Première étape d'une série de cinq sur des domaines alsaciens que les Maigremont ont eu la chance de visiter en novembre dernier.
Nous arrivons de bonne heure chez Albert Seltz, à Mittelbergheim magnifique et pittoresque village du Bas-Rhin. L'homme est décontracté, lunettes de soleil en attente sur la tête, les mains dans les poches. Premier contact, premiers échanges sur l'actualité viti-vinicole : l'homme n'a pas la langue dans sa poche. Ca promet des discussions animées et en toute franchise.
C'est Philippe, notre organisateur local qui a organisé la visite avec Albert Seltz.
Le domaine s'étend sur 11 hectares de vignes et est planté de 7 cépages : les classiques alsaciens, mis à part le Muscat remplacé par l'Auxerrois. La part des Grands Crus représente 4 ha (Pinot Gris, Gewurzt, Riesling et Sylvaner). La production annuelle est d'environ 100 000 bouteilles.
Albert est la 14 ème génération d'un domaine né en 1576 ! Il nous laisse entendre que vigneron est un métier difficile : "c'est un savant mélange d'idéalisme et de pragmatisme".
Il travaille actuellement un peu pour les générations futures : le domaine est en bio non certifié et la biodynamie est pour lui une évidence qu'il commence à appréhender et à suivre de près. "Pour ton fils ? Peut-être, répond-il, mais pour le moment c'est encore un peu tôt pour savoir ce qu'il fera plus tard". Comme un bon père de famille qui pourrait léguer son domaine à la relève, Albert épargne beaucoup : actuellement, 80 000 bouteilles sont en cave, témoins du passé du domaine et de la période actuelle.
Albert Seltz est un adepte sans mesure du Sylvaner : chaque année, il met de côté en cave 600 bouteilles de chaque cuvées de Sylvaner, pour prouver à beaucoup que ce cépage peut vieillir. Il constitue en quelque sorte une "sylvanothèque".
D'ailleurs, nous apprenons rapidement qu'un cheval de bataille d'Albert fût son "combat contre l'INAO" comme il aime à dire. Ardent défenseur du Sylvaner, il milite longuement pour redorer le blason d'un cépage que certains pourraient qualifier d'indigne (un peu comme le Gamay fût banni de Bourgogne). En effet, seuls les cépages dits "nobles" peuvent prétendre à l'appellation Grand Cru (Riesling, Gewurztraminer, Pinot Gris et Muscat).
Petit retout en arrière. 1998, la DGCCRF (Direction Générale de la Concurrence, de la consommation et de la Répréssion des Fraudes) constate dans une belle enseigne de Strasbourg une trentaine de bouteilles disposées à la vente comportant la mention "Sylvaner Zotzenberg Vieilles Vignes". "Etiquetage trompeur !" d'après l'INAO qui porte l'affaire devant les tribunaux. Normalement, la mention Grand Cru est suivie du lieu dit.
Or, le Sylvaner n'est pas considéré comme Grand Cru. Albert se délecte et proteste documents à l'appui, que depuis 1922, le Sylvaner est accompagné de la mention Zotzenberg. S'en suivent de longs mois de procédure et au final Albert Seltz est dispensé de peine : amoureux de l'Italie et de la Renaissance, il baptise une oeuvre murale de son domaine du "Sono Contento" (Je suis content), symbole du pieds de nez qu'il vient de faire à cette grande institution mais qui hisse maintenant le Sylvaner au niveau qu'il souhaitait pour beaucoup...
Nous passons par les cuves de vinifications. Pour rappel, nous sommes juste après les vendanges : ça "glougloutte" dans tous les sens, "ça bosse" comme on dit ici. Nous passons par "le chai". Quelques cuves béton, inox ou fût servent à l'élevage du vin. Il n'y a pas de règles concernant le temps passé en fût : "j'éleve le plus longtemps possible sur lie, soit jusqu'à fin juin de l'année suivante". Mais l'élève de Léonard Humbrecht qu'il était nous indique que les vins doivent être natures : "un peu comme pour les femmes, pas trop de maquillage"...
Nous descendons dans la cave de vieillissement : elle est magnifique. Près de 80 000 bouteilles reposent au calme dans la superbe cave, ornée d'oeuvres d'art qui s'associent à merveille avec les protégées d'Albert.
Nous parlons du millésime 2008 et demandons à Albert comment il se présente "il n'y a pas de mauvais millésime, il n'y a que des mauvais vignerons !" : ça au moins, c'est fait ! A suivre au caveau de dégustation.
Auxerrois Kritt 2002 : on attaque déjà fort avec un vin ouvert aux notes de miel et de mirabelle avec des amers bien intégrés. Très bon
Auxerrois Kritt 2005 "Sélection" : un peu plus en retrait, mais une bouche construite sur une jolie minéralité et un sucre un peu plus présent.
Riesling Gd Cru Zotzenberg 2000 : nez discret certes, mais ô combien enivrant de fruits secs. Bouche puissante, droite comme un I. Le Zotzenberg abrite un terroir rouge (fer et grès)
Riesling Brandluft "Sélection" 1998 : issu de passerillage à sec, le nez est sur des arômes de Riesling évolué (notes terpeniques). On trouve en bouche des saveurs très iodées.
Riesling Brandluft 2005 : arômes primaires au nez, bouche saline et matière dense. Pas mal
Riesling Gd Cru Zotzenberg 2007 : c'est vif et citronné. La bouche est plus arrondie (rose) et longue. Albert n'aime pas encore, mais nous oui.
Un premier arrêt au stand pour se faire une première impression : les vins sont francs (on s'en doutait) dans un style étonnamment puissant.
On repart avec le Riesling Gd Cru Zotzenberg 2006 : le nez est superbe, complexe dans un registre très mandarine. Que dire de la bouche qui est énorme sur des notes plus confites. Très beau.
Voici le genre de vin qui fait la pige aux détracteurs du Sylvaner. C'est un 1989, "Vieilles Vignes" tout de même ! C'est évolué certes, mais le raisin est encore tellement évident. Les arômes sont patinés et enivrants.
Sylvaner Gd Cru Zotzenberg 2005 : le premier millésime à pouvoir prétendre de la mention Grand Cru. Vin minéral mêlé d'arômes de mirabelle dans un style puissant aux touches boisées. Beau potentiel.
Sylvaner Vieilles Vignes 1998 "la Colline aux Poiriers" : celui là, il porte justement son nom : fruits blancs et particulièrement poire. On retrouve en bouche ces mêmes arômes, avec un léger sucre résiduel. L'équilibre est flagrant, superbe. Finale encore figoureuse.
Celui-ci sort directement du fût : le fruit est croquant et se prolonge longuement sur une juste tonalité. Encore un Sylvaner, "Sono Contento" 2007. Très prometteur, dans un style riche et puissant, juteux.
Sylvaner 2001 "la Colline aux Poiriers" : le millésime était propice au botrytis : le résultat est un régal. C'est une gourmandise, un dessert à lui tout seul dans un style confit mais léger. Extra
Gewurztraminer 2005 "Mon Ruisseau de Zanzibar" : bien évidemment épicé mais aussi marqué de gingembre, le vin est charpenté.
Pinot Gris 1999 "les Eglantiers" : un vin discret mais agréable, dans un registre confit et de miel de fleurs. Il ne fait pas ses 10 ans ce minot.
Sylvaner 2003 : amateur d'oxydatif, ce vin est pour vous ! On est évidement à des années lumières du Sylvaner conventionnel, mais la canicule et un élevage long en ont fait un vin hors normes. Avec un léger sucre résiduel présent, la finale est ample. Superbement atypique.
Merci infiniment à albert Seltz de nous avoir ouvert son domaine. Les vins sont pures, droits, puissants, on pourrait penser alcoleux mais toujours sincères et avec une vraie personalité. Ce Robin des Bois là est attirants et ses vins sont comme lui : attachants et francs.
Nous partons ensuite pour le kiosque du "Kastelberg" et ses vignes pour y déjeuner : nous surplombons Andlau ! La vue y est exceptionnelle. Quelle journée !
Domaine Albert Seltz
21, rue Principale
67140 Mittelbergheim
+33 3 88 08 91 77/+ 33 6 09 24 61 61
@ info@albert-seltz.fr
Site Internet