Morel-à-l’Huissier va-t-il se plaindre à Chirac et Giscard ?
La nouvelle n’a pas fait plaisir au sarkoziste Morel-à-L’Huissier : le Conseil constitutionnel, dans sa décision n°2008-573 du 08 janvier 2009, a estimé que la règle selon laquelle « le nombre de députés ne peut être inférieur à deux pour chaque département » était contraire à la Constitution. Cette règle se fonde non sur la Constitution mais sur une tradition politique remontant à la IIIème République Dès lors, tout découpage électoral doit se fonder sur les données démographiques.
Il résulte de cette décision le fait que la Lozère risque de perdre éventuellement un député et que l’ensemble du département forme une circonscription unique. En d’autres termes, la deuxième circonscription pourrait disparaître et Morel-à-L’Huissier se retrouver obligé de déquiller Saint-Léger pour se mettre à sa place ou bien, s’il n’y parvient pas, de se rabattre sur la présidence du Conseil général à laquelle Pourquier semble cependant bien accroché.
Quel choc pour le Maire de Fournels ! Lui qui se voyait député à vie, risque de perdre le fromage de l’Assemblée nationale, du moins si ses amis de l’Union des Menteurs Professionnels (UMP) ne trouvent pas rapidement une parade juridique à la décision des Sages de la rue de Montpensier.
Plic et Ploc – comprenons Morel et Saint-Léger – s’en sont insurgés dans la presse, maniant, comme ils en ont l’habitude, les approximations et les contre vérités et rendant le Parti socialiste responsable de la situation. Or, en saisissant le Conseil constitutionnel, les parlementaires socialistes, n’en déplaise aux députés lozériens, ont effectué leur travail normal d’opposition, dans le respect scrupuleux de la loi fondamentale du pays.
Rassurons nos deux représentants : la décision des juges constitutionnels n’a pas été dictée depuis le siège du Parti socialiste pour les embêter. En revanche, on se doit de leur rappeler que, parmi les juges ayant rendu ladite décision, on retrouve un certain Jacques Chirac et un certain Valéry Giscard d’Estaing.
Morel va-t-il oser s’en plaindre auprès des deux anciens présidents de la République ? Ce serait assurément cocasse.
L’UMP lozérienne est responsable des faits qu’elle déplore
Disons les choses comme elles sont : la Lozère s’apprête aujourd’hui à payer l’incompétence de ses représentants et le goût prononcé de la droite pour le redécoupage électoral. Le but de ce charcutage n’est évidemment pas d’assurer une meilleure représentation de la Nation, mais l’évitement – illusoire – des changements de majorité trop prononcés au sein de l’Assemblée nationale. Autrement dit, on essaie de sauver le maximum de copains en bétonnant les circonscriptions prenables par l’opposition.
Pour ce faire, la droite a d’ailleurs mandaté un des ses meilleurs spécialistes : Alain Marleix.
En mai dernier, nous avions examiné – certes incomplètement – les incidences possibles de ce charcutage électoral sur le département. A l’époque, la droite lozérienne ne semblait guère indisposée par la manœuvre consistant à couper les Cévennes en deux dans le seul but de disperser l’électorat de gauche.
Or, la décision du Conseil constitutionnel bouleverse les plans de la droite lozérienne qui se retrouve lamentablement piégée d’avoir toujours cautionné le charcutage électoral, croyant sans doute en tirer exclusivement des avantages.
En effet, outre les dispositions constitutionnelles proprement dites dont certaines ont été modifiées par la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République («modernisation» soutenue par la droite lozérienne), les normes sur lesquelles le Conseil constitutionnel s’est également fondé pour censurer partiellement la loi qui lui était soumise, ont toutes été conçues et mises en oeuvre par la droite :
- la loi n° 86-1197 du 24 novembre 1986 relative à la délimitation des circonscriptions pour l’élection des députés (gouvernement Chirac),
- la loi organique portant application de l’article 25 de la Constitution, adoptée par le Parlement le 11 décembre 2008 (gouvernement Fillon)
Le nombre des députés est fixé à 577 par la Constitution (article 24) et tient compte des départements (DOM) et territoires d’outre-mer (TOM). Le nombre des circonscriptions est en outre délimité par la loi.
Or, l’important accroissement de population dans les DOM-TOM (+ 7.600.000 personnes selon le décret n°2008-1477 du 30 décembre 2008, ce qui est considérable) oblige à un réajustement du nombre des députés en faveur des circonscriptions d’outre-mer, lequel ne peut que s’opérer au détriment des départements métropolitains les moins peuplés, dont la Lozère fait évidemment partie (77.500 personnes environ y vivent).
Maintenir la tradition des deux députés par département supposerait donc une révision préalable de la Constitution afin de permettre la modification de l’article 24 fixant notamment le nombre de députés.
La Lozère a-t-elle vraiment besoin de deux députés alors qu’elle ne compte déjà qu’un sénateur ?
Cette question mérite d’être posée sans tabou. Les députés sont élus au suffrage universel direct par les lozériens et le sénateur par les « grands électeurs » (maires, conseilleurs municipaux, conseillers généraux, etc.).
Si la Lozère est objectivement handicapée par son sénateur, c’est moins parce qu’il est seul, que parce qu’il s’agit de Jacques Blanc (le sud du département en sait quelque chose).
Dès lors, sur le principe, pourquoi ne pourrait-il pas en être de même pour les députés ? C’est vrai que, vu de l’extérieur, la situation de la Lozère peut apparaître des plus surprenantes.
On peut faire valoir à bon droit que la Lozère n’a pas besoin de deux députés et qu’un seul suffirait amplement, dans la mesure où, constitutionnellement parlant, le député n’est pas là pour représenter une circonscription, mais la Nation, prise dans son ensemble.
Les citoyens ne le savent pas assez, mais le mandat du député n’est pas impératif, mais représentatif, c’est-à-dire que le député ne doit agir qu’en fonction de ce qu’il pense être bon pour l’intérêt général et non pas en fonction des doléances ou des instructions de ses électeurs.
Néanmoins, on sait bien que la pratique politique est totalement inverse à ce que la Constitution prévoit. Dans les faits, les députés interviennent le plus souvent en qualité de représentants de circonscriptions. La raison va de soi : s’ils veulent être réélus, ils doivent se faire les interprètes de leurs électeurs et ils essaient, tant bien que mal, de concilier l’intérêt général avec celui de leurs circonscriptions (on a pu le mesurer, par exemple, avec la nouvelle carte judiciaire).
Cependant, cette discordance manifeste entre la théorie constitutionnelle et la pratique politique ne saurait justifier, à elle seule, la nécessité de maintenir deux députés en Lozère.
L’argument géographique est par contre plus intéressant et davantage convaincant. Si la Lozère est faiblement peuplée, il n’en demeure pas moins que sa population est disséminée sur un vaste territoire en large partie montagneux. Les trajets ne s’y calculent pas en kilomètres, mais en heures.
Pour que l’action publique tienne compte – au mieux – des besoins de la population et des spécificités du territoire départemental, on peut s’interroger sur le fait de savoir si un seul député suffirait. C’est matériellement peu probable. Néanmoins, à ceux qui pensent que la voix de la Lozère porte davantage à deux députés qu’à un seul, on peut leur objecter que Morel et Saint-Léger sont loin de former un duo de ténors.
La Lozère aurait peut-être plus à gagner à élire une forte personnalité de gauche que deux représentants falots qui appartiennent de surcroît à une majorité de droite qui, de lois en lois, ne cesse de porter des coups durs à la ruralité. La Lozère a déjà donné des signes d’une volonté de changement profond aux dernières élections municipales et cantonales.
Morel et Saint-Léger soutiennent Nicolas Sarkozy, lequel mène une politique dont les répercussions sont extrêmement douloureuses pour la Lozère (refonte de la carte judiciaire, menaces sur les hôpitaux publics, restrictions de postes dans la fonction publique, atteintes aux services publics, etc.).
Si nos représentants étaient cohérents, ils s’appliqueraient les restrictions qu’ils préconisent aux autres (ex: remise en cause des régimes spéciaux de sécurité sociale, mais renforcement de celui des députés). En effet, si cette majorité de droite trouve normal d’abandonner les départements ruraux chaque jour davantage, alors elle peut sacrifier sans problème Morel-à-L’Huissier. On n’ira pas le pleurer. De toute façon, celui-ci, n’en doutons pas, trouvera toujours un mandat pour se recaser.
Quoi qu’il en soit, rien n’est encore fait.