J'ai terminé la lecture du livre de Shlomo Sand à la fin de l'année dernière. Je ne voulais pas nécessairement évoquer ce livre, des blogs en ayant fait un compte-rendu intéressant donnant une idée assez bonne du contenu de l'ouvrage ("Comment le peuple juif fut inventé, De la Bible au sionisme", traduit de l'hébreu par Sivan Cohen-Wiesenfeld et Levana Frenk publié en France chez Fayard). Daniel Mermet avait diffusé une de ses émissions au cours du mois de septembre dont l'invité était Shlomo Sand, ce qui m'avait donné envie de lire le livre.
On mesure à quel point ce que l'on sait sur le peuple juif est fragmentaire et souvent inexact.
A l'apogée de l'expansion du judaïsme, au début du troisième siècle après J.C. , un brillant haut fonctionnaire originaire de Bithynie, Dion Cassius notait à propos de la Palestine : "c'est l'ancien nom de la contrée qui s'étend depuis la Phénicie jusqu'à l'Égypte, le long de la mer intérieure ; mais elle en prend aussi un autre. Elle se nomme Judée et les habitants s'appellent Juifs.17. Je ne connais pas l'origine de ce second nom ; mais il s'applique à d'autres hommes qui ont adopté les institutions de ce peuple, quoiqu'ils lui soient étrangers. Il y a des Juifs même parmi les Romains : souvent arrêtés dans leur développement, ils se sont néanmoins accrus au point qu'ils ont obtenu la liberté de vivre d'après leurs lois. Ils sont séparés du reste des hommes par toutes les habitudes de la vie ; mais surtout parce ils n'honorent aucun dieu des autres peuples ; ils n'en reconnaissent qu'un qui leur est propre et qu'ils adorent avec ferveur."
Shlomo Sand consacre un chapitre au "Prosélytisme juif dans l'Empire romain". Certes, il est aujourd'hui possible de se convertir au judaïsme mais on n'associe guère judaïsme et prosélytisme. Avant la "révolution chrétienne" pourtant, c'était bien la dynamique à l'oeuvre par le biais non pas de missionnaires mais de la littérature, notamment par la traduction de l'Ancien testament en grec ancien.
Je ne vais pas vous recopier intégralement la suite, l'entretien entre le fonctionnaire et Bernardo étant un bijou d'ironie et de mise en abyme. "- De quelle nationalité êtes-vous ?" demanda le scribe.Dov hésita : "Israélienne.- Impossible ! Ca n'existe pas, trancha l'employé.- Et pourquoi donc ?- Parce qu'il n'y a pas d'identité nationale israélienne", soupira le représentant du ministère de l'Intérieur, avant d'ajouter : "Où êtes-vous né ?- A Barcelone.- Alors, c'est nationalité espagnole, affirma l'employé en souriant.- Mais je ne suis pas espagnol ! Je suis catalan, et je refuse d'être inscrit comme espagnol ; j'ai combattu pour cela, avec mon père dans les années 30 !"L'employé se gratta le front ; il ne possédait pas de grandes connaissances historiques mais respectait les personnes : "Alors on va écrire : "nationalité catalane"."La réponse fusa : "C'est parfait !"C'est ainsi qu'Israël devint le premier Etat au monde à reconnaître officiellement la nationalité catalane."Et maintenant, quelle est votre religion, monsieur ? reprit l'employé.- Je suis athée.- Je ne peux pas écrire cela. L'Etat d'Israël n'a pas prévu cette définition. Quelle est la religion de votre mère ?- Quand je l'ai quittée, elle était encore catholique.- Alors je vais écrire : "religion chrétienne", indiqua l'employé soulagé.Dov, pourtant de tempérament placide, commençait à montrer des signes d'impatience :"Je ne veux pas d'une carte d'identité où il est mentionné que je suis chrétien ! Non seulement cela va à l'encontre de mes convictions, mais cela porterait atteinte à la mémoire de mon père qui, en tant qu'anarchiste, a brûlé des églises pendant la guerre civile."Le fonctionnaire, après avoir à nouveau hésité, finit par trouver une solution ; Dov sortit du bureau avec entre les mains une carte d'identité de couleur bleue portant, en lettres noires, la mention de sa nationalité et religion : catalane."
J'espère que cela vous donnera envie de lire ce bouquin. La lecture du premier chapitre m'a paru difficile, ce n'est pas le cas du reste. La fin de l'ouvrage vous apportera de nombreuses informations sur la question de la démocratie aujourd'hui en Israël. Il pose la question : "juif" et "démocratique" serait-il un oxymore ? Il préfère qualifier son pays de "démocratie limitée" et de "théocratie". On comprend facilement pourquoi il a attendu d'obtenir son titre de professeur pour publier ce livre.ps : sur la photo, un sommet mythique, symbole d'identité pour toute une vallée et au-delà ; sous cet angle, il est parfaitement démocratique : parviendrez-vous à lui établir ses papiers ?