Jules DELASSUS est-il Remy de GOURMONT ?
Je donnais il y a peu le sommaire d'un volume sur les sciences occultes, Les Sciences Maudites, un nom dans cette liste aurait du attirer mon attention, Jules Delassus, il s'agirait d'un pseudonyme utilisé par Remy de Gourmont... Heureusement les lecteurs de Livrenblog veillent, et Christian Buat maître entoileur du site des Amateurs de R.G. a attiré notre attention sur cet article intitulé Homuncules. En visitant le site Remy de Gourmont on apprend que c'est Alain Fournier qui à l'occasion d'une chronique attribue ce pseudonyme à Gourmont
7 octobre 1910. — Pseudonymes. On sait que M. Remy de Gourmont, candidat à l'académie Goncourt, représentera, chez les Dix, le roman, la poésie, le théâtre, la critique, la philosophie, la sociologie et divers autres genres littéraires. Mais on ignore généralement qu'il doit représenter aussi plusieurs personnalités mystérieuses. Citons, entre autres, Jules Delassus, qui signa Incubes et Succubes ; Dréxelius et Mlle Lucile Dubois... Ce sont les pseudonymes les moins connus de l'auteur du Livre des Masques (Alain-Fournier, Chroniques et critiques, Le Cherche Midi, 1991).
Cette information fut reprise par André Gide dans une lettre à Jacques Rivière. C'est peu, mais c'est une piste, et il ne faut en négliger aucune. Des pistes, il en est de bonnes et de mauvaises, qu'en est-il de celle-ci ? On sait que Jules Delassus, est l'auteur d'une brochure, Les Incubes et les Succubes, au Mercure de France en 1897 (1), dont on trouvera le texte en deux parties (part. 1 - part. 2) sur le blog Vanitas Vanitatis. Toujours sur Delassus on peut lire au chapitre VIII de L'Alchime simplifiée de René Schwaeble : "Et pourtant, à quelque temps de là, une polémique - fort courtoise, d’ailleurs - s’éleva entre le docteur Jobert et M. Jules Delassus, le très savant collaborateur de la revue L’Hyper chimie, au sujet d’une expérience effectuée en présence de ce dernier." Dans Le Grand Oeuvre alchimique (2), Jollivet-Castelot écrit : "Avec mon ami Jules Delassus, nous avons réalisé l'Oeuvre et bientôt nous convaincrons les savants officiels". Delassus n'est donc pas un inconnu dans les milieux de l'occultisme et particulièrement de l'Alchimie. Y-a t'il eut deux Gourmont ? L'un à la vie réglée entre son appartement bibliothèque et son bureau du Mercure et l'autre réalisant le Grand Oeuvre avec Jollivet-Castelot et assistant à des expériences alchimiques chez le docteur Jobert ? Le collaborateur du Mercure, le "Sainte-Beuve du symbolisme" fut-il le très savant collaborateur de l'Hyperchimie (3) ? Et ceci sans, qu'hormis Alain Fournier, personne n'en parle ? Seules des preuves tangibles, manuscrits autographes, témoignages recoupés, pourraient confirmer cette hypothèse. J'attend de lire l'article de Patrizia Andrea dans Actualités de Remy de Gourmont, aux éditions du Clown Lyrique, pour me faire une idée plus précise sur ce sujet.
(1) Le catalogue Opale Plus de la BNF donne 1898. Jules Delassus. Les Incubes et les succubes Paris : société du "Mercure de France", (1898), In-18, 62 p. L'exemplaire de Pierre Louÿs, édition 1897, est passé en vente il y a quelques temps.
(2) Brochure de propagande de la Société alchimique. Editions de l'Hyperchimie (Rosa Alchemica), 1901 http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k496567
(3) L'Hyperchimie, revue mensuelle d'alchimie, d'hermétisme et de médecine spagyrique : organe de la Société alchimique de France. L'Hyperchimie : Rosa alchemica : revue mensuelle d'alchimie, d'hermétisme et de médecine spagyrique. de août 1896 à décembre 1901.
HOMUNCULUS
« Et critis similes deo. »Lorsque, maître des transmutation, l'Adepte se laissait aller au péché d'orgueil, un rêve vertigineux bientôt s'emparait de son esprit et l'entraînait dans le royaume enchanté des vains espoirs et de l'illusion. Négligeant les grands symboles sacrés, il oubliait l'enseignement de la chute édénique de l'Adam qui, pour avoir voulu ravir le secret de la vie, avait roulé dans les profondeurs de l'abîme. Son imagination errante s'égarait vite. Certes, être tout puissant sur le plan matériel, transmuer les métaux, est un résultat flatteur, mais il n'est pas infiniment plus séduisant de passer de la matière inorganique, en apparence si peu vivante, à la matière organique, de créer enfin des êtres doués de raison ! Et les désirs troubles se glissaient dans l'âme de l'hermétisme que cet appas attirait vers la goétie : quel triomphe et aussi quelle jouissance s'il parvenait à extraire de son laboratoire un compagnon, modelé selon son idéal, qui serait en son absolu pouvoir, mettant tout à son service la science infinie et la connaissance de l'avenir ; et puis, qui sais ? De la cornue peut-être allait sortir le succube désiré dont les charmes nouveaux, ranimant ses sens refroidis, lui feraient goûter les finales délices. Mais comme toujours la déception était immense, après de longs et angoissants efforts, le matras ouvert ne contenait qu'une sorte de tétard gélatineux et informe qui semblait engendré par un cauchemar et dont l'aspect inquiétait.
C'est aussi que se forma un des plus sombres et plus étranges chapitres de la magie des transmutations, où le grotesque se mêle à l'horrible et les vestiges de la science intégrale, aux plus basses superstitions. En effet, si des hermétistes réels cherchèrent à pénétrer les mystères de la Biogénie, hallucinés par une confiance illimitée en leur savoir, combien de Goètes marchant à tâtons sur leurs traces, déformèrent les expériences primitives par leurs ignobles pratiques de stercoristes et de spermatistes, espérant ainsi se concilier les puissances d'En-Bas pour réussir dans leurs oeuvres infâmes. C'est là l'origine des traditions et des essais bizarres indiqués par les auteurs anciens au sujet des homuncules, des Mandragores, des Androïdes, essais qui par leur incohérence et leur horreur semblent issus comme les scènes fantastiques du Sabbat, d'imaginations dépravées et rendues folles par la somnambulique ivresse des solanées mortelles.
Dans les même ordre d'idées et se rapportant alors à la production des formes organiques, il est toute une série d'expériences moins hasardeuses, la « Palingénésie » dont le but était l'évocation à volonté de la forme primitive d'une plante ou d'un être quelconque incinéré, qui semblait ainsi renaître de ses cendres d'où le nom de « phénix végétal » donné aussi à ce phénomènes. Mais ici l'opérateur ne dépassait pas les limites d'un véritable et rationnel savoir, nullement blasphémateur comme celui qui s'efforçait de donner naissance au monstre que les docteurs ès-sciences maudites baptisèrent homuncules.
Ecoutons Paracelse : « On ne doit pas, dit-il, abandonner la génération des homuncules ; en effet, il y a quelque vérité en cette matière, bien que pendant très longtemps elle fut regardée comme très occulte et très secrète. Et longuement quelques philosophes anciens discutèrent et doutèrent s'il était possible, par la nature et l'art, d'engendrer un homme en dehors du corps de la femme et de la matière naturelle. A quoi je réponds que cela ne répugne nullement à l'art spagyrique et à la nature ; bien plus, que cela est très possible. Pour y parvenir, on procède ainsi : on concentre dans un alambic scellé une suffisante quantité de sperme d'homme, à la plus haute température d'un ventre de cheval, pendant quarante jours, ou aussi longtemps qu'il est nécessaire pour qu'il commence à vivre et à se mouvoir, ce qu'on voit facilement. Après ce temps, il sera semblable à un homme, mais cependant translucide et sans substance. Si ensuite chaque jour, en secret, il est nourri avec précaution de sang humain et maintenu pendant quarante semaines à la température constante d'un ventre de cheval, il devient un véritable enfant vivant, ayant tous les membres d'un fils d'une femme mais beaucoup plus petit. Ce que nous appelons l'homuncule. Et il doit être élevé avec beaucoup de diligence et de soins jusqu'à ce qu'il grandisse et commence à raisonner et à comprendre... C'est un des plus grand secrets révélé par Dieu à l'homme mortel et capable de pécher... »
Paracelse continue en s'extasiant sur ce Secret des Secrets : « lorsque de tels homuncules atteignent l'âge viril ils deviennent les géants ou les pygmées et les autres hommes miraculeux qui sont les instruments de grandes choses, qui remportent de grandes victoires sur leurs ennemis, et connaissent toutes choses secrètes et cachées. »
Voici d'après Christian une autre méthode pour obtenir l'homuncule :
« Prenez un oeuf de poule noire et faites-en sortir une quantité de glaire égale au volume d'une grosse fève. Remplacez cette glaire par du sperma viri et bouchez la fente de l'oeuf en y appliquant un peu de parchemin vierge légèrement humecté. Mettez ensuite votre oeuf dans une couche de fumier le premier jour de la lune de mars que vous connaîtrez par la table des Epactes. Après trente jours d'incubation, il sortira de l'oeuf un petit monstre ayant quelque apparence de forme humaine. Vous le tiendrez caché dans un lieu secret et le nourrirez avec de la graine d'aspic et des vers de terre. Aussi longtemps qu'il vivra vous serez heureux en tout. »
C'est là le type des préparations étranges des sorciers anciens. Le sperme est toujours la base et le but, être heureux par la possession du serviteur artificiel. Le bonheur par le sperme : étrange et fatal symbole, inéluctable rapprochement.
Plus récemment; de 1773 à 1782, dans le laboratoire d'un couvent calabrais, un certain comte allemand, J.-F. De Kueffstein, templier, franc-maçon et nécromancien, semble avoir réussi, de concert avec un abbé Géloni, à fabriquer des esprits « un roi, une reine, un chevalier, une nonne, un arcjitecte, un mineur, un séraphin, un moine, un esprit bleu, un esprit rouge. ». Ces faits résultent des notes prises par le famulus de Kueffstein, Kammerer, notes qui furent publiées par Karl Kieserwetter dans le « Sphinx » de mai 1890, et traduites par L. Desvignes dans l' « Initiation » de mars 1897. Le récit de Kammerer dépasse tout ce que l'imagination peut rêver de plus fantastique. La fabrication des homuncules de Géloni semble peu différer de celle de Paracelse et le récit vaut surtout par le détail des diableries auxquelles se livraient ces adeptes pour arriver à leur but, et les scènes plus que bizarres entre eux et leurs peu commodes pensionnaires qui malgré les beaux vêtements dont on avait pris soin de les revêtir, cherchaient constamment à s'échapper de leurs bocaux, avec des intentions souvent peu morales.
Un autre genre d'homuncule était la Mandragore vitalisée par de dangereux rites. La Mandragore, plante narcotique et vénéneuse, appartient à la famille triste des Solanées. Elle présente une particularité étrange. Les racines affectent ma forme des membres humains, des organes génitaux : parfois aussi on peut y trouver une vague ressemblance avec un visage. On disait que la plante poussait d'affreux gémissements quand on l'arrachait de terre : « Une vieille tradition, rapporte Stanislas de Guaita – qu'en ces matières il faut citer tout au long – veut que l'homme ait apparu primitivement sur la terre, sous des formes de mandragores monstrueuses animées d'une vie instinctive, et que le souffle d'En-Haut évertua, transmua, dégrossit, enfin déracina, pour en faire des êtres doués de pensée et de mouvement propre.
Aussi ce fut au Moyen Age le rêve ou le délire de certains adeptes aspirant à la Maîtrise vitale, de retrouver la composition du limon-principe, afin d'y faire croître des mandragores qu'ils eussent réactionnées et suscitées à la vie mentale par l'infusion de l'Archée.
D'autres, moins ambitieux, se contentait d'obtenir de faux séraphins, en évoquant une larve dans une mandragore taillée en forme humaine : hideuse idole qu'ils conjuraient pour en tirer des oracles...
L'on n'imagine pas à quelle furieuse vésanie les portait la superstition ! C'est sous les gibets qu'ils allaient chercher les mandragores ; pour l'arracher de terre, ils attachaient à sa racine la queue d'un chien qu'ils frappaient d'un coup mortel. En se débattant la pauvre bête agonisante déracinait la mandragore. Alors (croyaient-ils) l'âme sensitive du chien passait dans la mandragore, et par sympathie, y attirait l'âme spirituelle du pendu !... »
Il est encore dans les vieux écrits la trace d'hommes artificiels d'une autre espèce. A des automates, leurs auteurs avaient, par un procédé secret, donné l'intelligence et la parole. Le plus célèbre est sans contredit le fameux Androïde d'Albert-le-Grand, qui eut une fin malheureuse. Le diabolique simulacre discutait un point de théologie avec Saint-Thomas-d'Aquin et par son argumentation spécieuse et serrée mettait le Père à une rude épreuve, si bien que celui-ci, encore très imparfait, se laissa emporter par la colère et à bout de syllogismes s'en remit à son bâton pour triompher ; il lit en pièces la merveille qui ne fut pas reconstruite.
Comme on l'a déjà vu plus haut, la Palingénésie différait fortement de ces essais informes et légendaires de génération. Elle consistait en la reproduction fantômale des plantes, préalablement incinérées. Ici les documents abondent, les méthodes se précisent. Ce n'est plus la poursuite vague d'un rêve trouble, c'est la réalisation d'une expérience basée sur la connaissance savante et intime des êtres. Le P. Kircher possédait dans une fiole à long col les cendres d'une plante qu'une douce chaleur faisait voir avec les apparences de la vie. Il la montra en 1657 à la reine Christine de Suède qui visitait son laboratoire.
« C'était en février, dit-il ; après son départ, je posai la fiole sur la fenêtre où le froid vif la fit éclater, comme si touchée par un si grand honneur elle dédaignait de se montrer encore après avoir été vue par une reine si illustre. »
Jacques Gaffarel, dans ses « Curiosités inouïes » dit, parlant des plantes : « Que bien qu'elles soient hachées, brisées et mesmes brûlées, elles ne laissent point de retenir aux jus, ou aux cendres, par une secrète et admirable puissance de la nature, toute la même forme et figure qu'elles avaient auparavant : et bien qu'on ne la voye pas, on peut pourtant la voir, si par art on la sçait exciter. »
Les procédés, variés en apparence, dont fourmillent les ouvrages spéciaux, peuvent se réduire à l'application de quelques principes. On imprègne de rosée les cendres ou les graines de la plante à faire apparaître, qui se charge ainsi de la force astrale nécessaire à la revivification de sa forme arômale. Stanislas de Guaita résume ainsi les opérations soigneusement détaillées par une secte ancienne de Rose-Croix dans le Grand Livre de la Nature (1) :
« 1° Il faut piler avec soin quatre livres de graines bien mûres de la plante dont on veut dégager l'âme ; puis conserver cette pâte au fond d'un vaisseau bien transparent et bien net ;
2° Un soir que l'atmosphère sera pure et le ciel serein, on exposera le produit à l'humidité nocturne, afin qu'il s'imprègne de la vertu vivifiante qui est dans la rosée ;
3° et 4° L'on aura soin de recueillir et de filtrer huit pintes de cette rosée, mais avant le lever du soleil qui en aspirerait la partie la plus précieuse, laquelle est extrêmement volatile ;
5° Puis on distillera la liqueur filtrée : du résidu ou des fèces, il faut savoir extraire un sel « bien curieux et fort agréable à voir » ;
6° On arrosera les graines avec le produit de la distillation, que l'on aura saturé du sel obtenu. Ensuite on enterrera dans du fumier de cheval le vaisseau hermétiquement scellé au préalable avec du borax et du verre pilé ;
7° Au bout d'un mois, la graine sera devenue comme de la gelée ; l'esprit sera comme une peau de diverses couleurs qui surnagera au dessus de toute la matière. Entre la peau et la substance limoneuse du fond, on remarque une espèce de rosée verdâtre qui représente une moisson
8° A ce point de fermentation, le mélange doit être exposé dans son bocal exactement clos, de jour à l'ardeur du soleil, de nuit à l'irradiation lunaire. Par les périodes pluvieuses, on remet le vaisseau en lieu sec et tempéré jusqu'au retour du beau temps. Il faut plusieurs mois, souvent une année pour que l'opération soit parfaite. Voit-on d'une part, la matière se boursoufler et doubler de volume ; de l'autre, la pellicule disparaître ? C'est signe certain de réussite ;
9° La matière, à son dernier stade d'élaboration, doit apparaître pulvérulente et de couleur bleue. »
L'esprit universel des spagyriques, nécessaire à ces opérations, que l'on cherchait dans la rosée, s'obtenait aussi par la distillation d'un minerai de bismuth. Le reste de l'opération ne différait guère de celle décrite précédemment.
Mais il y avait plus encore ; la réalisation du rêve allait très loin (2) : « Le degré le plus merveilleux de la palingénésie est l'art de pratiquer sur les restes des animaux. Quel enchantement de jouir du plaisir de perpétuer l'ombre d'un ami, lorsqu'il n'est plus ! Artémise avala les cendres de Mausole : elle ignorait, hélas, le secret de tromper sa douleur... »
Voici donc brièvement résumé les phénomènes divers qui se rapportent aux homuncules et à la palingénésie. Quelle peut être leur réalité ? Certes on pourrait croire que cet amas de récits n'est que le produit des cogitations folles de gens hallucinés dont la place serait plutôt dans un asile spécial que dans l'officine d'un éditeur. Cependant l'étude de l'astral permet d'affirmer la réalité objective de la plupart des phénomènes rapportés par Paracelse, Digby, Kircher, les Rose-Croix, etc. Il est bien évident que l'être plus ou moins informe qui nageait dans l'alambic, que les pantins de Kueffstein n'étaient pas des esprits créés de toutes pièces. Mais on peut affirmer que les opérateurs avaient réussi à lier à leurs préparations bizarres ou à leurs mandragores, des élémentaux. En effet, l'astral, matière des formes, regorge de forces vivantes, élémentaires ou élémentales, larves éparses et multiples, issues de volitions, de pensées intenses ou de certains phénomènes, qui fatalement cherchent à se manifester sur le plan matériel. Ce sont ces larves, ces êtres que les voyants décrivent, bizarres toujours, horribles souvent, emportés dans le tourbillon de vie cosmique. Ce sont eux qui, menaçants ou sournois, se pressent autour du cercle dont la volonté du Mage a fait une infranchissable barrière. C'est le rut constant, l'éternel désir génésique de la nature, qui s'exerçant en dehors des normes, déviés par la volonté humaine, avortent en monstrueuses et incomplètes ébauches, les homuncules. L'origine des incubes et des succubes est analogue.
L'explication de l'apparition palingénésique est des plus simples : L'incinération de la plante ou la pulvérisation de ses graines, n'a détruit que son corps matériel ; sa forme fluidique existe toujours et subsiste longtemps enchaînée aux restes physiques. Il suffit donc pour la faire réapparaître, de revivifier cette forme astrale (par la rosée ou l'esprit universel, condensation de force astrale, et la chaleur, autre manifestation de cette même force) et de leur fournir la substance ténue, nécessaire à notre perception.
Et d'ailleurs, la figure astrale des plantes semble souvent s'imprimer sur certaines substances au moment où, par suite d'un changement d'état, leurs molécules se dissocient pour former de nouveaux groupements. Il en est ainsi des arborescences merveilleuses du givre où l'on retrouve la plupart des types végétaux. Gaffarel raconte aussi que M. du Chesne, sieur de la Violette « ayant tiré le sel de certaines orties brûlées, et mis la lescives au serein en hiver, le matin il la trouva gelée, mais avec cette merveille que les espèces des orties, leur forme et leur figure estoient si naïvement et si parfaitement représentées sur la glace, que les vivantes ne l'étaient pas mieux ». Certains sels métalliques prennent, eux aussi, des apparences végétales lorsqu'ils cristallisent en bains concentrés.
Tout récemment, un savant d'une incontestable valeur, M. A. De Rochas a démontré que les vibrations sont génératrices de formes (3) ; des notes musicales enregistrées d'une façon particulière, donnent d'admirables figures de roses et de fougères... Bien plus, une forme nouvelle d'énergie, sorte de substratum de l'électricité, à laquelle son inventeur, l'ingénieur Rychnowsky, a donné le nom d'électroïde, produit, lorsqu'on la fait agir sur du sang frais, des apparences de têtes que la plaque photographique révèle. Et Rychnowsky « avait émis la singulière idée que le fluide électroïdique pouvait bien réveiller l'esprit qui animait les globules et faire revivre sa forme corporelle (4) ». Ceci se passe en 1897 dans le laboratoire d'une usine électrique, et l'opérateur est un homme qui a apporté d'immenses perfections aux plus modernes dynamos.
La science peut-elle donc espérer la réalisation du rêve monstrueux des hermétistes anciens, la production de la vie ? Ce problème soulève les questions de métaphysique et de chimie transcendantale les plus ardues, et ce n'est guère ici le lieu de les reprendre. Cependant de nombreuses expériences permettent de croire que la matière organique peut être chimiquement fabriquée. On n'est pas encore fixé sur la nature du Battybius, cette masse gélatineuse que l'on trouve dans les bas-fonds de l'Océan, que Harting a obtenu artificiellement en versant du carbonate de chaux dans une solution albumineuse, que les uns considèrent comme un corps minéral et les autres comme l'être primordial, comme l'Ancêtre. En somme, on peut croire que lorsque le savant sera maître des grandes forces matérielles, chaleur, lumière, électricité – simples modalités du courant de vie universelle, du fluide astral – il pourra faire sortir de ses cornues des organismes de plantes et d'animaux. Et alors tous les Etres, depuis le Protyle jusqu'à l'or, jusqu'aux protozoaires, jusqu'à l'Homme, pourraient peut-être trouver place dans les cases d'un grandiose tableau chimique, échelle de la vie dans toutes ses individualisations, condensant en une formule unique les Normes éternelles.
Jules DELASSUS.
(1) St de Guaita : Le Temple de Satan. Paris Chamuel, 1891.
(2) Le Grand Livre de la Nature
(3) Les Sentiments, la Musique et le Geste, A. de Rochas
(4) Annales des sciences psychiques. Décembre 1898. L'électroïde, docteur Hahn.
Extrait de LES SCIENCES MAUDITES : sous la direction de Jollivet-Castelot, Paul Ferniot et Paul-Redonnel. Editions de "La Maison d'Art", 1900, grand in-8, 202 pp. Nombreuses illustration in et hors texte.