Wal Fadjri : En tant que haut fonctionnaire ayant servi les trois rיgimes, quel regard jetez-vous aujourd’hui sur la situation du Sיnיgal ?
Saliou Sarr : Je voudrais demander d’abord qu’on brise l’omerta. Il faut qu’on cesse de se taire parce que ce pays a besoin de compיtences. Et le grand mal de notre pays, c’est la transhumance. Ce sont ces gens qui, au lendemain du 19 mars 2000, sont accourus pour parler de compיtences au prיsident Wade alors qu’ils n’avaient que des Cv longs et suspects, des titres d’anciens יlטves de grandes יcoles, alors que ce pays fourmille de cadres diplפmיs des plus prestigieuses יcoles. Ces gens ont fini par occuper cette place privilיgiיe qui est l’entourage du prיsident de la Rיpublique.
Si je peux me permettre de parler en image, le 19 mars 2000, ce peuple enthousiaste avec les membres authentiques du Pds et avec l’opposition qui יtait allיe chercher Me Wade en France pour le ramener au Sיnיgal, ont crיי ce que je peux appeler une sorte de centrale nuclיaire dont la puissance permettait de fournir en יnergie l’ensemble du peuple sיnיgalais. Comme toute centrale, celle-ci est entourיe d’un systטme de protection : le sarcophage. Malheureusement, des gens qui n’ont pris aucune part dans l’יlection du prיsident Wade, qui se sont יvertuיs א empךcher son יlection, ont rיussi א entrer dans la centrale. Et une fois א l’intיrieur, ils ont fermי les portes du sarcophage. Aujourd’hui, la centrale est en panne. Eux, ils se contentent de faire fonctionner les groupes יlectrogטnes et personne ne peut entrer pour aider la centrale א reprendre son fonctionnement normal. Voilא l'image que me renvoie le Sיnיgal. Et tout cela s'est fait א l'insu du prיsident. Qui connaמt le prיsident Wade - et je crois bien le connaמtre pour avoir יtי son יtudiant dans les annיes 66 - sait qu’il aime ce pays. Je suis persuadי qu’il aurait aimי continuer א travailler avec ces gens qui l’ont portי au pouvoir. Mais aujourd’hui, ceux qui l’entourent font en sorte qu’il ne se retrouve jamais avec les membres authentiques de son parti, c’est-א-dire ceux qui יtaient lא avant le 19 mars 2000, et l’opposition qui a tout fait pour le porter au pouvoir.
Il faut que les gens qui ont tout fait pour que Me Wade ne soit jamais יlu prיsident, retournent dans l’opposition pour que le pays ait une vיritable dיmocratie. La plupart d’entre eux sont des saboteurs intelligents. On a entendu ici des gens se partager des sacs de riz א la fin du mois, de petites choses qui devraient revenir aux plus dיmunis. Il y a aussi des gens qui dirigent des sociיtיs et dont la seule trouvaille, c’est de dire au prיsident : ‘Nous adhיrons א vos trטs grands projets, א votre trטs grande vision’. Or, la plupart de ces grands projets, ils les ont trouvיs lא. C’est le cas par exemple du projet des bateaux-taxis.
Wal Fadjri : Parlant de ce projet, vous devez en connaמtre un bon bout en tant qu’ancien directeur gיnיral du Conseil sיnיgalais des chargeurs (Cosec), la sociיtי chargיe de l’exploitation de ce projet …
Saliou Sarr : Ce projet existe depuis 1998. Mais on est allי dire au prיsident : ‘C’est votre grande vision’. Mais le projet des bateaux-taxis tel qu’ils (les proches du pouvoir, Ndlr) l’ont conחu, est un projet dangereux. Ceux qui tournent autour ne connaissent pas les risques trטs graves qui sont liיs א ce projet. Ils ne connaissent mךme l’idיe de base du projet parce que c’est un projet riche, qui avait des ambitions qui ne se rיsument pas seulement au transport de quelques passagers entre Rufisque, Bargny et Dakar. C’est un projet qui devait permettre de faire sortir les populations et les vיhicules vers Mbour et Bargny. L’idיe, je l’ai eue en faisant le trajet Calais - Douve avant la crיation du tunnel de la Manche. Si vous quittiez Calais vers Douve, vous aviez des aיroglisseurs trטs puissants qui transportaient les passagers et les camions. Et en trente minutes, vous יtiez א Londres. Alors, je me suis dit : pourquoi ne pas amener un tel systטme de transport au Sיnיgal qui permettrait de trouver une autre porte de sortie pour la ville de Dakar ? C’est vous dire que ceux qui s’agitent autour du projet des bateaux-taxis ne savent mךme pas en quoi il consiste. Aujourd’hui qu’ils cherchent les prix des embarcations, ils ont dיjא dיpensי des centaines de millions. Et tout cela, le prיsident Wade ne le sait pas.
Wal Fadjri : Oש et en quoi a-t-on dיpensי cet argent ?
Saliou Sarr : Je ne sais pas, mais on a dיjא dיpensי plus de 100 millions alors qu’il n’y a rien pour le moment. Ils veulent peut-ךtre que l’argent qui est au Trיsor arrive au Cosec (la sociיtי chargיe de l’exploitation des bateaux-taxis, Ndlr). Ou bien pour savoir combien l’Etat doit au Cosec. Or la crיance du Cosec sur l’Etat, je l’ai dיterminיe du temps de Famara Sagna (ancien ministre des Finances sous le rיgime socialiste, Ndlr) avec son directeur de cabinet qui s’appelait Abdoulaye Ndiaye et mon collaborateur qui m’avait fait le tableau. On avait repris toutes les recettes du Cosec depuis sa crיation. On est allי voir le ministre des Finances, on lui a dit : voilא ce que vous nous devez, voilא ce qu’on a reחu et ce qui reste. On s’est rיuni avec le directeur du Trיsor, avec la Douane et le directeur de cabinet pour faire la situation. C’est ainsi que l’Etat nous devait plus de 5 milliards. Le tableau est lא. Alors, on n’a pas besoin de dיpenser des centaines de millions pour savoir ce que l’Etat doit au Cosec. Est-ce qu’on peut concevoir que le Trיsor, pour verser de l’argent א un de ses dיmembrements, f�t-il le chef de l’Etat, dיbourse 100 millions ? Je veux qu’on nous dise oש sont passיs ces 100 millions.
Ce que je dis lא, je le dis depuis le 5 septembre 2007. J’ai יcrit א toutes les autoritיs pour leur dire que le Cosec va א vau-l’eau et qu’on risque de licencier le personnel. J’ai יcrit au prיsident du Cosec, au ministre de l’Economie maritime, au Premier ministre… C’est dire que je ne suis pas en train de faire de la dיlation aujourd’hui.
‘Trois א six petites embarcations vont faire la traversיe entre Rufisque, Bargny et Dakar. Mais comment va-t-on assurer la sיcuritי pour qu’il n’y ait pas de collusion, de renversement ? Est-ce qu’il y aura un hיlicoptטre pour assurer la surveillance ? A ma connaissance, aucune disposition n’est prise en ce sens’.
Wal Fadjri : Vous avez parlי de risques liיs au projet des bateaux-taxis. Pouvez-vous ךtre plus explicite ?
Saliou Sarr : Il y a des risques liיs א la sיcuritי. Trois א six petites embarcations vont faire la traversיe entre Rufisque, Bargny et Dakar. Mais comment va-t-on assurer la sיcuritי pour qu’il n’y ait pas de collusion, de renversement ? Est-ce qu’il y aura un hיlicoptטre pour assurer la surveillance ? En fait, א ma connaissance, aucune disposition n’est prise en ce sens.
Wal Fadjri : Etes-vous en train de dire que l’aspect politique est en train de prendre le dessus sur l’aspect technique dans la gestion de ce projet ?
Saliou Sarr : En tout cas, je peux dire qu’il n’y a pas d’expertise. Or, je ne voudrais pas que le nom du prיsident soit encore liי א une catastrophe. En fait, ce projet de bateaux-taxis, c’est le fait des transhumants. Mais cette opיration est א risque. Combien peut-on transporter avec ces embarcations ? Combien y a-t-il de risques de collusions et de morts ?
Mais א combien va-t-on acheter ces bateaux ? Des milliards et sans appels d’offres. Combien de commissions payיes dיjא alors qu’il n’y a rien encore ? C’est comme un autre projet, celui des ‘entrepפts du Sיnיgal au Mali’ qu’on a prיsentיs comme un des grands projets du chef de l’Etat. Ce projet, c’est moi qui l’ai conחu. On a dיjא dיpensי prטs de 9 milliards dans cette affaire.
Wal Fadjri : Avez-vous saisi le chef de l’Etat pour lui apporter votre expertise sur tous ces projets ?
Saliou Sarr : Le prיsident est inaccessible. Je vous ai dיjא dit que je fais l’objet de chantage depuis 2000. J’ai une maison א Diourbel qu’on a cassיe parce qu’on a dit au prיsident que je me suis adressי א lui de maniטre cavaliטre. Et pourtant, j’avais יtי trטs courtois. Cela s’יtait passי le 31 dיcembre 2000 devant le khalife gיnיral des mourides, Serigne Saliou Mbackי, qui tenait א me prיsenter au prיsident Wade. En guise de rיponse, ce dernier a menacי de m’envoyer en prison. Je lui ai alors rיtorquי sיance tenante : ‘Si j’ai commis la moindre faute, ne me pardonnez rien.’ On m’en a voulu pour cette rיponse dans son entourage. Et c’est ainsi qu’on m’a, par la suite, envoyי huit missions d’audit au Cosec en l’espace de quelques mois. On m’a envoyי aussi une autre mission d’audit א Abidjan pendant que j’יtais א la Satomar. Et tout cela sur la base de fausses informations. Le directeur exיcutif du Cosec m’a poursuivi en disant qu’il faut qu’on m’enlטve de la Satomar. De guerre lasse, ils ont demandי qu’on dissolve cette sociיtי alors qu’on avait des propositions de prטs de 3,5 millions de dollars.
Ces gens sont en train de dire au prיsident que ce gars n’est pas avec vous, il ne vous aime pas. Comment peut-on dיtester quelqu’un qui vous a enseignי ? Moi, j’ai reחu l’enseignement d’Amadou Makhtar Mbow, de Tidiane Baןdy, de Me Wade. Je leur dois une reconnaissance יternelle. Je ne les critiquerai jamais. C’est comme mes parents parce qu’ils m’ont formי. Quelqu’un qui vous a donnי une parcelle d’enseignement, vous lui devez tout. Je peux ne pas partager les idיes du prיsident Wade.
Je redis ici que je suis le bouc-יmissaire des transhumants de ce rיgime depuis 2000. Tout a commencי dטs le lendemain de l’alternance. Ils sont venus me demander de faire une dיclaration א la tיlיvision pour annoncer mon adhיsion au Pds, mais j’ai refusי. C’est peut-ךtre pourquoi on m’en veut et on fait tout pour me mettre en mal avec le chef de l’Etat.
‘Je veux que le prיsident Wade sache qu’il est en train de travailler avec des gens qui, d’aprטs le prיsident Abdou Diouf, ont pillי la Nation. Je n’invente rien. Le prיsident Diouf avait finalement renoncי א sanctionner א cause de ce qu’il appelait le patriotisme de parti’.
Wal Fadjri : Vous avez dirigי la Cosenam, une sociיtי qui est aujourd’hui en lיthargie. Qu’est-ce qui s’est passי ?
Saliou Sarr : Ce sont les gens qui ont dיtournי les biens de la Cosenam. J’ai fait la Cosenam en 1979. A l’יpoque, le capital יtait de 500 millions. Nous avons travaillי et au bout de quelques annיes, nous avons fait monter le capital א un milliard et il y avait des rיserves d’un milliard 400 millions. J’ai alors proposי au gouvernement qui avait acceptי, de privatiser la Cosenam parce que l’activitי maritime est, par essence, une activitי privיe. Il valait mieux que l’Etat se retire pour permettre א des privיs de venir. Mais dטs qu’ils sont venus, ces gens se sont mis א se partager l’argent qu’il y avait א la Cosenam. J’ai יcrit au prיsident Abdou Diouf pour attirer son attention sur cette situation. Et ces gens ont commencי א me combattre. Finalement, on m’a demandי d’aller au Cosec. Le Cosec יtant actionnaire de la Cosenam, j’יtais administrateur et membre de l’Assemblיe gיnיrale. J’ai constatי que des gens avaient dיtournי l’argent de la Cosenam et j’ai יcrit au prיsident Diouf parce que la loi me demande de le faire pour protיger la sociיtי. En outre, j’ai portי plainte pour dיtournement de deniers publics, abus de confiance, etc. Et je n’יtais pas le seul. D’autres avaient manifestי la volontי de porter plainte. Mais c’יtait difficile. A l’יpoque, le monsieur mis en cause יtait dיputי. Donc l’Etat voulait que je laisse tomber. Et quand j’ai insistי, on m’a inculpי et placי sous contrפle judiciaire. Du jamais vu. Je veux que le prיsident Wade sache qu’il est en train de travailler avec des gens qui, d’aprטs le prיsident Abdou Diouf, ont pillי la Nation. Je n’invente rien. Le prיsident Diouf avait finalement renoncי א sanctionner א cause de ce qu’il appelait le patriotisme de parti. Alors que pour moi, le seul patriotisme, c’est le patriotisme sיnיgalais. Mon premier parti, c’est le Sיnיgal. Quand quelqu’un pille les biens de la nation, il faut qu’il paie.
Il faut qu’on dissolve la Cosenam qui est aujourd'hui en hibernation et que les rapports d’audit sortent. Et que Baןdy Agne arrךte de m’attaquer partout. Ce qu‘il doit faire, c’est prouver א ces patrons d’entreprises qu’il dirige que la position qu’il occupe, il l’a acquise avec des fonds qui lui sont propres. Quant א Abdourahim Agne, je lui demande d’expliquer pourquoi, depuis 13 ans, la Cosenam est en hibernation.