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Le gigot est au centre de l'univers

Par François Monti

Et donc le meilleur de la littérature française contemporaine, c’est ça ?

Mon ami odot m’avait dit qu’il fallait le lire, que même si c’était très français, c’est quand même quelque chose, que ça valait la peine contrairement à bien trop d’auteurs hexagonaux à succès. Mon ami gadrel m’avait dit qu’il ne lirait plus jamais rien de ce type, que c’était nul, vide et chiant. Analysant un bref moment mes affinités littéraires avec les deux gaillards, je m’étais rapidement dit que cet « Univers, Univers » et ce Jauffret, ça devait être pas mal. Au bout du compte, je me retrouve en no man’s land, entre les deux parties en conflit (qui n’existe que dans ma tête : ils ne se connaissent pas).

L’histoire est de celles qui se résument a priori en deux phrases. Une femme surveille le gigot dans le four, attendant son mari et les amis qu’ils reçoivent à dîner. Peut-être est-elle amnésique, plus probablement s’emmerde-t-elle, toujours est-il qu’elle passe le temps en s’imaginant des noms et des parcours toujours glauques, supposés représentatifs de la médiocrité de la vie bourgeoise : mauvais mariage, piètre vie sexuelle, déchéance alcolallucinogène, mort de seconde zone. C’est la lecture littérale.

C’est une longue litanie des vies possibles, une tentative saisissante d’épuiser l’univers et de le circonscrire dans les pages du livre, de rendre la complexité du monde à travers l’hyper-simple d’apparence (la cuisson du gigot, cet agneau mystique des temps modernes). Jauffret joue ici avec le pouvoir de l’auteur qui non seulement sait tout, mais prévoit et contrôle l’avenir. L’écriture est ici l’instrument de l’écrivain sadique qui affirme pouvoir réserver n’importe quel sort à son personnage. On a aussi bien sûr une forte réflexion sur la cruauté du temps qui passe et la terrifiante imperfection de la vie quotidienne.C’est la lecture œcuménique.

« Univers, univers », voilà bien un livre où l’intrigue est un disque rayé au tout début du sillon, qui ne démarre jamais donc vraiment. Roman d’une grande complaisance qui n’a pratiquement rien à dire, il aurait peut-être bénéficié d’un format 45 tours à la Chevillard plutôt que de ce sextuple 33 tours interminable. Jauffret n’épuise pas l’univers, par contre on serait moins formel en ce qui concerne son lecteur. Entreprise boursouflée, sans grâce, ce n’est pas là l’œuvre rédemptrice de la littérature française mais bien le constat, le diagnostic de sa profonde maladie. On frise l’imposture. C’est la lecture fondamentaliste.

Aucune de ces trois lectures ne me satisfait. Il y a de très beaux passages dans « Univers, univers », ça ne fait aucun doute. Ils sont malheureusement finalement assez rare étant donné l’ampleur de l’entreprise. D’une certaine façon, Jauffret force le respect, mais en même temps comment résister à des dizaines de pages de vide absolu, de rien, de répétition constante ayant perdu toute trace d’originalité ? Il y a, sur les 600 pages du livre, trois passages qui resteront en moi.

« Si seulement vous aviez l’amour-propre qu’on prête à une bête, tous ces caractères, tous ces mots, ce phrasage, cette paragrapherie n’auraient pas pénétré vos méninges, insultant vos neurones comme une bande de salopiots. Vous vous seriez enfui dès la première page, abandonnant la lecture pour une activité dénuée d’intérêt, mais moins humiliante, et vous n’auriez pas servi d’exutoire à un ouvrage en furie. A présent, vous êtes allé trop loin, vous êtes un lecteur captif, vous faites partie du livre tout autant que cette femme en arrêt devant son four. Comme elle vous regardez la viande, vous l’entendez rissoler, vous êtes dans l’expectative, alors que de toute évidence il ne se passera rien de notable. La voilà la littérature, elle ne raconte rien, elle traîne en longueur le langage, elle lui permet enfin de s’exprimer, au lieu de toujours servir à dire quelque chose d’autre que lui. »

Ensuite, la partie qui va de la page 276 à la page 285 est à peu près parfaite.

Enfin, les mots qui clôturent le livre :

« Elle a eu trop de noms pour qu’on s’en souvienne. A présent, le gigot est cru, l’agneau s’en sert encore pour gambader dans la campagne, grimper aux arbres, s’envoler de la plus haute branche avec la grâce d’un caillou, d’un caïman, d’un lecteur tombé tête la première dans un roman.
Un roman décédé de mort subite.
Les livres meurent debout. »

Entre ça, quelques belles phrases, belles trouvailles, belles inventions. Et trop, beaucoup trop de prose marchand-de-sable.

Régis Jauffret, Univers, univers, Verticales, 20€

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Je ne compte pas ici relancer le débat sur l'état des lettres françaises, ce sera (peut-être) le sujet d'un autre message.

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