, TF1 existait avant que Bouygues ne la transforme en service de propagande gouvernementale). À ce moment, le logo ORTF tournoyait, la musique commençait, et l’on savait que le Concours Eurovision de la Chanson venait de commencer.
Le but du jeu ? Écouter de la variété venue du monde entier, et découvrir que la musique - en plus d’adoucir les mœurs - pouvait rapprocher les peuples et les amener à s’enrichir de leurs différences… À la fin, un « jury » choisissait la chanson gagnante. Il n’y avait pas encore de vote par téléphone à 0,71 euros la minute, et si l’on voulait quand même donner son avis, on pouvait parler à une vraie personne sans avoir à appuyer sur la touche étoile. Pas de mini reportage sur le Danemark ou sur l’origine des implants mammaires de telle ou telle chanteuse : juste une scène, des strass et des paillettes à la Maritie et Gilbert Carpentier. Bien entendu - ne soyons pas naïfs - à cette époque aussi, l’Eurovision offrait généralement un ensemble de calamités musicales, interprétées par quelques stars d’un jour fabriquées artificiellement. Mais ce play-back bon marché sentait encore bon l’amateurisme. On pouvait même y discerner des tentatives sincères de distraire le public, et non pas simplement d’attirer une manne publicitaire avec cynisme.
Des artistes pouvaient espérer, en passant le concours, devenir un jour célèbres, comme France Gall (qui pourtant ne l’avait pas gagné). En 1976, la France avait même remporté l’Eurovision grâce à une chanson interprétée par Marie Myriam « L’oiseau et l’enfant ». J’avais 5 ans et je me souviens avoir passé l’été suivant à casser les oreilles de mes parents en hurlant à l’arrière de la R12 : « comme un enfant, aux yeux de lumière, qui voit passer, au loin les oiseaux, comme l’oiseau bleu, survolant la terre, voit comme le monde, le monde est beau… » Je la connais encore par cœur ! Étant donné que le pays vainqueur devient automatiquement l’organisateur du concours l’année suivante - selon le principe bien connu de la fève et de la galette des rois - la France a pris soin, à partir de cette date et pour les 30 années à venir, de ne jamais plus présenter un artiste ou une chanson qui aurait la moindre chance de passer le premier tour des sélections. Cette année, la chanson de Corneille a même réussi le prodige de terminer 22ème sur 24. Sauf que, de nos jours, le concours eurovision ne signifie plus grand chose. La « culture globale » a unifié les goûts du public et transformé les choix musicaux en démarches purement marketing. Alors, voir samedi 20 mai dernier, à Athènes, des crétins déguisés en monstres de fête foraine gagner l’eurovision avec un morceau de Heavy metal même pas digne du plus mauvais titre d’Iron Maiden ; 20 ans après, cela fait vraiment de la peine.
Éloge de la différence ou consécration du mauvais goût ? Difficile d’arbitrer, tant ces spectacles préfabriqués reflètent le manque d’intérêt de ceux-la mêmes qui prétendent les organiser. Tout cela pour générer de l’audience et du fric, encore et toujours… « L’enfant, c’est toi, l’oiseau c’est moi… enfin, le pigeon ! »