L'éducation, en France, n'est plus un sujet. C'est un champ de mines où, à l'inverse du Soldat Ryan, il n'aura fallu sauver aucun troufion ministériel dont les corps s'entassent depuis trente ans dans tous ces trous que les explosions sociales ont creusés au fil des années. Tant et si bien qu'il faudrait revenir loin en arrière dans le temps pour trouver une année scolaire qui ne soit pas marquée d'un projet de réforme, d'une grève, d'un mouvement d'humeur de lycéens, d'étudiants ou de profs. L'année en cours ne fait bien évidemment pas exception, et, le mois de janvier à peine entamé, les Usual Suspects sont déjà en piste pour un round supplémentaire de clowneries au frais de la princesse.
Ça braille.
De tous les côtés et à tous les étages, s'il y a bien une action commune de tout le monde éducatif, c'est le braillement.
L'avantage du braillement, c'est qu'il couvre efficacement toute forme de discussion courtoise, polie et argumentée ; ainsi, même si une partie minoritaire des individus vocifère, elle noie complètement les petits chuchotements des autres individus, et ne permet à l'observateur extérieur de ne tirer qu'une conclusion : ça braille à tous les niveaux.
Les années passées auront vu s'enchaîner tour à tour les braillements de différentes catégories d'intervenants dans le système éducatif : une fois, ce sont les profs. La fois suivante, les lycéens. Après, ce seront les étudiants qui les rejoindront. Ou ces derniers la joueront-ils en solo, plus tard.
Cette année, on a choisi le panachage total : les profs, les directeurs de fac, les lycéens, les collégiens, les universitaires, les étudiants, ils se sont tous mis d'accord pour rouspéter en cadence, dans le rythme et dans un ensemble digne des Chœurs de l'Armée Rouge. On attend avec impatience que les cuistots des restaus-U, les personnels de maintenance des locaux, ou encore les informaticiens de l'EdNat (il y en a, j'en suis sûr) se joignent à la cacophonie pour une photo de famille vraiment complète.
Bon, et pourquoi tout ce beau monde s'agite-t-il ... encore ?
De source journalistique (donc forcément fiable), Xavier Darcos, le sémillant bivalve qui officie au ministère de l'Édulcoration Nationale, souhaiterait faire, je vous le donne en mille ... une réforme. Voilà qui est original, non ? Et les syndicats étudiants ... pardon lycéens sont contre. Lycéens ? Ils ont un syndicat ?
Diable. Des têtards, pas encore citoyens, pas encore contribuables, encore aux crochets de leurs parents, ont donc une organisation dit syndicale ?
Rappelons qu'un syndicat est une association destinée à défendre des intérêts professionnels communs. Même si, du reste, on a tous connu l'archétype de l'étudiant professionnel, toujours entre deux cours et coincé dans une éternelle première année, on voit assez mal comment on peut parler de profession pour un "lycéen".
Et on comprend aussi assez mal comment on en est venu à écouter d'une oreille attentive les gémissements des gamins qui, tant qu'ils sont lycéens, sont surtout un énorme coût pour la collectivité, déjà fort sympathique de prendre totalement en charge leur formation intellectuelle... Et qui constate, cette année encore, que ses impôts partiront en merguez-parties dans les rues de France avec un impact absolument nul en terme d'instruction. Quand on est un lourd investissement pour ses parents et la société tout entière, on fait, normalement et quand on est bien élevé, l'effort de fournir un minimum de travail et d'assiduité aux cours et on évite le banderolouillage baveux et autres démonstrations pré-pubères de ses petites poussées hormonales. Mais baste, passons.
Or donc, Darcos tente l'innovation avec une réformette de plus. Et nos têtards de s'agiter dans leurs bocaux. Quelle est donc cette mystérieuse réformette qui les agite tant ? Eh bien c'est très simple. C'est heu... En fait, non, ce n'est pas simple. C'est même assez compliqué d'obtenir le texte ou les propositions de cette réforme. Pour tout dire, on n'en voit aucun nulle part. On trouve des choses plus ou moins anciennes, qui sont peut-être en rapport ou pas, toujours d'actualité ou pas, on ne sait pas. La constatation s'impose donc : il semble que tout ce beau monde braille pour une réforme dont pour le moment, personne ne sait exactement ce qu'elle recouvre. J'invite d'ailleurs mes lecteurs à me fournir des sources, de préférences officielles, pour tenter d'y voir plus clair - on évitera les copier/coller de forums de lycéens, de provenances syndicales ou d'officines de partis, hein ; j'aimerai un truc un peu solide, genre avec entête de la République Fraônçaise...
Les fossoyeurs d'année scolaire ont encore une fois le cri sans thème.
En attendant, donc, l'ébullition a pris une ampleur redoutable dans tous les bataillons de combat de l'EdNat. Et comme d'habitude, il n'a pas fallu bien longtemps pour que les rouspétances des petits, qu'on n'aura pas de mal à supposer téléguidées par certains professeurs syndiqués en mal de grand soir et de lendemains qui chantent, soient immédiatement récupérées par les partis politiques dans lesquels on retrouve, comme c'est furieusement surprenant, la bonne trogne joufflue de Julliard, qui a fort bien réussi sa reconversion d'étudiant-gréviste perpétuel.
En fait, tout se déroule comme si, d'année en année, l'Edulcoration Nationale avait étendu son domaine de compétence en fournissant de nouvelles filières politiques et des ateliers pratiques de gréviculteur à toute une génération d'enfants et de profs en mal de sensations fortes. Et le phénomène est d'autant plus intéressant que ces nouvelles filières ne semblent profiter qu'à une élite, les Barons du Ronchonnement, qui se retrouvent quelques années plus tard, bien au chaud dans les antichambres des ministères ou des sièges de partis, attendant sur les strapontins de la République le moment où ils iront gonfler leur porte-monnaie servir leurs concitoyens.
En parallèle, l'écrasante majorité des élèves et des enseignants qui ne font pas grève sont eux, tous les jours, confrontés essentiellement à l'extension du domaine d'incompétence du système scolaire français. A chaque enquête PISA, alors que les syndicats (comme c'est là encore surprenant) hurlent aux statistiques foireuses, on découvre l'effritement du rang général des élèves français pour lesquels la recopie d'une page basée sur un article de Marie-Claire prend de plus en plus les allures d'une dictée de Pivot, et où le domaine de la règle de trois s'apparente de plus en plus aux Terra Incognita et autres Hic Sunt Dracones dans lesquelles nul enseignant n'ose plus aller.
Eh oui, l'EdNat s'est, indubitablement, réformée. Mais pas dans le sens louable : par un mouvement médiatico-politique subtil, ce sont finalement les éléments les plus politisés, les plus agitateurs et ceux qui, en définitive, n'en foutent pas une ramée en classe et préparent des grèves toujours plus nombreuses qui profitent ainsi du système Bac-Mention-Gréviculture, en pourrissant l'année de la majorité dont les grincements de dents sont complètement couverts par les bruits contondant de leurs petits camarades.
Chaque année qui a passé a ainsi vu s'enraciner une véritable culture du status-quo et de la ronchonnade. En trente ans, il y a eu, tous les ans ou presque soit un mouvement d'élèves, soit une grève, soit les deux. Les motifs ont varié, mais chaque prétendue suppression de postes s'est systématiquement accompagnée de braillements toniques suivis d'une piteuse reculade : au final, il y a actuellement plus de profs, et plus de postes de façon générale, dans l'éducation nationale qu'il y en avait en 1980 par exemple, alors que le nombre d'élève est lui en constante diminution depuis.
La qualité générale des enseignements nous permet maintenant d'admirer, au quotidien, des fautes d'orthographes consternantes dans les journaux les plus mainstream et les plus lus, des erreurs mathématiques ou de proportions toujours plus comiques (dernière en date, le Bigaro qui utilise des pourcentages en lieu et place de millièmes, ce qui fait un facteur 10 dans l'erreur), une inculture crasse des Français pour l'économie de base, et, plus préoccupant, une absence assez phénoménale d'ouverture sur le monde extérieur qui, à l'instar de la règle de trois, devient lui aussi Terra Incognita. On ne s'étonnera plus que les quelques rescapés fuient alors leur pays pour découvrir le vaste monde... Et y reste.
Pendant ce temps, le gouvernement agit : il supprime la pub à la téloche et, pour faire bonne mesure sans doute, propose à la réflexion de l'internaute d'amusante vidéos, comme ici.
Et là, chpaf, tout s'explique.
L'Édulcoration Nationale a donc, de façon quasi-officielle, pour but de produire des gamins intellectuellement limités, pour lesquels une telle vidéo passera très bien. Et c'est logique : du point de vue politique, les braillements des petits têtards sont, objectivement, bien plus faciles à gérer que les demandes et aspirations toujours multiples et variées de millions de Français instruits, intelligents et, ne l'oublions pas, roublards.
Avec les crétins que le système s'emploie à produire - avec un certain succès, je dois admettre - la donne change : l'EdNat ne produit pas du citoyen clairvoyant et un tantinet critique. Elle produit de la chair à canon pour le toujours plus solidaire, nourrie à la bouillie antilibérale de base, à la moraline relativiste et festive facile à digérer, estampillée compatible HALDE garantie sans discrimination.
L'armée de petits crétins s'emploie ensuite à diffuser des messages toujours plus idiots et démagogues dans l'ensemble de la société, qui, infusée par cette EdNat dont l'emprise ne cesse de croître, finit, mollement d'abord puis avec enthousiasme, par applaudir des deux mains à toutes les stupidités collectivistes que les gouvernements s'emploient à mettre en place. D'ailleurs, je suis certain que parfois, les hommes politiques doivent être surpris des bêtises qu'ils arrivent à faire passer.
Enfin bref.
Comme c'est la nouvelle année, on va dire que tout ça n'est qu'exagération.
Et même si ce pays est décidément foutu, meilleurs voeux !