Nouvelle capitale de rêve… en province.
Et si notre président décidait de construire une nouvelle capitale au cœur de la Beauce ? C’est à peu près ce qu’a promis et entrepris le président sud-coréen Roh Moo Huyn’s élu en 2003. Ce projet fou de créer une ville de toutes pièces, qui regrouperait l’ensemble des administrations et bâtiments gouvernementaux dans une cité exemplaire conçue comme un modèle d’harmonie, d’urbanisme et de respect de l’environnement, divise les sud-coréens. Malgré des obstacles importants dont l’opposition d’une bonne partie de l’opinion et des expériences similaires aux résultats mitigés dans d’autres pays, le projet est sur les rails. D’ici 2030, la ville du futur sera sortie de terre au milieu des rizières. Découvrez Happy City !
On efface tout et on recommence ?
Lorsqu’en 2002, le futur président sud-coréen Roh Moo Huyn’s annonçait dans son programme de campagne vouloir créer une nouvelle capitale à la place de Séoul, la plupart des observateurs et des électeurs mettaient cela sur le compte des innombrables promesses de campagnes qui ne seraient pas tenues. En effet, on voyait mal comment un projet d’une telle ampleur financière et politique et avec autant de répercussions sur l’organisation du pays pourrait être mis en place.
Pourtant, en décembre 2003, un vote discret de l’Assemblée nationale entérine le projet et le choix du site retenu est annoncé en 2004 : la province du Gongju, à une centaine de kilomètres au sud de l’actuelle capitale. Le projet prend corps et les inquiétudes augmentent.
L’idée est de faire sortir de terre, au cœur d’une région rurale, une ville moderne, à taille humaine, au développement régulé et harmonieux, à l’environnement agréable et préservé. Une ville au service des habitants qui la peupleront. A priori, tout le contraire de Séoul. Il est vrai que la capitale coréenne est au bord de l’asphyxie. En 40 ans, la population de Séoul et de son agglomération a été multipliée par quatre, et concentre 48% de l’ensemble des sud-coréens ! Cette croissance incontrôlée a fait de la ville une véritable pieuvre qui ne cesse de s’étendre ; l’une des mégapoles les plus denses, chères, polluées et embouteillées de monde. Le gouvernement lui-même classe sa capitale dernière des 20 plus grandes villes du monde concernant la qualité de vie. Le tableau n’est en effet pas idyllique, bien que ce dernier classement ne soit toutefois pas forcément objectif, lorsqu’on sait que l’opposant le plus farouche au projet de nouvelle capitale n’est autre que le maire de Séoul ! Celui-ci se défend en soulignant que des programmes de rénovation très importants sont en cours dans différents quartiers de la ville et qu’un tel projet déstabiliserait entièrement l’économie du pays.
Vue aérienne de Séoul © dance.unlv.edu
Les autres opposants au rêve du président Roh (qui représentent tout de même un Coréen sur deux d’après les sondages) pointent du doigt le coût prohibitif du projet : 40 milliards de dollars minimum. Sont également mis en cause sa pertinence même, les effets désastreux sur le marché de l’immobilier à Séoul, et l’absence de référendum pour une décision si importante. Le Président Roh y voit cependant la meilleure solution pour entraver l’extrême centralisation de son pays autour de Séoul, dont il espère une diminution de 10% de la population pour la rendre plus vivable.
Sa nouvelle capitale contribuerait au développement d’une autre région de son pays et à l’équilibre territorial de la nation. Plus subsidiairement, cela permettrait de déplacer les organes du pouvoir plus au sud, hors de portée des missiles nord coréens (même si les relations entre les deux voisins se sont légèrement détendues).
Le site choisi, bien que très rural, présente l’avantage de se trouver à proximité des grands axes de communications existants (autoroutes, lignes ferroviaires à grande vitesse). La population locale et des défenseurs de l’environnement ont bien tenté de faire barrage, mais les compensations offertes, l’assurance de relogement et de reclassement dans la future capitale, ainsi que les perspectives de plus value très importantes ont convaincu les plus récalcitrants. La construction se fera en plusieurs phases jusqu’à la pose de la dernière pierre qui est prévue pour 2030. La population s’y installera progressivement au fil des déménagements des administrations et des différents organismes. Concentrant tous les pouvoirs : exécutifs, législatifs et judiciaires, l’ensemble des ministères, instituts et agences gouvernementales doit s’y regrouper. Le palais présidentiel de Séoul serait même revendu (!) pour en construire un nouveau. Séoul ne garderait que le rôle de centre économique et financier, à l’image de New York ou Sydney.
À terme, la ville qui se définit comme Multifonctional Administrative City (MAC), et autoproclamée « Happy City », comprendra également des hôpitaux, des centres de recherche, des universités, des équipements culturels et de loisir… Une fois achevée, elle comptera 500 000 habitants dont une large part de fonctionnaires. Une consultation nationale a abouti à la baptiser « Sejong city », du nom du roi sous lequel la Corée a connu sa « renaissance ». La première pierre a été posée le 20 juillet 2007 conformément au planning prévisionnel et malgré les nombreux obstacles. Le Président Roh veut faire de Sejong le fait marquant de sa présidence, mais aussi et surtout un nouveau standard mondial, un modèle pour les générations futures.
La ville « où chacun aimerait vivre »
L’opportunité de créer de toutes pièces une ville d’un demi-million d’habitants regroupant l’élite de la nation ne se présente pas tous les jours. C’est pourquoi le président Roh veut faire de Sejong une cité exemplaire à tout point de vue. Les idées directrices qui sous-tendent la conception de Sejong sont l’autosuffisance, le respect de l’environnement, l’harmonie entre les hommes, le développement de la culture et de la technologie, qui doivent être accessibles à tous. Deux mots doivent pouvoir la résumer : symbiose et harmonie. Cette ville sera au service de sa population, elle offrira à chacun de ses habitants les conditions de sécurité, de services et de qualité de vie permettant leur développement personnel. Non sans prétention, elle entend favoriser les communications entre générations, religions et classes sociales ; fournir aux citoyens les meilleures prestations, notamment en matière d’éducation et de santé ; assurer la sécurité des biens et personnes…
Son développement entièrement contrôlé et déjà planifié se fera dans le respect de l’environnement et permettra d’offrir à chacun un espace de vie suffisant, des quartiers ouverts à l’architecture soignée, de nombreux espaces verts (naturels ou créés) et des loisirs variés. Couvrant une superficie de 73 km2, la ville de Sejong sera construite en forme de couronne le long de deux cercles concentriques entourant un immense cœur vert central d’ou rayonneront des travées vertes. Les deux cercles en constitueront les voies de communication et seront liés entre eux par de nombreux « barreaux ». Ils desserviront une vingtaine de « villages » de 20 000 à 30 000 habitants chacun. Ces villages seront eux-mêmes groupés en six quartiers spécialisés correspondant aux grandes fonctions selon le schéma suivant :
Les transports publics circulaires et continus doivent permettre de relier tout point de la ville en moins de 20 minutes, chaque bâtiment sera accessible à pied depuis la station la plus proche. Le but est de minimiser l’emploi des voitures personnelles. Même dans ce cas, la régulation du trafic en temps réel permettra d’absorber l’ensemble des voyageurs, et empêchera la formation de bouchons quelle que soit la situation. Chaque village comportera à la fois des zones résidentielles, d’éducation, de services, de loisirs et d’emploi. La culture aussi sera accessible, un musée dans chaque village en plus des musées centraux plus importants.
Au cœur de la ville, des espaces naturels préservés avec des collines boisées, des lacs, des cours d’eau, des forêts et un gigantesque parc aménagé avec jardins d’enfant, terrains de sport assureront une transition avec la ville en elle-même douce, sans barrière ni obstacle : une ville intégrée à son environnement. Au final, plus de la moitié de la superficie de la ville sera… non construite.
Différents concours internationaux ont été lancés pour le design des différents quartiers, le parc central, les bâtiments gouvernementaux, les ouvrages d’art. Les sites touristiques et/ou historiques qui préexistent sur le site seront préservés et mis en valeur, ou déplacés et rénovés quand il n’y aura pas d’autres solutions. Autosuffisante, la ville produira sa propre énergie d’abord de manière « classique » (centrales électriques) puis progressivement par une part de plus en plus importante d’énergie renouvelable. La collecte des déchets permettra un haut niveau de recyclage et l’utilisation de la ressource en eau sera raisonnée avec dépollution sur place.
Vue d’artiste d’un quartier de Sejong © D.R.
L’avantage, quand on construit une ville à partir de rien et que l’on connaît déjà la population cible et les fonctions à remplir, c’est que tout peut être planifié. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les concepteurs de Sejong ont pensé à tout : Les moindres détails ont été réfléchis: de la hauteur maximale des bâtiments (quinze étages), à la densité maximale de population (300 habitants par hectare, ce qui est faible pour le pays), de la proportion de chaque catégorie d’habitation (villa, T2, T3…) au nombre d’étudiants maximal par classe, de la maternelle à l’université…
Entre autres réglementations, un code couleur pour les bâtiments sera imposé, ainsi qu’une charte détaillée pour limiter la pollution visuelle des publicités. Tous les bâtiments seront accessibles aux personnes handicapées. Le nombre de places d’hôpital, de crèches, de commerce est déjà anticipé. Le plan de mise en lumière des bâtiments la nuit est déjà conçu. Même l’emplacement du futur cimetière municipal a été décidé, et le rite funéraire sera le même pour tous afin d’appliquer le principe d’égalité, quelle que soit l’origine ou la religion de la personne décédée. Sur le papier et maintenant sur les plans, il faut admettre que cela fait rêver. On voit d’ailleurs mal comment l’offre sera suffisante pour satisfaire la demande. Même si des logements sociaux sont prévus, on peut se demander comment les autorités pourront éviter d’imposer des critères de sélection. Si tout se passe bien, Séoul sera en effet vite oubliée. Mais des expériences plus ou moins comparables dans d’autres pays et à d’autres époques ont connu des fortunes diverses qui laissent sceptiques.
D’autre pays ont déjà fait ce même rêve…
La question du choix d’une nouvelle capitale s’est déjà posée dans d’autres pays. Ainsi, les cas de Canberra en Australie ou d’Ottawa au Canada sont la conséquence de choix à la fois politiques, historiques et stratégiques. Deux exemples plus récents et plus proches de la situation de Sejong sont ceux de la nouvelle capitale du Kazakhstan, Astana, et de celle du Brésil, Brasilia. Déjà entamé (pour le premier) ou achevé (pour le second), ces projets permettent de dresser un premier bilan dont la future MAC ferait bien de tirer certaines leçons…
Une capitale en pleine zone désertique, entièrement planifiée, qui concentrerait l’ensemble des organes du pouvoir dans une cité aux espaces ouverts et au design novateur, ça ne vous rappelle rien ? En effet, le président Roh n’a pas la primeur de l’idée d’une capitale idéale. En 1960 était inaugurée Brasilia, nouvelle capitale du Brésil, dont les similitudes avec Sejong sont troublantes. L’objectif du président brésilien était de développer économiquement une zone centrale du pays et permettre ainsi de rééquilibrer le territoire vis-à-vis notamment des deux mégapoles côtières que sont Rio et Sao Paulo. Cette ville utopique, non sans arrière-pensée socialiste, devait réunir tous les bâtiments officiels dans une agglomération de 500 000 habitants maximum, délimitée par une ceinture verte et un lac artificiel. Elle est organisée le long de deux axes croisés en forme d’avion (fuselage et ailes) qui en constituent les artères principales. À l’extrémité de la gigantesque avenue centrale comportant douze voies (!) se situe l’esplanade des ministères et les trois pouvoirs.
Brasilia, dans l’encart : le « Plano Piloto », on reconnaît distinctement la forme d’avion qui semble plonger sans le lac artificiel. En-dessous, l’esplanade des ministères, au centre le dôme est un musée, derrière la cathédrale en entonnoir. © www.eco.tur.br
Seize villes équivalant à autant de quartiers qui se veulent autonomes (logements, commerce, écoles, loisirs, bureaux,…) se juxtaposent le long des ailes du « Plano Piloto » comme il est surnommé. Construite en mille jours, Brasilia se voulait le symbole du progrès via une architecture novatrice, parfois surprenante. Sa conception devait favoriser la mixité sociale, le développement économique et culturel tout en respectant l’environnement. Les services y constituent 90% de l’activité et les industries y sont proscrites. Elle connaît la consécration en 1987 lors de son inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Si, sur de nombreux aspects, cet exemple est une réussite, des dégâts « collatéraux » sont apparus et depuis une vingtaine d’années, les difficultés sont croissantes. Représentant le « rêve brésilien », la ville a vu affluer de nombreux ruraux, d’abord venus travailler sur ce gigantesque chantier, puis qui ont voulu s’y installer durablement tandis que les administrations déménageaient. Inconvénient de la planification, la ville a une faible capacité d’adaptation, que les prescriptions imposées par le classement UNESCO ont encore accentuée. Le « Plano Piloto » n’offrant que peu d’espace disponible, une nouvelle banlieue s’est créée au-delà de la ceinture verte (qui a tout de même été grignotée). Cette banlieue n’étant pas planifiée, elle, connaît un développement anarchique et abrite les populations les moins aisées qui ne peuvent s’offrir un logement à Brasilia même. Les inégalités se sont amplifiées, la pollution aussi, ce sont quasiment deux classes qui sont séparées par le lac et la ceinture verte. Aujourd’hui, l’agglomération de Brasilia comprend trois millions d’habitants, dont 80% vivent dans les villes satellites.
En plus de ces problèmes internes, la capitale du Brésil souffre d’un déficit d’image et de reconnaissance important. Sans patrimoine, sans histoire et pourvue d’une situation géographique peu avantageuse, les touristes lui préfèrent ses rivales côtières. Plus récemment, en 1997, c’est dans un pays inattendu, le Kazakhstan, qu’une nouvelle capitale est sortie de terre. Astana se situe 1200 km (!) au nord de l’ancienne capitale Almaty, et vient à peine de fêter ses dix ans. La ville est encore en chantier pour au moins deux décennies, mais les plans sont définis et les principales infrastructures déjà opérantes. 600 000 habitants y sont déjà installés, le double est prévu à terme. Les plus grands architectes sont en compétition pour participer à ce projet gigantesque financé grâce à la florissante industrie pétrolière nationale.
Astana, la tour Baiterek, symbole de la capitale, devant le palais présidentiel au dôme bleu © www.baltitravel.com
Officiellement, ce déménagement a été décidé car l’extension d’Almaty était bloquée par les montagnes, ainsi que pour favoriser le développement économique de cette région du nord. Officieusement, ce choix permet d’asseoir le pouvoir institutionnel et politique dans une zone à forte population d’origine russe, et d’éloigner le pouvoir du voisin chinois. Ici aussi, une ceinture verte est en train de croître (notamment pour atténuer les variations de température dont l’amplitude varie de -40°C à +40°C !), des quartiers autonomes se multiplient et des monuments symboliques marquent le paysage. Mais là encore les prix flambent, l’argent est dépensé sans vraiment compter et un afflux important de population rurale accentue les inégalités.
Malgré les obstacles, Happy City garde le sourire.
Ces risques de dérive n’échappent pas aux dirigeants sud-coréens, d’autant que les critiques de la part d’une partie de la population et de la classe politique se font de plus en plus pressantes. Le projet a cependant été adopté par le congrès, le budget voté, les investisseurs engagés et les travaux ont débuté mi 2007, malgré un revers important fin 2006. En effet, les nombreux opposants menés par le Maire de Séoul ont décidé de porter réclamation auprès de l’équivalent de la Cour Suprême car ils jugent le changement de capitale non conforme. Fin 2006, le jugement est rendu, le projet est effectivement déclaré anticonstitutionnel. Pas de quoi déstabiliser le président Roh qui doit cependant revoir sa copie. Le projet MAC est maintenu, Sejong sera bien la ville du futur au concept inchangé, mais n’aura pas le titre de capitale qui restera à Séoul. Le palais présidentiel ne sera pas déplacé mais une bonne moitié des ministères, la majorité des instituts nationaux et des grandes écoles s’installeront tout de même à Sejong. C’est ce qu’on appelle savoir retomber sur ses pieds.
Un autre événement a failli enterrer le projet début 2008 : le parti du président Roh perd les élections présidentielles au profit du parti conservateur. Le nouveau président est Lee Myung-Bak, ancien homme d’affaire qui fut président de Hyundaï avant d’être élu…maire de Séoul. On pensait donc le projet largement compromis, mais les décisions politiques ayant été prises, les investissements déjà entrepris, le projet devrait suivre son cours. Des corrections pourraient simplement être apportées dans les prochains mois. Peut-être que le nouveau président Lee Myun Bak s’est finalement laissé prendre au piège, charmé par ce projet fou, cette utopie sociale et environnementale au design séduisant. Cette société idéale n’est pas le rêve d’un seul homme. Même si la déception pourrait être grande, contribuer à la naissance de la capitale du futur, de « la ville où tout le monde aimerait vivre » est une opportunité que peu de dirigeants laisseraient échapper…
Monk
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Article paru le 11/01/09