Fides et laïcitum (ou quelquechose comme ça)

Publié le 13 août 2007 par Frednetick

C’est décidément le grand hit de l’été. Dans une simultanéité même pas préméditée, les Kiwis Seb et Toréador , ainsi que la boussole catholique du web Koz ont donc abordés un thème traité ici en 3 fois (Part 1 , 2 , 3 ) , la religion.

Mais le thème glisse maintenant vers le rapport entre religion et société, ce qui relance un peu le débat et me pousse inexorablement à m’exprimer, je ne peux pas me retenir.

Koz tout d’abord s’étonne que l’on ait évoqué ou plutôt omis d’évoquer l’appartenance de Monseigneur Lustiger à L’Eglise pour ne retenir de lui que le penseur inter-confession appartenant à l’Humanité1. C’est ensuite la toréador masqué le plus célèbre du Oueb qui renchérit en affirmant

l’esprit laïc de type 1905 est complètement anachronique

En gras SVP histoire d’être sûr. A l’appui de cette démonstration pour le moins péremptoire, une constatation ou plutôt deux:

  1. La société n’a plus de boussole autre qu’économique
  2. Le capitalisme n’a pas de morale

On ne s’étonnera pas d’un constat d’une telle acuité sous le clavier de l’impertinence faite homme. Cependant je ne peux pas totalement adhérer à cette déclaration, vous vous en seriez douté.

Pour une seule et bonne raison. Cela sous-entend implicitement que dans un monde sans valeur, guidé par la seule voie du Marché, la religion semblerait être la seule qui apporte du sens. Et que la réticence républicaine à l’intégrer serait désormais hors de propos.

Voilà alors plusieurs questions:

Comment concevoir la laicité aujourd’hui?

Pour moi, la laicité et ce qu’elle implique n’est absolument pas un refus borné de la religion. Penser le contraire relève de l’escroquerie intellectuelle et fait peser sur les défenseurs de la laicité un présupposé de bétîse indécrottable.

Comment pourrait-on penser que la religion n’influence pas la vie publique? Chaque croyant, quelque soit sa confession est aussi un membre de la communauté républicaine. Il apporte donc dans l’espace public ses valeurs personnelles, lesquelles irradient donc la société entière. Quand ces hommes et femmes sont en plus des députés et sénateurs, ce package intellectualisé de valeur a des chances de se matérialiser dans le corpus législatif et réglementaire.

Les valeurs de la religion irriguent donc la vie publique. C’est un fait.

Où doit-on placer la limite?

Que doit-on apporter dans la vie publique, voilà la vraie question. La République c’est un ensemble de personnes qui partagent un socle commun minimum. Ce socle est fait de valeurs communes. La limite de l’apport de la religion est donc dans l’acceptation d’une autolimitation de son apport personnel.

Je prends deux exemples volontairement caricaturaux, la question de la polygamie, et celle de l’avortement.

La polygamie est traditionnellement pratiquée dans les pays de confessions musulmane, bien que celle-ci soit désormais fortement encadrée comme au Maroc sous l’impulsion de Mohammed VI. Elle ne correspond cependant pas à la tradition républicaine française puisque le code civil ne l’autorise pas. Son exercice est donc interdit en France, du moins dans sa version institutionnelle. Car c’est une spécificité de la société que d’accepter une pratique mais d’en refuser l’institutionnalisation.

Depuis 1975, l’adultère n’est plus un délit. Ce qui revient à dire qu’un homme ou une femme vivant dans ce que d’aucun appelle le péché, ne contrevient plus à la loi républicaine. Un homme peut donc vivre avec plusieurs femmes. Si la morale peut le réprouver, la loi n’en dit plus rien. On peut même imaginer un cas où le concubinage notoire accorderait des droits aux deux concubines. Cependant l’institutionalisation faite de la polygamie en terre musulmane n’est pas admise.

De l’autre côté l’avortement. C’est un droit ouvert aux femmes depuis 1975 que continuent de dénigrer une frange toujours active de catholiques plus ou moins intégristes en France. Pourtant ce droit est encadré d’un point de vue médical et légal.

Nous avons donc deux situations qui se traduisent différemment dans la conception religieuse et la conception républicaine légale.

Chacun est cependant ouvert à exprimer son opposition, mais le socle commun majoritaire fait en sorte que chacun doit pour respecter la loi républicaine abdiquer une partie de sa conception personnelle.

La loi n’est qu’un reflet de l’air du temps d’une société composite, multiculturelle et multireligieuse. Trouver l’équilibre nécessite donc pour chacun de mettre certaines parties de ses opinions personnelles de côté, aussi frustrant que cela puisse paraître.

Néanmoins, les règles sont claires. Personne n’est jamais obligé de subir ces règles. Un musulman souhaite vivre de façon polygame? Il peut le faire dans un pays l’acceptant de façon institutionnelle ou en France de façon officieuse mais pas en France de façon officielle. Un catholique ne souhaite pas que sa fille subisse une IVG? C’est un droit, pas un devoir.

Oui mais…

La France est un pays de tradition catholique, la fille ainée de la chétienneté. Les jours fériés sont majoritairement des fêtes religieuses, l’Etat et les CL doivent entretenir les églises dont la propriété leur a été transférée. Soit.

C’est un héritage que l’on assume, mais doit-on pour autant le prendre pour référence pour continuer à penser que la foi catholique guide encore la vie républicaine? Non.

La laicité moderne impose d’assumer l’héritage puisque que la loi, son bras “armé”, est évolutive. Elle utilise le terreau historique pour faire pousser la société de demain.

Le Maroc se laicise, la Turquie tient fortement à sa laicité, l’Espagne catholique autorise le mariage homosexuel…

La laicité n’est pas l’ignorance des valeurs religieuses, et encore moins leur négation puisque les acteurs publics et le citoyen lambda apporte avec lui son barda personnel dans l’espace public. La laicité est une limite. Une limite intelligente que chacun se doit de respecter pour que tous puisse vivre ensemble. Renoncer à une partie de sa liberté pour assurer que l’article 1 de notre constitution puisse s’appliquer

La France est un République indivisible, laïque,démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances

La laicité c’est l’intelligence collective en action. Lui dénier ce rôle c’est ne pas croire en l’intelligence humaine.

  1. rien à voir avec le quotidien dont le cardinal n’était absolument pas actionnaire [Retour]