Les médias traditionnels et le gouvernement ont un agenda commun : limiter l’influence et les parts de marché des bloggeurs et des journalistes amateurs. Les Etats généraux de la presse proposent donc au gouvernement de créer un statut d’éditeur de presse en ligne dont les avantages de toute nature ne profiteraient qu’aux entreprises composées de journalistes professionnels.
La ministre de la Culture et de la communication Christine Albanel a reçu jeudi le Livre Vert des Etats généraux de la presse réunissant les recommandations de quatre groupes de travail : métiers du journalisme, processus industriel, presse et internet, et presse et société. Concernant internet, le groupe de travail préconise la création d’un statut d’éditeur de presse en ligne qui offrirait des avantages fiscaux, juridiques et financiers aux seules rédactions composées de journalistes professionnels, excluant notamment les blogs.
Si les recommandations sont suivies par le gouvernement et le Parlement, le statut d’éditeur de presse en ligne serait accordé selon trois critères cumulatifs :
* Critère 1 : exercice d’une mission d’information à titre professionnel à l’égard du public ;
* Critère 2 : production et mise à disposition du public de contenu original, composé d’informations ayant fait l’objet d’un traitement journalistique et présentant un lien avec l’actualité, sans constituer, en lui-même, un outil de promotion ou un accessoire d’une activité industrielle ou commerciale ;
* Critère 3 : emploi régulier de journalistes professionnels dans l’activité des entreprises concernées, dans le cadre des règles sociales et déontologiques de la profession.
Excluant d’office les bloggeurs autonomes ou les nombreux journalistes autodidactes qui se lancent dans la création de leur propre site Internet sans formation professionnelle, le statut serait toutefois accordé à ceux des éditeurs qui, entre autres activités, proposent des contenus générés par les utilisateurs. Concrètement, un bloggeur qui se lance sur son propre nom de domaine ne bénéficierait pas du statut pour assurer sa viabilité financière, alors que Le Figaro, Le Monde, 20 Minutes ou Libération qui proposent une plateforme de blogs sur leur site pourraient bénéficier des avantages offerts par le statut en plus des contenus qu’ils hébergent le plus souvent à titre gracieux : TVA réduite à 2,1 %, accès aux fonds d’aides à la presse (plus d’un milliard d’euros distribués distribués en 2007 sous formes d’aides directes ou indirectes), allègement de charges fiscales et sociales, régime de responsabilité pénale spécifique.
S’il est souhaitable pour moderniser le statut juridique de la presse, les critères définis par les Etats généraux excluent tout un pan de nouveaux médias qui ne pourraient pas en bénéficier, et se retrouveraient de fait dans un rapport de force déséquilibré. D’autant que le groupe de travail propose que “l’aide au développement des services en ligne soit affectée de manière prioritaire, mais non exclusive, aux éditeurs de presse en ligne d’information politique et générale“, ce qui favorise là encore les grands journaux nationaux.
Cette exclusion des bloggeurs ou des journalistes amateurs n’est pas qu’un effet involontaire d’un critère trop restrictif. C’est une véritable volontée affichée par les Etats généraux. Ainsi peut-on lire dans le Livre Vert que “si tout le monde était « journaliste », personne ne le serait plus. Et, du coup, qui croire ?“. Comme si le fait d’être journaliste professionnel était gage de vertu et de vérité absolue.
“Si l’on pouvait faire des journaux sans journalistes, qu’y publierait-on ? La même chose qu’à côté, la répétition perpétuelle du pareil au même, sans hiérarchisation différenciée, sans talents particuliers, sans tonalités. Force est de constater que le populisme du « tous journalistes » rejoint sur un point au moins le fantasme des journaux sans rédactions : c’est la fin de la médiation entre les faits et les lecteurs“.