Magazine Régions du monde
Un bel exemple de bioconversion réussie
Publié le 10 janvier 2009 par Fouchardphotographe @fouchardphoto
La culture intensive du palmier à huile est vivement critiquée
pour la destruction de forêt primaire qu'elle occasionne.
Outre son impact sur la déforestation, elle s'accompagne
d'une production de résidus organiques néfastes pour
l'environnement.
L'Indonésie, devenu récemment le premier producteur mondial
d'huile de palme génère chaque année 2,3 millions de tonnes
de tourteaux de palmiste. Une valorisation de ces déchets végétaux
solides est cependant en train de voir le jour grâce à un procédé
mis au point par des chercheurs de l'IRD et leurs partenaires
indonésiens1.
En mettant à contribution les surprenantes capacités digestives des
larves d'un insecte diptère, le « black soldier », les
scientifiques parviennent à produire une grande quantité de
biomasse riche en protéine. Cette substance fournit une nourriture
bon marché se substituant aux farines de poisson utilisées par les
fermes aquacoles de la région.
Les résidus produits par les larves constituent par ailleurs un
excellent engrais vert. Appliqué aux cultures de légumineuses, il
permet d'obtenir des rendements trois à quatre fois
supérieursà ceux d'une parcelle non fertilisée.
Le palmier à huile constitue la première source d'huile
végétale dans le monde. Avec l'accroissement de la
population, la demande pourrait même doubler d'ici 10 ans.
Accusé par les associations écologistes de détruire peu à peu les
forêts primaires, le palmier à huile n'en est pas moins
devenu incontournable pour de nombreux produits de la filière
agroalimentaire (biscuits, chips, pâtes à tartiner, soupes,
...). Si les impacts négatifs de cette culture monospécifique
sur la biodiversité et la déforestation sont bien connus, la
difficile valorisation des déchets végétaux issus de son
agro-industrie l'est beaucoup moins. Les tourteaux de
palmiste, matière fibreuse obtenue après le pressage des fruits du
palmier, restent notamment difficiles à recycler.
Une équipe de l'IRD qui étudie depuis de nombreuses années
les potentialités des sous-produits de l'exploitation du
palmier à huile vient de mettre au point un procédé de
bioconversion très intéressant. C'est en constatant
l'intérêt qu'Hermetia illucens ou « black soldier »,
une espèce de diptère commune dans toute la zone intertropicale,
manifeste pour les tourteaux de palmiste que l'équipe de
chercheurs se met à étudier la biologie de cet insecte. Des travaux
préalables menés en République de Guinée ont montré que les larves
de cet insecte sont capables d'extraire les nutriments
(protéines et lipides) des résidus de fibre végétale. Depuis 2005,
les recherches se poursuivent en Indonésie où l'équipe tente
de développer un procédé de bioconversion mettant à contribution
ces capacités digestives surprenantes. Devenu depuis peu le premier
producteur d'huile de palme de la planète, ce pays génère
chaque année 2,3 millions de tonnes de tourteaux de palmiste. Dans
l'archipel indonésien, la pisciculture d'eau douce
représente par ailleurs une activité économique traditionnelle
florissante qui nécessite tous les ans l'importation de 200
millions de dollars de farines de poissons. De ce double constat
est née l'idée de développer la productionà grande échelle de
larves d'Hermetia comme alternative aux farines de poissons
qui, avec l'envolée des prix liée à l'épuisement
progressif des stocks naturels, pèsent de plus en plus lourd dans
la balance commerciale du pays.
Prochainement implantée à proximité d'une huilerie de
l'île de Sumatra produisant 50 tonnes de tourteaux par jour,
l'unité pilote que l'IRD va mettre en place autorisera
la production d'une grande quantité de larves. Le procédé qui
s'appuie sur un système de fermentation inspiré de la
digestion des ruminants et de l'action des larves
d'Hermetia, consisteà disposer des récipients contenant un
mélange de tourteaux et d'eau en lisière de forêt tropicale
ou près des plantations d'hévéas. Les diptères femelles,
attirés par l'arôme des tourteaux de palmiste en
fermentation, viennent alors y pondre leurs oeufs. Après leur
éclosion, les larves se développent en se nourrissant de ce
substrat pré-dégradé au cours de la phase de fermentation. Cette
méthode, dont l'efficacité s'est améliorée au fil des
années, permet actuellement de fournir une tonne de larves à partir
de 2,5 tonnes de tourteaux de palmiste en l'espace de trois
semaines. Lorsque les larves cessent de s'alimenter, elles
sont récoltées puis mélangées à du son de riz, autre sous-produit
agricole facilement disponible en Indonésie. L'aliment ainsi
obtenu apporte les besoins nutritifs essentiels aux espèces de
poissons élevées en aquaculture telles que le tilapia ou le panga.
Mais le cercle vertueux imaginé par les scientifi ques ne
s'arrête pas là. Plus récemment, ils ont constaté et mesuré
les propriétés fertilisantes des déjections produites par les
larves.
Les premiers tests menés sur la dolique asperge (Vigna unguiculata
sesquipedalis), une légumineuse couramment cultivée en Indonésie
pour ses gousses et ses graines comestibles, prouvent que ces
déjections constituent un excellent engrais vert autorisant des
rendements au moins quatre fois supérieurs à ceux des cultures non
fertilisées. Ce cercle vertueux qui s'inspire des principes
de l'écologie fonctionnelle prouve que la nature peut rendre
service à l'homme à moindre frais tout en étant exploitée de
façon raisonnée. En incitant les populations locales à utiliser ce
procédé de bioconversion, les chercheurs espèrent limiter
l'impact écologique de la culture du palmier à huile tout en
favorisant la préservation des écosystèmes forestiers
indonésiens.
La forêt tropicale étant l'habitat naturel d'Hermetia
illucens, le procédé de bioconversion n'a en effet
d'intérêt que si cet écosystème est préservé. Un argument qui
pourrait inciter les compagnies agro-industrielles à maintenir de
petitsîlots de forêts primaires entre les plantations de palmiers à
huile.
1. Ces recherches sont menées dans le cadre du programme FishDiva
en coopération avec le ministère des Pêches et des affaires
maritimes indonésien.
www.gazettelabo.fr
- Photo Philippe FOUCHARD (Culture de palmier à huile dans la
région de Sumatra Ouest)