A Gaza, les bombardements incessants ont forcé la population à rester terrée chez elle, souvent sans eau courante, sans nourriture, sans électricité, ni chauffage. Il est extrêmement dangereux de se déplacer, même pour amener les blessés à l'hôpital.
Handicap International, présente depuis 1996 dans les Territoires palestiniens, a dû cesser ses activités à cause des bombardements, mais a besoin de votre soutien pour pouvoir les reprendre d'urgence !
Interview de Nathalie Herlemont-Zoritchak, responsable du secteur Analyses et Positionnement de Handicap International et docteur en sciences politiques.
A quoi sert le droit international humanitaire ?
Le droit international humanitaire (DIH), également appelé « droit des conflits armés », s'applique en temps de guerre (conflits armés internationaux et non internationaux). Ses textes essentiels sont les conventions de Genève et leurs protocoles additionnels1. Il vise à réglementer la conduite des hostilités, et de ce fait à protéger les personnes qui ne participent pas aux combats (les civils2, les membres du personnel sanitaire ou d'organisations humanitaires) ainsi que celles qui n'y prennent plus part (les blessés, les malades et les naufragés, les prisonniers de guerre). Le DIH est reconnu par l'ensemble de la communauté internationale.
La situation des populations civiles à Gaza porte-t-elle atteinte aux dispositions du DIH ?
Il est clair que, jusqu'à présent, la situation dans la bande de Gaza est particulièrement préoccupante au regard du DIH. En effet, l'ampleur des dommages causés aux civils ainsi que les conditions de vie imposées aux populations témoignent du non respect de principes énoncés par les conventions de Genève :
• D'une part parce que l'accès des secours permettant d'assurer la survie des populations n'est, pour l'instant, pas assuré : les habitants terrorisés sont obligés de se terrer chez eux, l'alimentation manque, l'eau courante également, l'électricité est coupée, le chauffage aussi. Trois ambulances ont été touchées, trois écoles de l'UNRWA (office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient) ont été bombardées etc. De plus, le DIH affirme clairement la possibilité pour les organismes de secours impartiaux et indépendants (spécifiquement le CICR, mais la dénomination désigne aussi les ONG) d'accéder aux blessés, malades et civils en situation de vulnérabilité. C'est ce qu'on appelle le « droit d'initiative humanitaire ». Or, compte tenu de l'extrême difficulté à atteindre les populations (du fait des bombardements et des tirs continus et de la quasi impossibilité d'accéder à la bande de Gaza), de la dégradation du système de soins, et de la carence en produits de base, les besoins de la population sont très loin d'être couverts. Ces pénuries entraînent un vrai risque vital pour les populations. Les restrictions sévères à l'accès des secours doivent être considérées comme une atteinte aux dispositions du DIH. Même si elles sont décidées pour des raisons de sécurité, elles sont assimilables à une punition collective ou une action de représailles menée contre la population dans son entier, ce qui est proscrit par le droit.
• D'autre part, le DIH impose aussi aux belligérants de tout mettre en œuvre pour que le conflit n'inflige pas aux populations civiles des souffrances excessives ou disproportionnées par rapport à l'objectif militaire poursuivi. La notion d'excès n'est pas définie par le droit, mais dans les circonstances présentes on se doit de considérer que les atteintes aux civils dans la guerre de Gaza sont démesurées. Le caractère très particulier des combats, qui se déroulent en zone peuplée (voire urbaine) et quasi hermétique, et l'ampleur des moyens déployés entrainent de lourdes pertes civiles (les Nations unies ont cité le chiffre de 25 % de civils parmi les blessés, ce qui ne peut être décemment considéré comme un dommage collatéral acceptable). Les conventions de Genève imposent une certaine limitation dans les méthodes de guerre, et en particulier spécifient qu'une riposte doit être proportionnée à l'attaque subie, et éviter toutes les souffrances qui ne seraient pas en rapport avec un avantage militaire concret. Dans ce contexte, certaines armes ne doivent pas être utilisées non plus, parce qu'elles ne peuvent respecter le principe de discrimination entre combattants et non combattants. C'est dans le but de vérifier la stricte application de ce principe que nous avons demandé à l'ambassadeur d'Israël en France de donner des éclaircissements concernant les rumeurs d'utilisation de bombes à sous-munitions par les forces de défense israéliennes à Gaza. Par ailleurs, dans les circonstances actuelles de guerre terrestre, les populations civiles prises dans les combats devraient aussi conserver la possibilité de fuir le conflit, ce que la situation à Gaza ne permet guère aujourd'hui.
Dans un contexte comme celui de Gaza, comment protéger les populations ?
L'annonce faite hier par Israël de sa volonté de mettre en place un corridor humanitaire est une très bonne nouvelle car cela doit permettre aux ONG, au CICR (Comité international de la Croix Rouge) et aux agences des nations unies d'accéder réellement aux populations. Le « droit d'initiative humanitaire » serait ainsi respecté par les belligérants. Plus concrètement, cela devrait permettre la distribution en quantité enfin suffisante des produits de première nécessité. Aujourd'hui seule une centaine de camions/jour peut atteindre la bande de Gaza, il en faudrait au moins 800. Pour assurer une bonne diffusion de l'aide, et en particulier de tout ce qui concerne les besoins de base, il faudrait également une ouverture plus importante des points de passage.
Parallèlement, il faut rappeler que les belligérants ont le devoir d'adapter leurs méthodes de guerre à l'environnement du conflit : aucun d'eux ne doit ni se servir de la population pour protéger des objectifs militaires, ni au contraire faire peser sur la population des attaques non discriminées dans le but de détruire plus largement les moyens de l'adversaire...
Le respect du DIH incombe aux deux parties en conflit. Quelle que soit l'attitude de l'autre belligérant, une partie au conflit doit respecter les dispositions de ce droit, y compris dans le cas où elle se battrait contre une autorité qu'elle ne reconnaît pas comme légitime. Dans le cas où l'attitude des belligérants n'est pas conforme, la communauté internationale a alors le devoir de protéger le DIH et d'assurer sa mise en œuvre effective. Cette responsabilité étatique, connue sous le terme juridique de « compétence universelle » peut aboutir à des sanctions pénales, y compris aujourd'hui dans le cadre de la Cour pénale internationale. Par ailleurs, les acteurs humanitaires se reconnaissent en général la responsabilité de signaler les abus commis, dans une fonction d'alerte qui vise également à défendre les fondements du droit humanitaire.
1/ Les conventions de Genève et leurs protocoles additionnels proposent un ensemble de garanties judiciaires qui se rapportent à la manière de conduire la guerre et assurent la protection des non combattants. La première convention de Genève de 1864 portait exclusivement sur les soins aux soldats blessés ; par la suite, ses principes ont été adaptés à la guerre maritime et au traitement des prisonniers de guerre. En 1949, les conventions ont été révisées et développées : 4 conventions abordent désormais le sort des blessés des forces armées terrestres et navales (CG I et II), le traitement des prisonniers de guerre (CG III) et la protection des civils (CG IV). En 1977, deux protocoles ont été ajoutés : protocole additionnel I (protection des victimes des conflits armés internationaux), protocole additionnel II (protection des victimes des conflits armés non internationaux). En 2005, un troisième protocole additionnel a été adopté, sur l'adoption d'un signe distinctif pour les belligérants.
Source CICR : http://www.icrc.org/web/fre/sitefre0.nsf/html/genevaconventions
2/ Le droit international, et notamment les conventions de Genève, classent dans la catégorie des civils tous ceux qui n'appartiennent pas aux forces armées, aux milices ou aux mouvements de résistance organisés, et plus spécifiquement tous ceux qui ne prennent pas part directement aux hostilités. Les termes sont précis, cependant cette distinction entre "combattants" et "non-combattants" s'avère sujette à débat dans la bande de Gaza, l'interprétation des deux parties aux conflits différant sensiblement, notamment du fait que les forces de défense israéliennes ont affirmé une conception très large des catégories de personnes assimilables aux « combattants du Hamas ».
Soutien aux personnes handicapées à Gaza /
« Les habitants de Gaza sont terrés chez eux »
© REUTERS/Mohammed Salem, courtesy www.alertnet.orgViolaine Gagnet, chef de mission de Handicap International pour les Territoires palestiniens est en contact quotidien depuis Jérusalem avec l'équipe de Gaza.
Quelles nouvelles recevez-vous de la bande de Gaza ?
Nos collègues vivent une situation extrêmement difficile. L'une d'elle était en larmes quand je lui ai parlé au téléphone hier, elle avait peur de mourir. Il semble que la situation ait été un peu plus calme ce lundi 5 janvier, malgré des bombes qui tombent toutes les trois minutes. C'est extrêmement difficile, d'autant plus que tous nos collègues ont des enfants en bas âge, qui ne peuvent pas dormir, qui vivent dans un stress énorme. Pendant deux jours, nous n'avons pas eu de nouvelles de l'un de nos collègues qui habite dans un camp de réfugiés visé par les frappes aériennes. Je l'ai finalement eu au téléphone ce lundi matin, il a pu évacuer et se déplacer dans une zone moins exposée.
Depuis le 27 décembre, toutes nos activités sont suspendues dans ce territoire, car il n'est plus possible d'y travailler.
Comment vivent les habitants ?
Depuis la Guerre des 6 jours en 1967, c'est la première fois que la violence est d'une telle intensité. Il y a eu une semaine de frappes aériennes intensives, puis le lancement samedi soir (3 janvier 2009) d'une offensive terrestre. Les habitants se terrent chez eux, ils ont peur de sortir, peur d'être tués dans la rue. A cela s'ajoute une dégradation de la situation matérielle, les Gazaouis n'ont plus d'électricité, plus d'eau plus de gaz, ils ne dorment pas, ils sont dans un stress permanent. Ils ne peuvent plus se chauffer, et les logements sont glacials parce que la plupart des vitres ont été soufflées par les bombardements de ces derniers jours. Personne n'ose sortir, même pour acheter de la nourriture. Il faut aussi souligner que l'information ne circule plus, les habitants n'ont plus d'électricité, ils ne peuvent plus écouter la radio et la télé, ce qui est propice aux rumeurs.
Aucune aide n'arrive dans la bande de Gaza ?
Quelques camions sont passés, mais c'est une goutte d'eau pour une population de 1.5 million d'habitants. Et si des distributions ont pu se faire de manière infime, la plupart du temps c'est impossible étant donné le risque d'être victime de tirs ou de frappes aériennes. Même avant l'offensive terrestre, un des partenaires de l'association, pourtant particulièrement volontaire, me disait qu'il ne pouvait plus rien faire : « ma priorité c'est de survivre ».
Que peut faire Handicap International dans ce contexte ?
L'urgence est de permettre aux habitants de Gaza de couvrir leurs besoins de base, la nourriture, l'eau (il n'y en a plus), l'électricité et le chauffage. Pour nous, il s'agit donc notamment de préparer des kits d'hygiène, des couvertures, des matelas, et autres équipements de base pour lutter contre le froid. De plus, nous planifions d'apporter au plus vite des équipements spécifiques –fauteuils roulants, béquilles, cannes, etc.- pour les personnes en situation de handicap, et mettre en place un réseau de kinésithérapeutes, qui visitent les blessés à domicile afin de leur fournir des soins en réadaptation. En effet, les personnes blessées sont prises en charge dans les hôpitaux mais ces derniers ne sont pas en mesure d'assurer les soins post opératoires. Dans ces conditions, les personnes sont renvoyées chez elles et sont dans l'impossibilité de se rendre dans les centres de réadaptation pour bénéficier des soins nécessaires : la situation d'insécurité qui règne a Gaza empêche tout mouvement à l'extérieur de chez soi. Pour pouvoir intervenir, il faudrait ouvrir un corridor humanitaire et que les combats soient interrompus de part et d'autre, pour que l'on puisse mettre en place nos activités.
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© Mohammed ABED / AFP
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