Après quelques séances de rattrapage de films sortis au cinéma en 2008 et que je n’ai vus qu’en DVD, je rajoute Phénomènes de M. Night Shyamalan. Il ne me reste plus maintenant qu’à voir Two Lovers de James Gray et la boucle sera bouclée !
(Oui je sais, c’est mal de ne pas encore avoir vu Two Lovers alors que tout le monde crie au génie … soit dit en passant tout le monde criait déjà au génie pour La nuit nous appartient et même si c’est un bon film, je trouve qu’on en fait un peu beaucoup alors ça m’a refroidi cette fois-ci…)
Autant l’avouer, je ne suis pas un fan absolu de Shyamalan, malgré le fait qu’il soit véritablement encensé par certains critiques, y compris mainstream. Ainsi, je n’ai pas adoré Le village que j’ai trouvé à certains égards prévisible et ennuyeux, même si je reconnais que plusieurs plans étaient bien trouvés et que l’esthétique aurait pu conduire à quelque chose de bon ; j’ai encore moins aimé La jeune fille de l’eau où, honnêtement, je n’ai pas vu où le réalisateur d’origine indienne voulait en venir. Je ne parle pas de Signes, dont l’intrigue sombre parfois dans le grotesque.
Finalement c’est peut-être avec Sixième sens que Shyamalan a été le plus percutant : non seulement son film et son procédé ont ensuite été recopiés par beaucoup d’autres réalisateurs (y compris talentueux) mais il avait le mérite d’être extrêmement efficace et d’aller au bout de la logique platonicienne "méfiez-vous des apparences, la réalité n’est peut-être pas ce que vous croyez".
C’est donc sans trop y croire que j’ai abordé Phénomènes : même si je ne crierai pas au chef-d’œuvre, je pense qu’il s’agit là d’un des meilleurs films de celui que certains surnomment le "nouveau maître du thriller" (ces gens-là ont l’art de la formule ;-).
Comme toujours avec Shyamalan, le spectateur est d’abord plongé dans l’incompréhension puisque le point de vue est celui du (des) protagoniste(s) principal (aux) du film. La catastrophe qui le(s) frappe est donc incompréhensible et inexpliquée pour lui (eux) comme pour nous. Concrètement la journée semble être idéale dans Central Park, beau soleil, gens heureux, lorsque soudain plusieurs personnes commencent à se suicider. La mystérieuse épidémie prend de l’ampleur, les spécialistes et les médias se demandent s’il s’agit d’une nouvelle forme de bioterrorisme ou si c’est le gouvernement des Etats-Unis qui a perdu le contrôle d’une nouvelle arme en test (la fameuse théorie du complot).
La caméra va plus particulièrement suivre Elliott, un professeur de biologie (interprété par Mark Wahlberg) et sa femme Alma, avec laquelle il traverse une zone de "turbulences" comme on dit dans le langage marital. Le jeune couple prend sous son aile la fillette d’un couple d’amis et s’enfuit vers des zones moins peuplées que Philadelphie, la ville dans laquelle ils habitent et qui semble, comme l’ensemble de la région, touchée par ces phénomènes.
Chemin faisant Elliott, qui n’est pas la moitié d’un con, comprend que cette catastrophe est due à la nature qui, se sentant menacée par le danger que représente l’homme, dégage des espèces de toxines agissant sur le cerveau humain et poussant les personnes touchées au suicide. Plus encore, Elliott se rend compte que l’attaque de la végétation a d’autant plus de chances de se produire que les groupes humains sont denses (ce qui paraît logique).
Il décide alors de se séparer du reste du groupe avec lequel il fuyait, leur expliquant que chacun ne doit plus désormais former que des petits groupes. Ils errent avec Alma et Jess, la petite fille qu’ils ont recueillie, dans la belle campagne devenue pourtant hostile, jusqu’à ce qu’ils arrivent dans la maison d’une vieille femme d’abord vaguement accueillante mais sombrant ensuite dans l’agressivité et la paranoïa.
Alors qu’Elliott espère que sa stratégie va s’avérer payante, la vieille femme est à son tour frappée par le mal qui a déjà décimé une bonne partie de la population de la région. N’y a-t-il donc aucune issue ?
Phénomènes (le titre original, The Happening, est évidemment bien plus percutant) surfe sur la peur très contemporaine de la catastrophe écologique. Mais contrairement aux films catastrophe habituels où les événements arrivent de façon violente (tsunamis, tempêtes de neige, tornades, etc.), ici tout semble normal, rien de spectaculaire. Sauf que la nature fait en sorte que ce soit les humains qui se suicident. L’allégorie est limpide…
La réussite du film tient notamment au fait que Shyamalan filme ces événements avec sécheresse : il ne cherche pas à faire un film "grand public" et n’épargne pas quelques scènes assez dures de suicides, ainsi que d’autres scènes où des gens vont jusqu’à s’entretuer. Elle tient également à la réussite visuelle et métaphorique d’une ou deux scènes plus particulières : je pense ici à celle, vers la fin du film, où Elliott est enfermé dans une pièce de la maison et communique, via un système de tuyaux, avec Alma et Jess qui se sont enfermées dans une petite cabane dans le jardin. Cette scène, qui peut être vue et interprétée à plusieurs niveaux, revêt ainsi une force et une émotion peu communes. Phénomènes se double alors d’une réflexion subtile sur l’espoir, le renoncement, les liens entre mari et femme, un peu comme Cormac McCarthy l’avait fait dans son roman La route.
Enfin Shyamalan, qui aime faire son malin, livre au spectateur un faux happy end puisque la vie reprend son cours et que l’épidémie repart aussi inexplicablement qu’elle était venue… jusqu’à ce que, quelques mois plus tard, un parc parisien (les Tuileries) soit subitement frappé par le même phénomène. Façon de dire que si l’homme ne prend pas conscience de son action sur l’environnement, il périra tôt ou tard. Une thèse qui ne sera probablement pas partagée par notre ancien ministre Claude Allègre !