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Comment la Catalogne fut inventée

Publié le 07 janvier 2009 par Mtislav

J'ai terminé la lecture du livre de Shlomo Sand à la fin de l'année dernière. Je ne voulais pas nécessairement évoquer ce livre, des blogs en ayant fait un compte-rendu intéressant donnant une idée assez bonne du contenu de l'ouvrage ("Comment le peuple juif fut inventé, De la Bible au sionisme", traduit de l'hébreu par Sivan Cohen-Wiesenfeld et Levana Frenk publié en France chez Fayard). Daniel Mermet avait diffusé une de ses émissions au cours du mois de septembre dont l'invité était Shlomo Sand, ce qui m'avait donné envie de lire le livre.
On mesure à quel point ce que l'on sait sur le peuple juif est fragmentaire et souvent inexact. 
A l'apogée de l'expansion du judaïsme, au début du troisième siècle après J.C. , un brillant haut fonctionnaire originaire de Bithynie, Dion Cassius notait à propos de la Palestine :  "c'est l'ancien nom de la contrée qui s'étend depuis la Phénicie jusqu'à l'Égypte, le long de la mer intérieure ; mais elle en prend aussi un autre. Elle se nomme Judée et les habitants s'appellent Juifs.17. Je ne connais pas l'origine de ce second nom ; mais il s'applique à d'autres hommes qui ont adopté les institutions de ce peuple, quoiqu'ils lui soient étrangers. Il y a des Juifs même parmi les Romains : souvent arrêtés dans leur développement, ils se sont néanmoins accrus au point qu'ils ont obtenu la liberté de vivre d'après leurs lois. Ils sont séparés du reste des hommes par toutes les habitudes de la vie ; mais surtout parce ils n'honorent aucun dieu des autres peuples ; ils n'en reconnaissent qu'un qui leur est propre et qu'ils adorent avec ferveur."
Shlomo Sand consacre un chapitre au "Prosélytisme juif dans l'Empire romain". Certes, il est aujourd'hui possible de se convertir au judaïsme mais on n'associe guère judaïsme et prosélytisme. Avant la "révolution chrétienne" pourtant, c'était bien la dynamique à l'oeuvre par le biais non pas de missionnaires mais de la littérature, notamment par la traduction de l'Ancien testament en grec ancien.Un autre aspect du livre m'a rappelé un essai d'Anne-Marie Thiesse consacré à la question de la création des identités nationales (c'est le titre de son livre paru en poche,  dans la collection Points histoire). Il est question de l'Europe du XVIIIe au XXe siècle. Elle relevait que "rien n'est plus international que la formation des identités nationales". Une autre idée intéressante, c'est un phénomène relativement récent. "Les nations modernes ont été construites autrement que ne le racontent les histoires officielles. Leurs origines ne se perdent pas dans la nuit des temps (...). La véritable naissance d'une nation, c'est le moment où une poignée d'individus déclare qu'elle existe (...). Les premiers exemples ne sont pas antérieurs au XVIIIe siècle : pas de nation au sens moderne, c'est-à-dire politique, avant cette date."Sand fait une démonstration du même ordre, s'attachant à démonter les mécanismes de cette construction nationale du peuple juif et d'Israël, exhumant ce que l'histoire officielle a mis de côté, falsifié ou oublié.L'avant-propos est un régal, ce sont de petits récits, celui de Cholek, de Bernardo, de Mahmoud de Jaffa et de Mahmoud le réfugié, de Gisèle et de Larissa. Récits qui permettent de comprendre comment Sand a creusé l'histoire de ces identités individuelles. "Bernardo naquit à Barcelone en 1924. Bien plus tard, on l'appelera Dov. La mère de Bernardo, comme celle de Cholek, fut toute sa vie une femme pieuse (elle ne fréquentait pas la synagogue mais l'église). Son père en revanche, avait depuis longtemps cessé tout commerce avec la métaphysique de l'âme ; comme bien d'autre ouvriers métallurgistes de Barcelone la rebelle, il était devenu anarchiste. Lorsque éclata la guerre civile, les coopératives anarcho-syndicalistes apportèrent leur soutien à la jeune République et parvinrent même, pendant un temps, à prendre le pouvoir à Barcelone. Mais les forces franquistes ne tardèrent pas à affluer ; le jeune Bernardo participa, aux côtés de son père, aux ultimes combats dans les faubourgs de la ville. (...) [Il] se retrouva à Marseille en 1948 et décrocha un emploi aux chantiers navals. Un soir du mois de mai, dans un café sur les quais, il se trouva attablé en compagnie d'un groupe de jeunes pleins d'enthousiasme. Au milieu de la convivialité ainsi créée, le jeune "métallo" se convainquit que le kibboutz, dans le tout jeune Etat d'Israël, constituait la continuité évidente des coopératives révolutionnaires de Barcelone, dont il gardait la nostalgie. Sans lien aucun avec le judaïsme ou le sionisme, il embarqua sur un navire rempli d'immigrants clandestins à destination de Haïfa, d'où il fut conduit directement dans la zone des combats de Latroun. Il en sortit vivant, contrairement  à beaucoup d'autres, et rejoignit aussitôt après le kibboutz dont il avait rêvé un soir de printemps sur le port de Marseille. Il y rencontra celle qui allait devenir la compagne de sa vie : leur mariage fut célébré par un rabbin, à la va-vite, en même temps que celui de plusieurs autres couples. A l'époque, les rabbins exerçaient leur office dans la discrétion et ne posaient guère de questions aux futurs époux.Le ministère de l'Intérieur ne tarda pas à s'apercevoir qu'une malencontreuse erreur avait été commise : Bernardo, qui répondait désormais au nom de Dov, n'était pas juif. Le  mariage ne fut pas dissous cependant, et Dov fut convoqué à un entretien officiel afin de clarifier définitivement son identité."
Je ne vais pas vous recopier intégralement la suite, l'entretien entre le fonctionnaire et Bernardo étant un bijou d'ironie et de mise en abyme. "- De quelle nationalité êtes-vous ?" demanda le scribe.Dov hésita : "Israélienne.- Impossible ! Ca n'existe pas, trancha l'employé.- Et pourquoi donc ?- Parce qu'il n'y a pas d'identité nationale israélienne", soupira le représentant du ministère de l'Intérieur, avant d'ajouter : "Où êtes-vous né ?- A Barcelone.- Alors, c'est nationalité espagnole, affirma l'employé en souriant.- Mais je ne suis pas espagnol ! Je suis catalan, et je refuse d'être inscrit comme espagnol ; j'ai combattu pour cela, avec mon père dans les années 30 !"L'employé se gratta le front ; il ne possédait pas de grandes connaissances historiques mais respectait les personnes : "Alors on va écrire : "nationalité catalane"."La réponse fusa : "C'est parfait !"C'est ainsi qu'Israël devint le premier Etat au monde à reconnaître officiellement la nationalité catalane."Et maintenant, quelle est votre religion, monsieur ? reprit l'employé.- Je suis athée.- Je ne peux pas écrire cela. L'Etat d'Israël n'a pas prévu cette définition. Quelle est la  religion de votre mère ?- Quand je l'ai quittée, elle était encore catholique.- Alors je vais écrire : "religion chrétienne", indiqua l'employé soulagé.Dov, pourtant de tempérament placide, commençait à montrer des signes d'impatience :"Je ne veux pas d'une carte d'identité où il est mentionné que je suis chrétien ! Non seulement cela va à l'encontre de mes convictions, mais cela porterait atteinte à la mémoire de mon père qui, en tant qu'anarchiste, a brûlé des églises pendant la guerre civile."Le fonctionnaire, après avoir à nouveau hésité, finit par trouver une solution ; Dov sortit du bureau avec entre les mains une carte d'identité de couleur bleue portant, en lettres noires, la mention de sa nationalité et religion : catalane."
J'espère que cela vous donnera envie de lire ce bouquin. La lecture du premier chapitre m'a paru difficile, ce n'est pas le cas du reste. La fin de l'ouvrage vous apportera de nombreuses informations sur la question de la démocratie aujourd'hui en Israël. Il pose la question : "juif" et "démocratique" serait-il un oxymore ? Il préfère qualifier son pays de "démocratie limitée" et de "théocratie". On comprend facilement pourquoi il a attendu d'obtenir son titre de professeur pour publier ce livre.ps : sur la photo, un sommet mythique, symbole d'identité pour toute une vallée et au-delà ; sous cet angle, il est parfaitement démocratique : parviendrez-vous à lui établir ses papiers ?  

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