Cet après-midi, j’ai relu quelques uns des papiers publiés à la sortie du « Tunnel ». Je me suis déjà fait largement écho de sa réception médiatique, et ne compte pas me relancer dans une page entière d’appréciations et récriminations, les deux épisodes précédents suffisent. Trois petits points suffiront.
La première chose qui m’a frappé quatre mois plus tard, c’est la réticence des critiques à s’engager, à se prononcer, à juger. On n’obtient finalement que très rarement un verdict quelconque de la part du journaliste. Certes, il est hardi de crier au génie, au banal ou à l’imposture immédiatement après une lecture souvent rapide. Il me semble tout de même que cette absence d’opinion est étrange. Alors, bon ou mauvais le livre ? Trop souvent, c’est le communiqué de presse qui ressort, l’intrigue qui est brossée, et les caractéristiques physiques spécifiées comme dans un magazine automobile. Pourquoi ? Parce qu’avouer ne pas apprécier une œuvre aussi ambitieuse serait s’exposer au ridicule ? Parce que crier au chef-d’œuvre serait tout simplement présomptueux ? Je pense plutôt que la critique se laisse dominer par une impression que tout se vaut, qu’il n’y a que des relatifs, qu’il n’y a pas de merdes infâmes ou de pépites, qu’un jugement n’est pas a priori meilleur qu’un autre. Il y a des livres dont on peut se contenter de dire « c’est vraiment très bien », d’autres pour lesquels se serait bien court. Ceux-là ne seront jamais traités de façon satisfaisante dans la presse : vous comprenez, il s’agit de ne pas imposer son avis au lecteur.
J’ai été également interpellé les propos de Hubert Prolongeau dans le Journal du dimanche. Il se demande si, en dépeignant ce salaud de Kohler, l’auteur n’irait pas jusqu’à la complaisance, la légitimation de propos indéfendables ? Non, dit-il, car le livre est aussi un formidable exercice de style. J’avoue ne rien comprendre à cet argument. Au contraire, ceux qui s’indigneraient d’une quelconque complaisance ne la fermeraient certainement pas si on leur disait « c’est du style, ma bonne dame ». La réponse fuserait : « mais c’est encore pire, c’est donc purement gratuit ! ».
Le prix du papier le plus bête et méchant revient à Christophe Mercier du Figaro littéraire. Lui, il prend position, mais pas vraiment envers le livre qu’il n’a pas apprécié. Ce qu’il n’aime pas ce sont les propos dithyrambiques de la critique américaine – sans doute tirées du dossier de presse, vu que la réception US fut tout sauf unanime. Le plus amusant ? Il décerne la « palme de l’enthousiasme naïf à un certain Steven Moore ». Il est vrai que celui-ci n’y va pas avec le dos de la cuillère, comparant « Le Tunnel » à Proust, Joyce et Musil. Mais visiblement, Mercier n’a pas fait ses devoirs, puisqu’il ignore que le dit Moore est un plus grands connaisseurs de la littérature US d’après-guerre. Ca ne légitime pas nécessairement son opinion, mais ça remet en perspective le « un certain » dont Mercier l’affuble. A la fin de son article, le critique dit que « l’intellectualisme excessif et abstrait prive le lecteur du plaisir qu’il est, avant tout, supposé éprouver à la lecture d’un roman ». Gageons que ce sera vrai pour pas mal de gens. Mais qui détermine le taux d’excessivité de l’intellectualisme ? Et qui dit où le plaisir doit se trouver ? Au moins ne puis-je lui reprocher de se prononcer clairement…
William H. Gass, Le Tunnel, Le Cherche-midi, 26€