C’est avec grande excitation que j’ai ouvert « Le passé » de Alan Pauls il y a quelques jours, et avec une certaine perplexité que je l’ai refermé cet après-midi. Recommandé left, right and center, et notamment par la clique Herraldofresánovilamatabolañesque, c’était a priori fait pour moi, mais je ne suis finalement pas convaincu par cette éducation sentimentale inversée, remplie de madeleines et d’épiphanies et d’un humour qui force des éclats de rire, oui, glaciaux. Difficile de dire ce qui cloche de façon convaincante : c’est sans doute lié à une histoire qui a un aspect assez vieillot, déconnecté, une sorte de tentative maladroite de réécrire la Sibylle et Horacio, version temps modernes mais cadre presque antique, impression que tout se déroule bien avant les dates véritablement avancées (des années 70 à nos jours), que ça pue la naphtaline en somme. En gros, un sud-américain qui a mieux réussi à parler d’une histoire d’amour remplie de douleur, c’est Vargas-Llosa et sa vilaine fille – et lui met plein d’autres choses en plus dans son récit. Tout ça est dommage, parce qu’il y a quelque chose de fascinant dans l’écriture de Pauls, surtout par la grâce d’une grande force évocatrice dans les images, les métaphores utilisées, et la capacité de partir dans de longues envolées où tout coule de source, tout sonne juste.
« Il habitait à Nuñez, au vingt-deuxième étage d’une tour qui, par vent violent, semblait tituber un peu à la tombée de la nuit, comme bercé par la force des avions qui traversaient le ciel tout près. »
« Rímini avait tendance à penser que la jalousie était une machine arbitraire mais implacable, dont la spécificité consistait à traduire la langue diaphane de l’amour en jargon de cauchemar : l’amour coulait sans problèmes jusqu’au moment où il butait contre une impureté, l’impureté formait un pli, celui-ci créait un phénomène d’étranglement, le courant de l’amour devenant un filet. »
On aurait juste souhaité que le reste de la machine suive.
Alan Pauls, Le passé, Christian Bourgois, 27€