Je regarde passer les avions, de la fenêtre de mon bureau : à l'instant, il en est trois qui viennent de croiser leurs fumées. Mystère des visions et autres réminiscences qui s'inscrivent en nous, j'ai cru, une seconde, que l'un d'entre eux se dirigeait droit sur la tour Montparnasse. L'illusion optique évanouie, les avions ont passé leur chemin, estompant derrière eux une traînée de poudre blanche dans le ciel obstinément froid et bleu. A l'intérieur, des gens, plein de gens, qui ont une autre vie que la mienne et qui, à cet instant précis, s'arrachent à la Terre. Je suis là, moi, bien assis, calé dans mon fauteuil, le regard tourné vers la fenêtre haute ; eux se détachent de ce qui pèse ici-bas, apesanteur. Le spectacle des avions dans le ciel me donne toujours l'impression que les gens fuient vers un avant irréversible. Je suis sûr que beaucoup y trouvent un plaisir assez trouble, mâtiné d'excitation pour le lointain et d'angoisse pour une origine dont rien ne dit qu'ils la retrouveront. Où vont tous ces gens, que vont-ils faire là-bas qu'ils ne peuvent ici, quelle affaire à conclure, quel espace, quel royaume à découvrir, quelle routine ou quelle improbable histoire à vivre ? Regarder voler les avions, ça donne des idées.