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Sous la pâte des rois, la fève plébéienne

Publié le 04 janvier 2009 par Arsobispo

La fête des rois est une tradition qui se perpétue depuis trois mille ans ! Elle nous vient des saturnales romaines et non de la légende des rois mages comme nombreux le supposent. A l’occasion de ces fêtes, les romains rêvaient, le temps d’une journée, à un monde égalitaire et l’appliquaient à l’occasion de cette fête. Patriciens et esclaves se mettaient alors sur un pied d’égalité.

A l’avènement du christianisme, l’Epiphanie reprit à son compte cette tradition à l’occasion de la fête du 6 janvier qui célèbre les rois mages. Plus tard, au XIVe siècle, les chanoines de l’église de Sainte Madeleine de Besançon prirent l’habitude de tirer au sort leur maître de chapitre afin qu’il tienne la place du Roi des rois. Un trône lui était dressé dans le choeur. Son sceptre était une palme et il officiait la veille et le jour de l’épiphanie. L’office enfin achevé, il devait offrir une collation aux autres frères. Les prêtres procédaient à ce tirage au sort en plaçant une piécette de monnaie dans un pain. Ce pain fut plus tard remplacé par la couronne de brioche. Dès 1311 une charte de Robert, évêque d’Amiens, évoque le gâteau des rois.

Cette méthode d’élection prit de l’ampleur grâce aux diverses corporations séculières qui se l’approprièrent. Et bien vite chaque corporation, la veille de l’épiphanie, tira également au sort son roi. Certains conservaient par contre leur pouvoir toute l’année. Les clercs de la chambre des comptes de Paris organisaient un cortège à travers les rues de la capitale. Ils allaient ainsi donner des aubades et distribuer des gâteaux à tous les membres de la chambre. Ce jour-là, le voyer prélevait une redevance d’un fromage chez les fromagers du marché des poirées, d’un gâteau à la fève chez chacun des pâtissiers des Halles et d’autres impôts en nature sur les divers corps des métiers de bouche des rues et places publiques.

Sous une forme épurée, plus festive qu’élective, elle se répandit auprès du peuple. L’office fut transposé à la prière du repas et il était également procédé à l’élection du roi avec le sort pour arbitre. Mais la piécette originale avait depuis longtemps été remplacée dans ces milieux moins aisés par une graine de fève.

Les picards qui faisaient leurs études au collège du cardinal Lemoine élisaient l’un des leurs et après les premières vêpres auxquels l’élu assistait en habit de pourpre, avec un chapeau rouge que devait tenir un aumônier, il régalait ses camarades de dragées puis les réunissaient lors d’un souper. Ces rituels étudiants dégénéraient rapidement - nous savons encore aujourd’hui les effets d’une exubérante jeunesse - à tel point qu’en 1484, la faculté des arts dut faire cesser par un édit les abus qui découlaient de toutes les fêtes étudiantes mais elle se garda d’y inclure la veille et la fête des rois, tant celles-ci étaient ancrées dans les moeurs.

Les familles qui fêtaient les rois allaient souvent rendre visite à d’autres familles en se masquant afin de « porter ung mommon » (danser en se grimant). Ils portaient des défis au roi, faisaient quelques parties de dés en jouant des sucreries, friandises et autres confitures. La corporation des chapeliers de fleurs, espèce de jardiniers-fleuristes établis dans les courtils des environs de Paris élaboraient des couronnes de fleurs que les camelots chapeliers vendaient avec ses harangues :

Quand, des rois, approche la fête Scachez à qui je m’embesogne ,.

Je m’en vais crier des couronnes, Pour mettre aux rois dessus leur tête

Et en tout état de cause, cette royauté élective entraînai t de grands frais …

Les seigneurs également fêtaient l’Epiphanie. Jean d’Orrouville relate la fête et l’élection du Roi par le duc de Bourbon Louis III:

« Vint le jour des rois, où le Duc de Bourbon fit grande fête et lie chère, et fit son roi d’un enfant en l’âge de huit ans, le plus pauvre que l’on trouva en toute la ville, et on le faisait vêtir en habit royal, en lui laissant tous ses officiers pour le gouverner, et jàisant bonne chère à celui roi pour révérence de Dieu, et le lendemain dinait celui roi à la table d’honneur. Après venait son maître d’hôtel qui faisait la quête pour le pauvre Roi, auquel le Duc de Bourbon donnait communément quarante livres pour le tenir à l’école, et tous les chevaliers de la cour chacun un franc, et les écuyers chacun demi-franc ; si montait la somme aucun fois près de cent francs, que l’on baillait au père ou à la mère pour les enfants qui étaient Rois à leur tour, à enseigner à l’école sans autre oeuvre, dont maint diceux vivaient à grand honneur ; et cette belle coutûme tint le vaillant Duc de Bourbon tant qu’i! vient . »

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Cette coutume de l’aristocratie consistant à faire le bien à cette occasion se perdit bien vite comme nous le confirme quelques lettres de la princesse Palatine. Elle nous apprend qu’à la fin du règne de Louis XIV, il était d’usage chez les nobles d’offrir la première part du gâteau des rois au Bon Dieu et la deuxième à la Sainte Vierge. Si le Bon Dieu avait la fève, c’est le maître de maison qui était roi ; si c’était la Sainte Vierge, c’est la dame de plus haut rang qui était reine. En 1649, Madame de Motteville, sa soeur, Madame de Bregy, la reine Anne d’Autriche et le tout jeune Louis XIV, dégustèrent un gâteau des rois accompagné d’une bouteille d’hypocras, liqueur à la mode au XVIIe siècle faite avec du vin mêlé de sucre, de cannelle, de girofle et de gingembre. Les épices étaient tant à la mode à cette époque qu’on en saupoudrait tout. La reine mère fut proclamée reine de la fève car celle-ci fut trouvée dans la part de la Vierge.

A la cour, la reine de la fève eut même sous le règne d’Henri II, l’honneur d’être menée à la messe par le roi de France. Jusqu’à Louis XIV, elle put jouir de grands privilèges qui allèrent jusqu’à l’octroi des charges de l’état laissées libres ce jour dît!

Les roturiers par contre conservèrent cet esprit apostolique des origines. Il n’était pas rare d’envoyer aux amis les parts de gâteaux restantes. Et surtout la première part - celle de Dieu - était réservée aux pauvres qui couraient de maison en maison au sein desquelles se fêtait l’épiphanie. Elles étaient aisément identifiables aux fureurs des chants, des rires, des acclamations et des verres heurtés et brisés … A l’occasion de l’épiphanie de 1521, François 1er, jeune et fougueux comme les étudiants, faisait également la fête à sa manière, en assiégeant avec la cour, le comte de Saint-Pol, roi par la fève, en son hôtel particulier afin de lui reprendre sa couronne. Les façades de la demeure du tout aussi joyeux comte ruisselaient sous l’éclatement des oeufs, des boules de neige et de fruits projetés contre elles. Les assiégés ne s’en laissaient guère compter et ripostaient en lançant par dessus les murs toutes les victuailles à portée de main. On en vint même à se rabattre sur tout ce qui traînait. Montgomery, dont le fils devait se rendre célèbre en tuant en tournoi le roi Henri III, saisit une bûche de bois, la lança et en assomma François 1er qui resta inconscient de longues minutes …

Ce n’était pas le dernier présage attentant à la royauté. Une légende raconte que Louis XV ayant tiré la fève avec ses trois petits-fils, la découvrit brisée en trois morceaux. Cela fut considéré comme l’annonce prochaine des règnes successifs des trois frères. Le morceau supérieur de la fève, séparé des deux autres devint le symbole de la prochaine décapitation de jeune Duc de Berry, futur Louis XVI. L’éclatement de cette fève, celui de la monarchie brisée.

Au XVIIIe siècle, les encyclopédistes tirèrent également les rois et Diderot béni par le sort, fût roi trois années de suite. La première année, flatté, il écrit sous le titre de Code Denis :

Au frontispice de mon code,

Il est écrit soit heureux à ta mode,

car tel est notre bon plaisir.

Fait l’an septante et mil sept cent

Au petit Carrousel, en la cour de Marsan,

Assis près dune femme aimable,

Le coeur nu sur la main, les coudes sur la table.

Signé Denis, sans terre ni château.

Roi par la grâce du gâteau.

L’année suivante, il se déchaîna contre l’injustice du destin qui déposait encore la couronne sur la tête la moins digne de la porter …. La troisième, il abdiquait et en donnait les raisons dans un dithyrambe intitulé Les Eleuthéromanes ou les furieux de la liberté contenant les deux fameux vers que d’aucun juge prophétiques :

Et ses mains ourdiraient les entrailles du prêtre,

Au défaut d’un cordon, pour étrangler les rois.

En 1741, année de disette comme le XVIIIe en connut souvent, le gâteau fut interdit par le parlement afin d’éviter les excès gastronomiques qu’il entraînait. Décision qui révoltât tout le monde. Par un raccourci étrange, une fête religieuse venait prêter main forte au mouvement révolutionnaire.

A la révolution, il devint évident que cette cérémonie à connotation aristocratique devait être bannie. Le numéro 131 du joumal « Révolutions de Paris » se plaignait de constater que cet usage aristocratique persistait toujours en 1792, notamment dans les collèges et autres lieux d’éducation. Manuel, lors de la séance de la convention du 30 décembre 1792, proposa un décret interdisant aux ministres de quelque culte que ce soit de célébrer la fête des rois. « Ces fêtes sont anti-civiques et contre-révolutionnaires ». Mais certains y décelant - à juste titre - une philosophie égalitaire, réussirent à la préserver. Prudhomne, pragmatique proposa de remplacer la solennité de l’Epiphanie par une fête de bon voisinage et de substituer la galette royale par un gâteau de l’égalité « La fève serviroit à marquer celui des voisins chez lequel se feroit le banquet fraternel où chacun apporteroit son plat, à l’exemple de nos bons aieux ». Un arrêté vint temporairement confirmer la chose en changeant le jour des rois en fête des sans-culottes.

Le gâteau reprit donc place sur toutes les tables lors d’une fête consacrée à l’égalité et le symbole royal de la couronne repassa le flambeau à la fève qui était le légume le plus courant de nos campagnes. Ce symbole demeura bien après la révolution française. Avec l’amélioration des conditions de vie, une bourgeoisie s’établit qui conserva les traditions. Elle prit toutefois la précaution de se distinguer ; et du bas peuple par le rejet de la graine des plus humbles ; et des notables par celui de la pièce de monnaie que ceux-ci utilisaient. On ne gaspille pas ainsi l’argent durement gagné ! Et c’est ainsi qu’une figurine de porcelaine fit son apparition à la fin du XIXe (1899), au grand dam de certains imprévoyants qui ne s’attendaient pas à trouver un objet aussi dur sous la dent!

Il est encore aujourd’hui d’usage de désigner l’enfant le plus jeune pour distribuer les parts. La tradition voudrait que celui-ci se cache sous la table et attribue à chacun une part en toute innocence. La première est toujours pour Dieu, à moins qu’un invité de passage se présente et se voit alors offrir cette part divine. Dès lors, au plaisir de la dégustation se joint l’espérance de la consécration. Pour peu qu’au sein de l’onctueuse pâte sucrée, un objet se découvre, alors le convive doit se lever et prendre un verre qu’il porte à sa bouche afin de laver la fève. Chacun alors s’écrira « le Roi boit, vive le Roi ! » et tout le monde de l’accompagner dans sa libation. Au Moyen-Âge il était de tradition de barbouiller de noir en souvenir de Balthasar, le roi mage de race noire, toute personne qui ne s’exécuta sur le champ! Vous pouvez encore aujourd’hui vous y tenir! Les réjouissances pourront continuer dès que le roi aura choisi dans l’assistance sa reine …

Bibliographie:

·   J. Deslyons : Traitez singuliers et nourveaux contre la paganisme du Roy-boît.

·   J.B. Bullet : Festin du Roi boit.

·   D. Carpentier : Supplément à Du Cange.

·   De l’Hervillers : La fête des rois dans l’ami de la religion.

·   G. Bouchet : Quatrième sérée.

·   V. Foumel : Les rues du vieux Paris.

·   E. Cortet : Essai sur les fêtes religieuses.


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